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Critique de Malaura


Sans doute vous est-il déjà arrivé de retrouver un auteur après l'avoir délaissé un moment. le plaisir alors ressenti de redécouvrir une plume bien connue, un univers particulier, une atmosphère…C'est un peu comme retrouver un ami perdu de vue, le rencontrer subitement au hasard d'une rue, percevoir de nouveau ce qui vous a plu ou déplu en lui; cet étonnement de constater que la complicité est quasi intacte, malgré le temps passé, les chemins divergents, les êtres différents connus au fil des ans. L'on se souvient des bons moments, des déceptions occasionnées, des rires et des colères partagés.
Mais à l'inverse de l'amitié, avec les auteurs, la fidélité n'est pas forcément de mise, on agrée la dispersion, la diversité est même conseillée, on peut s'éparpiller, se perdre chez d'autres écrivains, dans des forêts de phrases appartenant à d'autres, on se permet d'aller rêver ailleurs…

Amélie Nothomb nous avait régalés avec des oeuvres originales au ton neuf. Les réjouissantes « Hygiène de l'assassin », « Mercure », « Les catilinaires », étaient jubilatoires. « Stupeur et tremblements », « Biographie de la faim », « Métaphysique des tubes », largement autobiographiques, révélaient une sensibilité d'écorchée vive. « Attentat », « Robert des noms propres », ou « Antéchrista » avaient su nous charmer en imposant un univers implacable fait de finesse et d'ironie mordante.
Et puis toujours ces phrases brèves et cinglantes qu'on aimait prendre à la volée, ce regard aiguisé sur les travers du genre humain, cette facilité à nous faire ressentir toute une palette d'émotions aussi contradictoires que profondes, cet humour si particulier et ravageur…

Les romans de l'auteur étaient alors aussi appétissants que nourrissants, offrant par leur admirable concision, une sève nutritive dont on se délectait avec frénésie, dans une sorte d'urgence, de transe impérieuse.
Alors…trop énergétiques les oeuvres d'Amélie ? Sait-on jamais. Comme un plat aimé dont on se gave et dont on se gorge à satiété, jusqu'à saturation et écoeurement, arrive un jour où, oh misère, l'effet kiss cool n'opère plus !
On continue à lire, toujours d'un traite et agréablement comme avec « Acide sulfurique », mais en se demandant où sont passés l'ironie mordante, la verve et l'humour décapant, cruellement déçus de ne pas retrouver le sel et le piquant qui avaient fait le succès de cet écrivain si prolixe...trop peut-être ? Ou peut-être est-ce nous qui avions changé finalement ?
Tout comme les amitiés trahies sont dures à encaisser, les déceptions littéraires sont difficiles à accepter et sonnent le glas d'une relation cérébrale privilégiée entre un lecteur dépité et un auteur jusqu'alors estimé.

Et puis un jour, un heureux hasard (plus exactement, un cadeau de noël) nommé « Barbe Bleue », vous fait rencontrer l'auteur à nouveau et vous en éprouvez un réel contentement, comme quoi l'homme monstrueux du conte de Perrault à aussi quelques qualités !
Certes, l'engouement des premières lectures a bel et bien disparu mais le charme opère derechef et c'est avec satisfaction que l'on redécouvre le microcosme fictionnel de l'auteur du « Voyage d'hiver » ou plus récemment de « Tuer le père ».

En réinventant le conte de Perrault, Amélie Nothomb nous offre l'un de ses face-à-face dont elle a le secret.
Son « Barbe bleue » prend les traits d'Elemirio Nibal y Milcar, un aristocrate espagnol de 44 ans au nom à coucher dehors (Nothomb oblige), tandis que l'une de « ses victimes » s'incarne sous une jeune belge de 25 ans, Saturnine, alléchée par la proposition de colocation dans un luxueux hôtel particulier parisien pour une somme dérisoire.
Choisie par le maître de céans parmi tout un tas de prétendantes à la colocation, Saturnine emménage dans ses nouveaux et riches appartements, totalement éblouie par l'opulence des lieux où la couleur or règne en souveraine. Mais elle ne tarde pas à comprendre que son noble hôte espagnol est décidément bien douteux et que la suspicion d'assassinat des huit autres femmes l'ayant précédée est très vraisemblablement fondée. Les pauvres femmes ont apparemment payé de leur vie leur trop grande curiosité en pénétrant dans le sanctuaire sacré de l'Espagnol, une chambre noire, seule pièce interdite de la fastueuse demeure. Quoi qu'il arrive, Saturnine se jure bien de ne pas succomber à la tentation de l'indiscrétion.
Entre comportements farfelus, champagne coulant à flots, mets délicieux, conversations d'esthètes et réflexions métaphysiques, s'instaure alors un tête-à-tête enjoué et subtil entre la jeune belge intrépide et l'aristocrate énamouré au sens chromatique aigüe…Une joute verbale frétillante de bons mots et de formules spirituelles dont on se demande qui sortira victime et qui bourreau…

Frais, léger, pétillant comme des bulles de champagne, ce breuvage couleur d'or qu'elle met en scène avec ravissement, le « Barbe bleue » d'Amélie Nothomb est l'occasion pour nous de sympathiques retrouvailles.
L'on y retrouve ses phrases percutantes, aussi courtes et concises que ses chapeaux sont hauts, ses choix de noms fantaisistes, son humour laconique et subtil, son sens spontané des dialogues, ses protagonistes bizarres aux caractères saugrenus, sa gourmandise et son raffinement…tous les ingrédients qui composent son univers baroque.
L'excellence des premiers temps a fait place à des textes fluides, enjoués et plutôt délectables…Que demander de plus après tout ? Alors ? amie, Amélie ?...
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