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EAN : 9782070372584
288 pages
Gallimard (03/02/1981)
3.96/5   195 notes
Résumé :
Dix nouvelles de la grande romancière américaine. Tout le monde prend vie en quelques secondes, et s'impose à nous : tueurs évadés du bagne, un général de cent quatre ans, une sourde-muette, une jeune docteur en philosophie à la jambe de bois, un Polonais que la haine des paysans américains accule à une mort affreuse, et, grouillant à l'arrière-plan, les petits fermiers, les nègres paresseux et finauds.

Les braves gens ne courent pas les rues, telle e... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (32) Voir plus Ajouter une critique
3,96

sur 195 notes
Les braves gens ne courent pas les rues, c'est vrai, mais les bons livres non plus. Eh bien, croyez-moi si vous voulez, mais d'après moi, Flannery O' Connor a signé l'un de ceux-là, indubitablement. Flannery O'Connor, c'est d'abord un style, une façon bien à elle de dépeindre ses personnages, de les ficher dans des lieux qu'on imagine sans peine et qu'on croit voir défiler devant nous dans chacune de ses nouvelles.

Une part prégnante de ce style tient aussi à l'humour, omniprésent sous sa plume, mais pas de cet humour gras, qui colle aux doigts, aux pages, au texte. Non, imaginez plutôt un regard en coin, pétillant, espiègle, non dénué d'ironie, de sarcasme même, parfois, et qui balaye de temps à autre les draps de votre corde à linge, comme les souffles d'une gentille brise d'été.

Tout ceci donne une impression de tranquillité, de légèreté, de plaisant, de micro farce. Vous roulez paisiblement, avec le ron-ron du moteur, sourire aux lèvres, vitre baissée, un coude à la portière et puis PAF !, au moment où vous vous y attendiez le moins, subitement, Flannery O'Connor change de ton, donne un grand coup de volant et serre le frein à main à bloc.

Demi-tour à la barbare, vos pneus crissent à vous rompre les tympans, votre sourire s'évapore, vous vous retrouvez hébétés à contre-sens dans un nuage de poussière. le moteur calé. Silence. Vos commissures s'affaissent, vos yeux s'arrondissent, votre front se plisse, une inquiétude sourde et noire volète maintenant par saccade autour de vous, comme une vaurienne chauve-souris. Tandis qu'un fort malaise s'empare de vous, elle vous laisse là, Flannery, en plan au beau milieu de la campagne, le cul sur votre siège, le volant entre les mains et les guibolles qui flageolent, dans l'incertitude la plus totale, à ne plus savoir si vous devez en rire ou en pleurer, à ne plus savoir qu'en penser, ni où vous êtes, ni comment vous vous appelez.

Voilà, c'est ça le style Flannery O'Connor dans Les braves Gens ne courent pas les rues. C'est une expérience littéraire particulièrement savoureuse, typique, typée, et comme tout ce qui est typique et typé, qui ne conviendra pas forcément à tout le monde. En tout cas, quand ça accroche, ça vous laisse un goût unique dans le palais et je ne serais pas surprise que cette auteure ait influencé grandement quelqu'un comme Alice Munro.

Je dois vous avouer que je ne m'y attendais pas. Alors je suis allée voir d'un peu de plus près qui était cette écrivaine, dont le renom n'avait jusqu'ici que vaguement effleuré mon oreille. Je découvre une drôle de personne, sosie quasi parfaite de mon ex-tante Ghislaine avec laquelle je ne partage pas que des bons souvenirs. Je lis que la dame était fervente catholique et comprends à présent pourquoi je lui trouvais un air de bigote effarouchée, un ferment de bonne-soeur. Mais comment diable cette évadée du couvent arrive-t-elle à pondre par dizaines des nouvelles fulgurantes, troublantes, dérangeantes ?

