Adeline Mowbray, jeune fille férue de philosophie, décide, après avoir lu un virulent traité contre le mariage, que celui-ci est une institution dépassée. Elle refuse par conséquent de se marier avec Frederic Glenmurray (l'auteur dudit traité, dont elle est tombée amoureuse) et choisit de vivre avec lui en tant qu'égale sexuelle. Bien qu'Adeline soit intelligente, honnête et parfaitement intègre, elle est condamnée par la société, reniée par sa mère (qui semblait pourtant initialement partager ses idées anticonformistes) et par la plupart de ses « respectables » amis et parfois harcelée par des hommes qui supposent de son mode de vie contraire aux moeurs en vigueur qu'elle est sexuellement disponible…
Ce bien curieux roman de 1804, à mi-chemin entre la comédie de moeurs et le pamphlet, nous entraîne assez loin de
Jane Austen, la plus célèbre des contemporaines de l'auteur : toutes deux sont également lucides mais, là où Austen use de l'ironie pour se moquer des conventions de la bonne société de son époque et dénoncer le sort parfois triste fait aux femmes,
Amelia Opie introduit un pied-de-biche entre la porte et le chambranle.
Si, d'un point de vue purement littéraire, son roman est bien moins abouti que ceux de
Jane Austen, il se pourrait en revanche que, sous son apparence mélodramatique, il soit bien plus subversif, surtout quand l'on sait que, sous couvert de morale,
Amelia Opie avait pour objectif de réhabiliter son amie
Mary Wollstonecraft, scandaleuse pionnière anglaise du féminisme (et mère de
Mary Shelley, l'auteur de Frankenstein), mais aussi de faire passer certaines de ses propres idées radicales.
À première vue,
Adeline Mowbray a tout d'une mise en garde à l'usage des femmes (ne pratiquez pas l'union libre, ne transgressez pas les règles, ne vous élevez pas contre les valeurs et les lois de la société…) mais, sous ce déguisement inoffensif (et probablement nécessaire pour ne pas faire scandale), ce roman pose en fait des questions radicales sur les droits des femmes, notamment celui d'être maîtresses de leur sexualité, dans une Angleterre corsetée et terriblement patriarcale. Si le conformisme semble sortir vainqueur (Adeline, profondément usée par l'hostilité à laquelle elle doit sans cesse faire face, finit par renoncer à ses principes et par défendre les lois de la société), le mariage est cependant décrit tout au long du roman comme une institution qui n'apporte aux femmes que souffrances et dépendance à l'homme, alors que la relation librement consentie entre Adeline et son amant Glenmurray, dans laquelle nul ne domine l'autre, est au contraire toujours décrite sous une lumière positive. Sous son conservatisme de façade, et bien que le message qu'il porte ne soit pas totalement dénué d'une certaine ambiguïté, ce roman ressemble donc beaucoup à une dénonciation pour le moins inédite de l'intolérance et des préjugés d'une société confite dans son conformisme.
Roman recommandé à qui s'intéresse à des auteurs tels que
Jane Austen,
Maria Edgeworth,
George Eliot,
Elizabeth Gaskell,
Thomas Hardy ou les soeurs Brontë. le thème de la femme dans la société anglaise du 19e siècle, et notamment celui de la « femme perdue », y est traité sous une forme plus politique et radicale, et de façon étonnamment moderne si l'on songe à la date de sa parution. Ne vous attendez toutefois pas à un indiscutable chef-d'oeuvre :
Adeline Mowbray, quoi que bien écrit, vaut plus par les idées qui y sont développées que par ses qualités littéraires.