Très attirée par les journaux et correspondances j'ai eu très envie de lire celui-ci alors que je ne goûte que très peu les romans de
Joyce Carol Oates, le billet très admiratif de
Frédéric Ferney a fini de me convaincre.
A l'origine un journal de 4000 pages, l'éditeur a fait une sélection et chaque année est introduite par un résumé des événements marquant pour JC Oates : changement d'université, changement d'éditeur, succès littéraires.
Toutes les pages sont centrées sur l'écriture, son travail d'enseignante, les relations amicales et la vie quotidienne.
On y voit une femme écrivain au travail, le plus souvent totalement absorbée par l'avancée de ses romans.
Ecrivain prolifique, les romans s'enchaînent de façon vertigineuse et il est parfois question d'un « embouteillage de manuscrits »
Elle a une capacité de travail énorme car entre les romans ou en même temps qu'elle y travaille, elle ajoute des nouvelles, des essais littéraires :
Dostoievski, Kafka. Elle dit d'elle même « Je me sens assiéger par les mots »
On découvre dans le journal un écrivain assez insensible aux critiques bonnes ou mauvaises mais lorsque les critiques deviennent très bonnes pour
Bellefleur elle avoue « Une critique positive dans le Times est analogue à ...quoi ? Se voir annoncer qu'on n'a pas le cancer. »
De nombreuses pages sont consacrées à ses lectures qui sont très éclectiques et dont elle parle sans langue de bois « Je soupçonne
Rilke d'être largement surestimé » et sait défendre ce qu'elle aime « on perd fort peu de chose en ne lisant pas une critique de
Whitman..on perd la moitié de la terre en ne lisant pas
Whitman »
Ses lectures sont souvent dictées par son travail d'enseignante qui lui donne l'occasion de relire avec plaisir « lisons nous jamais d
eux fois le même livre ? lisons nous le même livre que celui que lisent les autres ? »
Au gré des pages on rencontre
Virginia Woolf dont
elle se sent proche, James, Joyce, Wilde, les soeurs Brontë. Elle parvient encore à assister à des soirées consacrées à écouter ou à lire de la
poésie en public.
C'est un bain littéraire permanent ! Tous les gestes de la vie quotidienne sont l'occasion de méditer sur une nouv
elle, sur un roman ou sur une lecture. Boulimique ? sans doute et cette boulimie fait pendant à son anorexie « une forme maîtrisée et prolongée du suicide » dont elle parle avec une grande pudeur.
J'ai été passionnée par les pages qu'elle consacre à sa vie d'enseignante. Son intérêt, je dirais son amour des étudiants transparaît, elle aime enseigner et préparer ses cours, corriger les travaux de ses étudiants « Une grande partie de mon inspiration me vient quand j'enseigne. J'aime l'interaction entre l'esprit des étudiants et le mien ».
La musique occupe une grande place dans la vie de
Joyce Carol Oates, elle passe des heures (où prend-
elle se temps ?) à apprendre les sonates et préludes de Chopin, elle met la même énergie au piano que sur sa machine à écrire. Elle est excessive en tout, en musique comme dans l'écriture. « J'écoute les Préludes presque tous les jours depuis un bon moment, et je me verrais bien consacrer les vingt prochaines années à ces vingt quatre
oeuvres »
Elle garde beaucoup de discrétion sur sa vie de couple et est horrifiée par le dévoilement de la vie intime d'un écrivain, à propos d'
Emily Dickinson et de ses lettres elle dit « l'exhumation systématique, impitoyable, de tous les secrets par les universitaires, les critiques et les voyeurs est épouvantable »
Aucunes confidences intimes mais quelques jolies pages sur son amour indéfectible pour son mari «Intelligence. Bonté. Patience. » son admiration pour lui et son travail. Ses amis importent beaucoup et des pages émouvantes sont consacrés à certains d'entre
eux,
J'ai été touchée par la simplicité et la sincérité de ce journal,j'ai lu ces pages avec un grand intérêt mais surprise de l'absence totale de pages sur le monde et les événements politiques ou sociaux durant ces années.
Cette absence accentue l'impression d'immersion totale dans la littérature et l'écriture.
C'est l'autoportrait vivant et attachant d'un écrivain