À la lecture, j'aurais presque cru qu'elle était puissamment athée et qu'elle voyait d'un oeil revêche la pratique religieuse. C'est étonnant, pour moi, les deux visions du personnage ne cadrent pas du tout l'une avec l'autre : dans l'une je perçois une brave pécore moralisatrice, très sage, très propre sur elle, rigide (avec ou sans f devant), assise sur les bancs de l'église, les cuisses bien serrées avec ses petits gants blancs et son sac à main sur les genoux ; de l'autre, je vois un regard acéré, féroce, lucide sur la société, des sens aiguisés, à fleur de peau, ultrasensibles, ultrajouissibles, ultracontagieux ne s'interdisant aucune outrance.

Voilà le mystère Flannery O'Connor pour moi. La seule réponse que j'aie pu trouver jusqu'à présent, c'est que sur le berceau de la dévote, un ange de la littérature a déposé le génie, le germe rare dont tous les écrivains marquants sont infusés, aussi improbable que puisse être leur milieu d'extraction.

Alors, c'est vrai, toutes les nouvelles de ce recueil ne m'ont pas toutes autant plu les unes que les autres. Certaines m'ont même franchement laissée indifférente : ce fut le cas par exemple d'Un heureux Événement ou des Temples du Saint-Esprit. Mais en revanche, je considère des nouvelles comme Tardive rencontre avec l'ennemi, Les braves Gens ne courent pas les rues ou encore La Personne déplacée comme des petits chefs-d'oeuvre, chacune à leur façon, surtout si l'on considère que l'auteure n'avait que 28 ans lors de la publication.

En somme, je vous dis bravo, chère Flannery O'Connor et merci pour ce moment que vous m'avez fait passer. Pour le reste, souvenez-vous que les bonnes critiques ne courent pas les rues et que celle-ci ne déroge pas à la règle. Comme toutes les autres, elle ne reflète que mon avis du moment, ce qui doit forcément vous inciter à prendre du recul avec toutes et à songer qu'elles ne signifient, dans le fond, pas grand-chose.
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« La personne déplacée », dernière des dix nouvelles de ce recueil, évoque le drame des familles slaves contraintes de fuir leur patrie envahie.

Publiée en 1954, « la personne déplacée » était polonaise ; en cet hiver 2022 le lecteur la visualise ukrainienne, avec un nom imprononçable « quelque chose comme Gobblehook » comme Mrs McIntyre et Mrs Shotley l'avait appelée avant de la renommer plus simplement en « Guizac ».

Quand la famille Guizac est recueillie dans la ferme des McIntyre, elle se révèle plus productive et plus compétente que les employés autochtones. M Guizac fait merveille au volant du tracteur et autres engins agricoles, qu'il sait réparer, et ses connaissances agricoles sont incontestables.

Avec avidité, Mrs McIntyre voit immédiatement le profit apporté par « la personne déplacée » qui va largement compenser la dépense consentie pour les héberger. Les employés, au fin fond de la campagne étasunienne, voient d'un mauvais oeil la concurrence et la perturbation ainsi provoquée par la guerre en Europe.

En quarante pages, Flannery O'Connor, démonte avec férocité et humour une certaine compassion pour les réfugiés qui est une caricature de la vraie solidarité. Les portraits des personnages sont aussi concis que précis et l'intrigue haletante et saignante.

« Les braves gens ne courent pas les rues » … espérons qu'aujourd'hui, nous hébergerons « la personne déplacée » d'Ukraine … sans tragédie !
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Etonnamment, c'est par Katherine Pancol que je suis arrivée à Flannery O'Connor. La Katherine Pancol des débuts, je précise, pas celle des derniers temps et des best-sellers démagos. Celle qui s'est inspirée de 'Les braves gens ne courent pas les rues' pour choisir le titre d'un de ses meilleurs romans 'Les hommes cruels ne courent pas les rues' et a fait étudier à son héroïne les nouvelles de Flannery O'Connor dans un cours de creative writing...

