Le kaléidoscope de la vie
OU
Un portrait impressionniste.
Jean d'Ormesson s'est convoqué au tribunal et, prenant le rôle du Grand Inquisiteur des Frères Karamazov, se traduit en justice. de quoi s'accuse t-il ? On l'ignore. Rien de bien précis. Ou alors d'avoir vécu. Avec trop de bonheur, peut-être ?
Une vie, un fleuve, tourbillonnant d'anecdotes, d'images, de rencontres...Un bonheur, qui ne demande qu'à se continuer. L'enfance, insouciante, heureuse, solidement enracinée dans l'amour de ses parents, au point d'être à peine marquée par la guerre qui l'entoure. Un bonheur où l'on souhaiterait demeurer, et qui enfante l'indécision : que veux tu faire de ta vie ? Etre heureux... Enfin, puisqu'il faut une réponse plus concrète : j'aime lire, j'aime étudier...
Le choc de la réalité : la khâgne et la rue d'ulm sont remplis de jeunes gens au moins aussi doués que lui et bien plus bûcheurs. Alors on se met à travailler, quand même. Une ambivalence qui ne le quittera plus : il aime traîner mais travaille énormément en prétendant ne rien faire. Elégance d'aristocrate ? Mais l'activité ne semble t-elle pas légère quand on fait ce que l'on aime ? Une aggrégation en philosophie bien qu'il ne se sente pas à l'aise en philo. l'Unesco, des dépits littéraires, les travaux au Figaro, puis les succès en librairie et la coupole. Enfin un endroit où l'on se sente chez soi, un nid ! D'ailleurs, s'il quitte
Le Figaro, c'est pour se consacrer à la littérature, même si la venue d'Hersant et de ses copains a été un déclencheur.
Partitionner la vie de Jean en étapes, comme je viens de le faire, est un non-sens. Il s'agit bien plus d'une croissance, d'un tourbillon de rencontres, amoureuses ou intellectuelles, l'un n'empêchant pas l'autre, au contraire, tourbillon qui est bien plus une fête qu'un processus orienté vers un but prédéfini. Sa vie est une exploration des domaines d'expérience. Une vie riche, dans tous les sens du terme. Une vie de riche, aussi.
La fin du livre est un peu lourde. Jean essaie de dire qu'il est un homme, c.à.d. une instance de la catégorie "homme" : il se définirait comme l'un de ceux qui se disent, se sentent, se vivent humains, bien plus que normalien, académicien ou peut-être même écrivain - ces choses là ne sont que des habits pour l'humain. Un homme donc , avec tout ce que cela implique d'inachevé, d'ambigu, de vulnérable. Mais aussi d'espérance , de beauté fragile, de gloire, même esquissée, dans une vie qui se tend vers l'éternité. Fallait-il, pour cela, convoquer la mécanique quantique, la cosmologie, l'échelle de Planck et même le boson de Higgs ? La littérature, la poésie surtout me semblent plus aptes à rendre justice à l'Homme, tiraillé entre ses limites et ses aspirations.
Malgré ce petit bémol, un grand coup de coeur !