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Critique de doyoulikefrogs


Bon, ça y 'est. C'est parti. Je m'attèle enfin à cette chronique. La chronique d'un pavé de 802 pages. Je ne vous cache pas mon appréhension avant de commencer la lecture et cette inquiétude était toujours présente au début du livre pendant les quarante premières pages, où les personnages et le style narratif de l'auteur prêtent à confusion. Et j'ai pris des notes, oui, car c'est dense, complexe mais intense! Une lecture qui n'est pas de tout repos et qui ne laisse pas de marbre.

La première chose qu'il faut savoir c'est que ce livre ne laisse pas le lecteur impassible. Il met en colère, surprend, effraie, émeut. C'est tout ce que l'on demande à un livre, n'est-ce pas ? A travers le regard et la plume vive et intelligente de l'auteur, nous retournons dans un passé trouble. En cela l'oeuvre de Joyce Carol Oates est une oeuvre qui va aux fondements de l'Amérique, qui en prend les racines et les tord et les entortille pour mieux transgresser les codes du roman et nous promener à gauche et à droite sans nous lasser.

Il y a des moments majeurs dans ce roman dont l'efficacité est indéniable et la puissance littéraire incroyable ! Ce que j'ai absolument adoré dans ce roman c'est que l'auteur se joue des codes de la chronique historique. Ce thème si bien utilisé dans des romans du mythe faustien chez Goethe et Thomas Mann que j'ai adoré étudier à la fac !

D'ailleurs le mythe faustien n'est pas bien loin. La tentation du Diable, du pacte avec le Diable, l'incompréhension face à la violence des hommes et l'homme face à ses péchés entrainèrent une lecture de la Bible très exigeante et déviant de sa source originale. Parlons des sources. Joyce Carol Oates est maligne. Elle nous entraîne, à travers l'enquête d'un pseudo historien, au coeur de l'Amérique des années 1900. Avec Woodrow Wilson et consorts à l'université de Princeton. Ce milieu universitaire qui ne se suffit plus à lui-même part à la dérive, à l'image même du Faust de Goethe ou celui de Thomas Mann, qui finissent dans le sectarisme et l'occulte (même si celui de Goethe se termine bien). C'est l'histoire d'une décadence américaine, d'un puritanisme outrancier, d'une religion qui ne regarde pas les "autres", les "différents", les Noirs, les faibles, les femmes, les gens de gauche, les pauvres... C'est l'histoire d'une société qui se délite petit à petit (et aujourd'hui mesdames et messieurs, l'Amérique hérite de Trump !). C'est l'histoire de la folie des hommes qui comme à la Renaissance et au Moyen Âge prêtaient des causes magiques et occultes à l'incompréhensible. "L'indicible" comme Joyce Carol Oates l'écrit.

Les personnages sont effrayants, truculents, drôles, émouvants, bizarres parfois. Elle a l'art de nous les faire adopter immédiatement malgré que la plupart soit des monstres...

On retrouve avec délectation des références gothiques dans la grande veine romanesque de l'Amérique. Des références anglo-saxonnes, telles que "La chute de la maison Usher" d'Edgar Allan Poe, avec ces marais qui entourent la demeure du royaume des Marécages où Todd Slade jouera une partie de Dames magistrale ! Des références au Prométhée grec mais aussi à celui plus moderne de l'oeuvre de Mary Shelley, avec un style narratif semblable de mise en abîme. L'auteur se joue aussi des enquêtes du célèbre détective Sherlock Holmes en le faisant "apparaître" dans ce roman, quel plaisir ! On retrouve des références à Jane Eyre et à son Mr Rochester, lecture de femme pour les femmes à l'époque... mais aussi des thème de la Renaissance: le style narratif de la chronique historique, les thèmes de l'occulte, de la magie noire, du puritanisme (comme autrefois Luther contre le Pape catholique), les thèmes de l'hermétisme et du secret, le thème donc faustien dont j'ai parlé ci-dessus, la question philosophique néo platonicienne de l'essence de l'être et du savoir.

Et puis il y a cette malédiction. Qui traîne et traîne tout au long du livre, emportant avec force et démonstration tous les personnages un par un vers la folie ou la mort. On retrouve des aspects de la société de l'époque qui nous frappent aujourd'hui tant ils paraissent arriérés : le traitement des femmes (quasi toujours hystériques, des objets et des ventres pour enfanter), le fait qu'à cette époque un homme qui enlevait une femme pouvait ruiner sa réputation et celle de sa famille entière (un peu à l'image de ce qui arrive aux Bennet de Jane Austen). Mais ce qu'il y'a de bien dans ce roman c'est qu'il contient l'essence de l'Amérique: si tu tombes tu te relèves et ça n'est pas une "malédiction" qui fera chuter l'élite américaine, non. Tout finira par renaître de ses propres cendres. L'Amérique ou le symbole du phénix.

Le style de l'auteur est parfait, passant du narrateur fictif historien, érudit, au journal intime d'une dame un peu parano, en passant par la correspondance écrite d'autres membres importants de Princeton ou encore dans la retranscription de documents divers et variés, avec les codes de la mise en forme du texte de la transcription des véritables historiens (ça m'a rappelé mes propres études!!). L'esthétique du roman est pour une grande part dans la réussite de cette oeuvre gigantesque.

L'excitation arrive à son paroxysme à la fin du roman. Les derniers "chapitres" sont de véritables "page-turners" et en un tour de main, l'auteur nous emmène là où on ne s'attendait pas à se retrouver!

Ce roman est un chef d'oeuvre. Surtout pour moi qui ai fait des études de littérature et civilisation anglaises et des études d'histoire de la Renaissance, j'ai franchement adoré. Ce qui n'est pas "raisonnable" suscite toujours à travers les âges le mystérieux et la magie, et cela l'auteur l'a très bien retranscrit. Dans ce roman nous sommes en 1900 et des poussières, mais on a vraiment l'impression d'être à la fin du Moyen Âge, dans l'obscurantisme total (vous savez le Ku Klux Klan et compagnie...), avec toujours cette kabbale, cette recherche métaphysique, cette quête inépuisable de l'homme pour atteindre "Dieu" ou plutôt pour être et exister pleinement sur cette Terre cruelle et sauvage.

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