Longtemps après cette lecture, je m'en suis souvenue et j'ai décidé de suivre à mon tour les braves gens du Sud des Années 1950. Le bilan est toutefois un peu mitigé : j'ai beaucoup apprécié le style, à la fois précis et très évocateur, ainsi que la façon de camper en 5 lignes au début de chaque nouvelle une histoire et des personnages. Ca m'a fait penser à Alice Munroe, l'écrivain qui m'a fait aimer les nouvelles. Une qualité d'écriture qui ne court pas les rues...

Cela dit, c'est difficile d'être marqué par des histoires si courtes, tantôt vaines et tantôt insensées, en tout cas au message souvent mystérieux pour moi. Ainsi des deux premières nouvelles du recueil, celles du serial-killer en vacances et du petit garçon qui se jette dans le fleuve, que j'ai terminées en me demandant 'et alors ?'. J'ai mieux aimé 'La personne déplacée', chronique brillante et terrifiante du racisme et de la méchanceté ordinaires ou même 'Un heureux événement' qui nous met dans la tête d'une drôle de femme...

Parfois datées et pas politiquement correctes dans leur vocabulaire, les histoires nous plongent vraiment dans les Etats du Sud des Etats-Unis juste après la seconde guerre mondiale. Une ambiance très rurale, souvent déprimante avec son lot d'intolérance, de bêtise et d'obscurantisme religieux. Mais une ambiance intéressante à découvrir.
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A l'époque où les WASP (White Anglo-Saxon Protestant) dominent les grandes villes et occupent les hautes sphères du pouvoir, dans les années 50, Flannery O'Connor, native du Sud, écrit ses nouvelles inspirées par l'Amérique profonde et ses grands espaces où se déploient des personnages étranges et surprenants, énigmatiques, truculents ou misérables. Un monde perdu et disparu où Noirs et Blancs se côtoient -en se regardant de travers-, l'évocation d'une certaine misère sociale, une succession d'histoires parfois très courtes, ponctuées de chutes parfois brutales. Racontées avec humour ou intensité dramatique, certaines de ces nouvelles-mais moins de la moitié selon moi- bien ciselées illustrent ce passé lointain d'une Amérique peu connue…
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Dans mon voyage littéraire interstellaire, ce sont comme autant d'astres à découvrir, d'étoiles qui me clignent de l'oeil, ces autrices et auteurs mythiques que j'ai la chance enfin d'approcher, parmi lesquelles la grande Flannery O'Connor, qui malgré une vie brève et marquée par une maladie incurable, a produit une oeuvre littéraire stupéfiante, qui ne ressemble à aucune autre.

Et j'en débute la lecture par celle du célèbre recueil de dix nouvelles « Les braves gens ne courent pas les rues », dont la première donne son titre au livre. Une lecture que je projetais de faire depuis longtemps, et voilà que c'est accompli, donnant l'envie d'en lire d'autres et je projette de poursuivre ma découverte par « Mon mal vient de plus loin ».

Une oeuvre féroce dans sa description cruelle de toutes les facettes du mal, de la bêtise à la méchanceté, et féroce aussi par son humour qui donne encore plus de relief aux travers détestables de notre humanité.
Mais, selon l'autrice, catholique convaincue et fervente, dans un Sud des Etats-Unis où la tradition protestante sert souvent de paravent aux pires comportements, cette vision où les humains sont mesquins, bêtes et méchants, c'est celle d'une humanité ratée qui ne peut être sauvée que par la rédemption divine (Ceci dit, on n'est pas obligé de la croire totalement pour la lire!)

