AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de LesPetitesAnalyses


l y a de cela quelques semaines, mon subconscient a déterré les racines du mot carrefour. Elles étaient enfouies dans la cave du langage courant. Et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il y fait un sacré désordre dans cette crypte aux mots ! Pas d'étagères, pas de classement, pas de logique ! Juste des morceaux de langue française entassés les uns sur les autres. On se croirait dans la cave de mes grands-parents, celle où ils entassaient le charbon, ces centaines de milliers de petits précieux noirs déversés à même le sol. Des promesses de chaleur que nous montions à l'étage pour les enfourner dans l'unique poêle de la maison. Dans la cave de mon inconscient, ces cailloux noirs ont disparu, il ne reste qu'un fatras de lettres dans lequel mon cerveau va puiser. C'est de là-bas qu'il a déterré les racines de carrefour et qu'il s'est demandé d'où pouvaient-elles venir.

Il semblerait que ce mot vienne du latin quadrifurcus, littéralement “qui a quatre fourches”, c'est-à-dire le lieu où se divise quatre directions distinctes. La croisée de quatre chemins. En y regardant de plus près, je me dis que la vie (quelle qu'elle soit !) est une succession de carrefours plus ou moins rapprochés. Nous avons toujours le choix de poser des actes et donc d'en assumer les conséquences, soient-elles bonnes ou mauvaises. Se retrouver au milieu d'un carrefour, personne n'y échappe.

Ainsi, que faire du roman 1984 ? le lire, l'oublier, uniquement regarder son adaptation cinématographique ? Cela faisait longtemps que je voulais le lire mais quand il est tombé dans le domaine public j'ai décidé de repousser encore un peu ma lecture. En effet, la notoriété de 1984 n'a jamais atteint un tel degré de popularité et l'oeuvre originale s'est vue affublée d'une furieuse franchise à produits dérivés: bande dessinée, édition collector et re-collector, livres audio, et autres romans illustrés. Ce matraquage fait l'effet inverse chez moi, il me me met à distance. Allez savoir pourquoi. Maintenant que ce déluge d'objets marketing a ralenti, j'ai fini par m'engager dans la voie de la lecture de l'oeuvre originale avec une petite analyse à la clé. 🔑

Mini biographie de Orwell :

Comme pour beaucoup d'oeuvres, la biographie de l'auteur permet déjà de poser un contexte. Cela est d'autant plus vrai avec George Orwell, Éric Arthur Blair de son vrai nom. Né le 25 juin 1903 à Motihari (Inde britannique), le bambin est envoyé dès l'année suivante en Grande-Bretagne afin d'y suivre une scolarité où il finira par croiser la route d'un certain Aldous Huxley comme professeur de français. Ensuite, sa vie de jeune adulte l'emmène dans la police impériale en Birmanie pendant quelques années. Une expérience d'un profond ennui qui tournera même au dégoût. Il revient en Europe dès 1927 et commence à rédiger ses premiers écrits mais le succès n'est pas au rendez-vous. Malgré son appartenance à la moyenne bourgeoisie britannique, Éric Arthur Blair fréquente la misère des prolétaires londoniens. Il continue de publier des écrits sans grand succès et, afin de ne pas mettre à mal la réputation de sa famille, il décide à partir de ce moment d'emprunter le pseudonyme de George Orwell. En 1937, il s'en va en Espagne et rejoint les milices qui combattent l'armée de Franco et ses écriture devient de plus en plus politique. En pleine deuxième guerre mondiale, il devient producteur à la BBC où il diffuse des émissions destinées aux Indes. Enfin, en 1945 il est chroniqueur politique entre la France et l'Allemagne avant de rentrer à Londres suite au décès de sa femme et d'entamer la rédaction de ce qui sera son roman phare : 1984.

Il mourra un 21 janvier 1950, à savoir quelques-mois à peine après la publication du livre.

