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Critique de jazzman


Entre deux mondes : c'est absolument cela !
D'un côté le monde d'une Europe occidentale en paix où les règles du vivre ensemble sont encore à peu près respectées, d'un autre côté un monde en guerre plein de misère et de détresse, un monde dans lequel tout ce qui a fait que l'homme avait cessé d'être un prédateur a volé en éclat et laissé place à une sauvagerie sans nom. En Syrie, il y a Daech qui est le triste résultat d'une région du monde qui n'a vécu que la dictature et pour qui les démocraties occidentales sont des régimes corrompus et décadents. Au Soudan, une guerre civile qui divise le pays depuis de nombreuses années, des enfants qui sont enlevés à leur famille et enrôlés pour tuer.
C'est entre ces deux mondes là que se rencontrent Adam, Syrien de confession chrétienne et Kilani, adolescent soudanais qui a très tôt été confronté à une inimaginable barbarie. Et cet entre deux mondes , c'est la Jungle de Calais. Adam recherche sa femme et sa fille à qui il a fait quitter le pays peu de temps avant lui pour des raisons de sécurité : en effet Adam s'efforce de cacher son désaccord avec le régime syrien en maintenant ses activités officielles mais il sait que ce n'est plus qu'une question de temps avant qu'il ne soit démasqué ! C'est là à Calais qu'il rencontre Kilani dont on apprendra au fil des pages qu'il a vécu des choses insoutenables et qu'il sauvera des mains d'Afghans qui en ont fait un objet sexuel.
Ce livre est excellent à plus d'un titre :
D'abord, l'intensité dramatique y est maintenue jusqu'au bout. Les dernières scènes avec Kilani sont dures et injustes même si elles n'aboutissent pas ! On peut comprendre le quiproquo. Adam et Kilani sont meurtris par la vie et Kilani ne peut pas s'exprimer car sa langue lui a été arrachée. L'auteur a très bien préparé en amont cette impossibilité de parler. Ici, on est en effet au-delà du dialogue car certaines choses sont de toutes façons inexprimables.
D'autre part, aboutissement de six mois d'observation dans la jungle de Calais, le livre rend un tableau fidèle de cette zone de non-droit. On apprend que le mot jungle vient du persan djangal qui signifie forêt ce qui est effectivement aussi le cas : peu de confort et beaucoup de promiscuité ! Olivier Norek dépeint avec brio le difficile quotidien dans ces quelques kilomètres carrés : trafics en tous genres, luttes de pouvoir, insécurité, viols, spectre de Daech… Tout y est rendu avec précision , clairvoyance et surtout un incroyable talent au fil des pages. L'auteur s'insurge ici contre la manière avec laquelle la France traite ces migrants pour qui on a créé le statut de « réfugiés potentiels »et que l'on « laisse juste moisir tranquilles en espérant qu'ils partiront d'eux-mêmes ». Mais la grande originalité de ce roman est que si le point de vue des migrants y est exposé à travers le personnage d'Adam, celui des policiers y est aussi exprimé entre autres par le personnage du lieutenant Bastien Miller fraîchement muté à Calais. Histoire d'une belle rencontre et d'une amitié qui se noue entre les deux hommes. Miller n'hésite pas à inviter Adam et Kilani chez lui et à aider le petit garçon a passé en Grande- Bretagne. Cette soirée permettra aussi à la femme de Bastien de relativiser ses problèmes bien insignifiants en comparaison de la détresse des déracinés. Puis il y aussi le reste de la brigade qui participe à l'opération Kilani, cette brigade dont Passaro, le chef, déclare « mais je n'en veux pas d'autres ! (...)J'ai des collègues que ce travail dégoûte et c'est mon assurance que le job sera fait, sans abus, sans plaisir malsain. »
Pour terminer, j'ajouterai exceptionnellement une touche personnelle : cela fait quelques années que je travaille à Calais et que j'y entends trop souvent des remarques racistes et y constate un manque de compassion de la part d'adolescents à l'égard des migrants. Pourquoi ? Sans doute parce qu'ils n'ont aucune idée du quotidien de ce microcosme déshumanisé ! le livre de Olivier Norek pourrait être un excellent outil pédagogique comme le petit prince de Calais de P. Teulade et de Kaboul à Calais de Wali Mohammadi (ces deux livres ne sont pas des romans policiers) pour informer un public jeune et susciter son empathie car pour conclure avec les mots de l'auteur «  Tout fonctionne à coups de rumeurs, et à force d'être propagées avec conviction, elles deviennent réalité ».
Excellent ouvrage ! Bravo !
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