Car dans toutes ces nouvelles, ce sont des êtres au mieux d'une grande bêtise, comme ce grand-père borné et raciste de « le Nègre factice », qui, en voulant montrer à son petit- fils ce qu'est la grande ville, se perdra, et ne devra son salut qu'à un noir de cette ville, ou bien ces deux jeunes écervelées de « Les temples du Saint-Esprit », ou encore cette femme rondouillarde qui refuse avec force l'idée d'enfanter et sur laquelle s'abat une grossesse qu'elle nie dans «Un heureux évènement » , ou enfin ce grotesque général de cent quatre ans, amateur de jolies filles, qui assiste à la soutenance de Thèse de sa fille de soixante six ans!
Mais il y a aussi des prédicateurs fous dont les discours vont conduire à la mort un enfant exalté dans « le fleuve », un jeune vendeur de bibles qui se révèle être un horrible pervers dans « Braves gens de la campagne », etc…
Et enfin il y a tout ce monde des petits propriétaires blancs, sournois, mesquins, racistes, imbus d'eux-mêmes, dont la cupidité, la volonté de pouvoir sur l''autre, l'employé, donc « l'inférieur», peut conduire au crime atroce dans « La personne déplacée », la plus extraordinaire selon moi des nouvelles, tant par sa construction que par son écriture.
Et pour terminer, celle qui donne le titre au livre, où comment la parole voulue bienfaisante d'une vieille grand-mère sera sans effet sur un féroce assassin évadé de prison.
En fait, tout le monde est bête et/ou méchant, les enfants avec ceux qui les hébergent, la fille avec sa mère, ou son père, le grand-père avec son petit-fils, les propriétaires avec leurs employés, les prêtres, les prédicateurs, personne n'est épargné.