L'histoire de 1984 :

Des guerres entre les trois grandes puissances mondiales — l'Océania, l'Eurasia et l'Estasia — divisent un monde alternatif depuis les années 1950. Les faits et gestes de chaque citoyen sont strictement contrôlés par une stratégie totalitaire sans limite. Des écrans interactifs installés partout surveillent la population et le tout est compilé, changé, retravaillé dans une ribambelle de ministères.

L'histoire nous propulse ainsi en 1984 où l'on suit la vie de Winston Smith, un londonien de 39 ans. Il travaille au ministère de la Vérité où sa tâche est de réécrire les archives afin de les faire correspondre au à la version officielle du Parti dirigeant. le monde de Winston va changer petit à petit quand il entame, en cachette, la rédaction d'un journal intime. Cet acte réphréensible ne restera pas sans conséquences pour son existence puisqu'il espionné en permanence.

Une critique des totalitarismes :

Le roman 1984 fut écrit dans les années 1940 et l'on ressent clairement la critique, à peine masquée, du socialisme national allemand mais aussi et surtout du communisme. le monde dans lequel vit Winston est à quelques inventions près celui de l'URSS. On retrouve les mêmes ressorts dictatoriaux pour asservir le peuple, à savoir l'extrême censure de la langue, la réécriture de l'Histoire, des points de citoyenneté (cfr. dans le roman, les citoyens reçoivent des points textiles afin de pouvoir s'habiller), le jugement sur la simple expression d'un visage et évidemment le sens du commun poussé jusqu'à l'écoeurement. 1984 partage aussi une similitude criante avec le communisme : L'interdiction de la croyance religieuse qui va jusqu'à bannir le nom de Dieu partout où cela est possible. Seul doit subsister la foi inébranlable dans le parti Parti sous peine de lourdes sanctions :

« – Ah ! Smith ! dit-il Vous aussi !

– Pourquoi vous a-t-on mis dedans ?

– Pour vous dire la vérité… – Il s'assit gauchement sur le banc en face de Winston. 

– Il n'y a qu'un crime, n'est-ce pas ? dit-il. 

– Et vous l'avez commis ? 

– Apparemment. 
Il se posa la main sur le front et se pressa les tempes un moment comme s'il essayait de rappeler ses souvenirs. 

– Ce sont des choses qui arrivent, commença-t-il vaguement. J'ai pu trouver une raison, une raison possible, ce qui est sans doute une indiscrétion. Nous sortions une édition définitive des poèmes de Kipling. J'ai laissé le mot « God » à la fin d'un vers. Je ne pouvais faire autrement, ajouta-t-il presque avec indignation en relevant le visage pour regarder Winston. Il était impossible de changer le vers. La rime était « rod ». Savez-vous qu'il n'y a que douze rimes en « rod » dans toute la langue ? Je me suis raclé les méninges pendant des jours, il n'y a pas d'autre rime. »

Ce parallèle avec les pires totalitarismes prend même un tournant décisif quand Winston Smith est arrêté et torturé. Tout y est insoutenable, du rationnement extrême de nourriture, aux séances de rééducation, jusqu'à l'annihilation complète de l'être humain qui n'est pas sans rappeler le nazisme, comme dans cette scène où le tortionnaire du héros explique ses motivations : 

« N'imaginez pas que vous vous sauverez, Winston, quelque complètement que vous vous rendiez à nous. Aucun de ceux qui se sont égarés une fois n'a été épargné. Même si nous voulions vous laisser vivre jusqu'au terme naturel de votre vie, vous ne nous échapperiez encore jamais. Ce qui vous arrive ici vous marquera pour toujours. Comprenez-le d'avance. Nous allons vous écraser jusqu'au point où il n'y a pas de retour. Vous ne guérirez jamais de ce qui vous arrivera, dussiez-vous vivre un millier d'années. Jamais plus vous ne serez capable de sentiments humains ordinaires. Tout sera mort en vous. Vous ne serez plus jamais capable d'amour, d'amitié, de joie de vivre, de rire, de curiosité, de courage, d'intégrité. Vous serez creux. Nous allons vous presser jusqu'à ce que vous soyez vide puis nous vous emplirons de nous-mêmes. Il s'arrêta et fit signe à l'homme à la veste blanche. Winston se rendit compte qu'un lourd appareil était poussé et placé derrière sa tête. O'Brien s'était assis à côté du lit, de sorte que son visage était presque au niveau de celui de Winston. »

La novlangue :

1984 est un roman qui montre les mécanismes de contrôle par la servitude, et un des moyens les plus efficaces réside dans la rationalisation de la langue écrite et orale. George Orwell démontre l'efficacité machiavélique dans la restructuration des mots. Prenez des centaines de milliers de mots, créez des interdits, supprimez l'éventail des nuances et appliquez une couche préfixes et suffixes techniques, vous obtenez alors une langue qui permet de créer du manichéisme et du binaire. Soit vous êtes du bon côté, soit vous êtes un ennemi ! Un instrument de manipulation idéale appelé la novlangue.

Au rang des néologismes inventés par la novlangue du roman, on retrouve le télécran (l'actuel smartphone en somme), le Miniver (ministère de la vérité), le Miniamour (le ministère de l'amour), la double-pensée (le fait d'accepter comme véridique deux faits opposés afin d'éviter tout esprit critique), vaporiser (exterminer), l'angsoc (le socialisme anglais), phonoscript (un outil de reconnaissance vocale), facecrime (une expression du visage jugée comme inacceptable), etc.

À ce titre, 1984 est clairement un roman d'anticipation puisqu'il décrit à merveille l'évolution de la langue anglaise au cours des décennies qui ont suivi l'année de sa publication (1949) et qui continue d'avoir lieu en ce moment même.

Big Brother is watching you :

La modernité ! Voilà sans doute ce qui étonne le plus à la lecture du roman. C'est à se demander comment un écrivain a pu sentir avec autant d'acuité les bouleversements technologiques qui allaient suivre et rendre compte d'un nouveau type de totalitarisme avant que celui-ci n'apparaisse. Les analogies avec l'ère actuelle et les prémices des futures évolutions sont légion dans 1984. On peut, par exemple, noter l'anticipation de Orwell sur les moteurs de recherche sur Internet ou encore l'intelligence artificielle dans les deux extraits suivants :  

« Winston composa sur le télécran les mots : « numéros anciens » et demanda les numéros du journal le Times qui lui étaient nécessaires. Quelques minutes seulement plus tard, ils glissaient du tube pneumatique. Les messages qu'il avait reçus se rapportaient à des articles, ou à des passages d'articles que, pour une raison ou pour une autre, on pensait nécessaire de modifier ou, plutôt, suivant le terme officiel, de rectifier. »

« L'air avait couru dans Londres pendant les dernières semaines. C'était une de ces innombrables chansons, toutes semblables, que la sous-section du Commissariat à la Musique publiait pour les prolétaires. Les paroles de ces chansons étaient composées, sans aucune intervention humaine, par un instrument appelé versificateur. Mais la femme chantait d'une voix si mélodieuse qu'elle transformait en un chant presque agréable la plus horrible stupidité. »

1984 est un classique de la littérature qui n'est pas prêt de perdre ses lettres de noblesse puisqu'il se lit autant comme une critique des puissances dictatoriales du XXème siècle mais aussi comme un roman d'anticipation, une fiction qui aurait été rattrapée (et peut-être dépassée) par la réalité ! En effet, qui pourrait dire que les évolutions technologiques successives récentes ne créent pas une société qui se rapproche de plus en plus de celle du roman ? de la création du premier ordinateur, en passant par internet, aux réseaux sociaux et maintenant l'intelligence artificielle (alias l'IA GPT), … tout porte à croire que la dystopie d'Orwell avait déjà tout imaginé. 😉
Lien : https://lespetitesanalyses.c..
Commenter  J’apprécie          320



Ont apprécié cette critique (32)voir plus




{* *}