Mais si c'est cruel, qu'est ce que c'est drôle. On rit, jaune certes, mais on rit de toute cette accumulation invraisemblable de la laideur humaine.
Et le lecteur est entrainé par ces histoires, par leur rythme et leur écriture, l'emploi de l'argot, si bien rendu par le traducteur, une personne que l'on oublie souvent, et qui est si importante pour nous restituer la substance d'un livre.
Car il faut lire la façon dont c'est raconté, l'humour décapant, la construction, la concision, l'art de la chute, souvent terrible, parfois moins.
Et puis, Flannery O'Connor est une autrice du Sud des États-Unis, de ce Sud de petites gens, misérables, qu'ils soient blancs, et encore plus « nègres », un mot que l'on ne peut plus écrire, mais qui correspond bien au contexte des années 1930-1940.
Mais aussi une autrice bien différente, de ce que j'ai pu lire jusqu'à présent, de l'autre écrivaine du Sud, Carson McCullers, à l'écriture poétique et pleine d'humanité.
Ici, c'est la description cruelle et tellement drôle de l'être humain dans toute sa bêtise et sa malfaisance .
Mais, bien sûr, il n'y a aucun intérêt à comparer O'Connor et Mc Cullers, c'est comme si on voulait comparer Beethoven et Mozart, Rembrandt et Picasso, les chutes du Niagara et le Lac Majeur, ou même Poutine et Staline (encore que…).
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Citations et extraits (41) Voir plus Ajouter une citation
En août, elle paraîtrait sur l'avant-scène, tandis que derrière elle, sur l'estrade, le général serait assis dans son fauteuil roulant ; fièrement, elle redresserait la tête, comme pour jeter à tous ces malappris : "Regardez le !" c'est mon ancêtre, ce fier et glorieux vieillard qui incarne les antiques traditions, la Dignité, l'Honneur, le Courage ! Regardez -le !"....
Quant à lui, il n'aurait sans doute pas accepté d'assister à sa remise de diplôme si elle ne lui avait promis de lui procurer une place sur la scène. Il adorait cela, quelle que fût la scène. Il se trouvait encore fort bel homme. Au temps où il pouvait se tenir debout, il redressait son petit mètre soixante comme un vrai coq de combat.
Il avait des cheveux blancs qui lui tombaient sur les épaules, et s'il refusait de porter un dentier, c'est qu'il estimait que son profil était plus saisissant ainsi ; et il savait fort bien qu'en uniforme de général, personne, nulle part, ne lui arrivait à la cheville.
Cet uniforme n'était pas celui qu'il avait porté au cours de la guerre entre les Etats. A la vérité, il n'avait pas été général dans cette guerre. Simple fantassin, probablement - il ne se rappelait plus au juste ; en réalité, le souvenir de cette guerre était mort en lui, tout comme ses pieds, qui maintenant pendaient ratatinés à l'extrémité de son corps enseveli sous une couverture gris-bleu que Sally Poker avait faite au crochet en sa prime jeunesse. Il avait tout oublié de la guerre hispano-américaine, où il avait perdu un fils ; il ne se rappelait même plus ce fils. L'histoire ne l'intéressait plus, car il ne s'attendait plus à la retrouver sur sa route. Dans son esprit, l'histoire se réduisait à des défilés, et la vie à des parades, et il aimait les parades. Les gens lui demandaient sans cesse s'il se rappelait ceci ou cela - un long cortège noir et morne de questions sur le passé. Pour lui, un seul événement passé gardait un sens, et il l'évoquait volontiers : il y avait douze ans de cela, on lui avait fait présent de son uniforme de général, et on l'avait invité au gala d'Atlanta...
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Pendant tout le week-end, les deux jeunes filles s'appelèrent entre elles Temple I et Temple II, et elles riaient comme des folles, et devenaient si rouges qu'elles en étaient affreuses, Joanne surtour qui, même en temps normal, avait des tâches sur la figure. Elles portaient en arrivant l'uniforme marron du Mont-Sainte-Scholastique mais, leurs valises à peine ouvertes, elles le troquèrent contre une jupe rouge et une blouse criarde. Elles se mirent du rouge à lèvres, prirent leurs chaussures du dimanche, et firent le tour de la maison en talons hauts, ralentissant chaque fois qu'elles passaient devant le long miroir du vestibule pour jeter un coup d'oeil à leurs jambes. Rien n'échappait à la petite. Si une seule était venue, elle aurait sans doute pu jouer avec : comme elles deux grandes ensemble, on la tenait à l'écart, et elle les observait avec méfiance.
Elles avaient quatorze ans - deux ans de plus qu'elle - mais ni l'une ni l'autre n'était une lumière et c'est pourquoi on les avait mises au couvent. Dans une école ordinaire, elles n'auraient rien fait que de penser aux garçons ; au couvent, disait sa mère, les soeurs leur serreraient la vis. Après les avoir observées quelques heures, la petite conclut qu'elles étaient pratiquement idiotes.
Elle se réjouissait à la pensée qu'elles n'étaient même pas des cousines germaines et qu'elle échappait à leur stupidité héréditaire. Suzanne voulait qu'on l'appelât Suzie. Elle était maigre, mais avait un joli petit minois et des cheveux roux. Ceux de Joanne étaient blonds et frisaient naturellement, mais elle parlait du nez et quand elle riait de grosses taches violacées paraissaient sur ses joues. Elles ne disaient jamais rien d'intelligent, et toutes leurs phrases commençaient ainsi : "Tu sais, ce garçon que je connais bien..."
Elles devaient rester tout le week-end, et la mère de la petite avoua, au cours du repas, qu'elle ne savait pas comment les distraire, car elle ne connaissait aucun garçon de leur âge. Sur quoi la petit eut une idée de génie et s'écria : " Mais il y a Cheat ! qu'on fasse venir Cheat ! Dites à Miss Kirby de faire venir Cheat pour qu'il les sorte ! et elle faillit s'étrangler en avalant de travers. Elle se tordait de rire en regardant les deux filles éberluées, frappait la table du poing, et les larmes roulaient sur ses joues rebondies, et les crochets de son appareil dentaire lançaient des éclairs métalliques. C'était bien la première fois qu'elle pensait à quelque chose d'aussi drôle.
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Elles avaient rassemblé quelques meubles dépareillés et, avec la toile des sacs de grain pour les poules, elles avaient fait des rideaux à fleurs, deux rouges et un vert, parce qu'il n'y avait pas assez de sacs rouges. Mrs Mc Intyre avait déclaré qu'elle n'était pas cousue d'or et qu'elle ne pouvait se permettre d'acheter des vrais rideaux. "Ils savent même pas parler, avait dit Mrs Shortley ; comment voulez-vous qu'ils sachent ce que c'est que des couleurs ?" Mrs Mc Intyre avait ajouté qu'après tout ce qu'ils avaient enduré ils devaient se contenter de ce qu'on leur donnait et dire merci. "Imaginez comme ils doivent être heureux de s'être échappés de là-bas, et d'arriver dans une maison pareille !"
Mrs Shortley se rappela un film d'actualités qu'elle avait vu un jour : une petite pièce où s'entassaient jusqu'au plafond des cadavres nus - bras et jambes entremêlés, une tête enfouie ici, là un pied, un genou, des parties du corps qui auraient dû être voilées et qui dépassaient, une main tendue qui ne saisissait que le vide... C'était le genre de choses qui arrivaient tous les jours en Europe, où les gens n'étaient pas aussi avancés qu'ici. Du haut de son observatoire, Mrs Shortley eut l'intuition soudaine que les Gobblehook, comme des rats porteurs de puces vous amènent la typhoïde, allaient peut-être apporter ici même les moeurs sanguinaires d'au-delà l'Océan. S'ils venaient de ces pays où on leur faisait subir ce genre de choses, qui pouvait dire qu'ils n'essaieraient pas d'en faire autant aux autres ?
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Le général Sash avait cent quatre ans. […] Ses pieds étaient complètement morts maintenant, ses genoux grinçaient comme de vieux gonds, ses reins fonctionnaient quand bon leur semblait, mais son cœur continuait de battre avec une obstination farouche. Passé et avenir se confondaient dans son esprit, le premier tombé dans l'oubli et l'autre hors de portée de sa mémoire ; mourir n'avait guère plus de sens pour lui que pour un quelconque animal. Tous les ans, le jour du Souvenir des Confédérés, on l'empaquetait et on le prêtait au Musée du Capitole ; il y était exposé entre treize et seize heures, dans une salle qui sentait le moisi, pleine de vieilles photographies, de vieux uniformes, de vieux canons et de documents historiques, le tout soigneusement disposé dans des vitrines pour empêcher les enfants d'y toucher. Il portait son uniforme de général, celui du gala, et restait assis, rigide, le sourcil menaçant, sur une petite plate-forme entourée d'une corde. Rien ne suggérait qu'il fût en vie, sauf, de temps à autre, un mouvement de ses yeux laiteux et gris ; une fois pourtant, un gamin avait touché son épée : son bras s'était détendu et, d'une claque, avait repoussé la main de l'audacieux.

TARDIVE RENCONTRE AVEC L'ENNEMI.
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Il dit qu'il allait même faire remarcher la voiture. Il avait soulevé le capot, étudié les organes du moteur, et il était en mesure d'affirmer que cette voiture avait été construite au temps où les voitures étaient vraiment construites. « Maintenant, dit-il, un ouvrier met un boulon, un autre un deuxième boulon, un autre un troisième boulon, si bien qu'il faut un homme par boulon. […] Mais si vous n'aviez qu'un homme […] cet homme prendrait de l'intérêt à la construire, elle serait donc meilleure. » La vieille femme approuva ce raisonnement. Puis Mr. Shiftlet déclara que ce qui n'allait pas dans le monde, c'était que les gens se moquaient de tout, que personne ne voulait se donner du mal et mettre le temps qu'il fallait.

C'EST PEUT-ÊTRE VOTRE VIE QUE VOUS SAUVEZ.
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