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René Solis (Traducteur)Elena Zayas (Traducteur)
EAN : 9782864247555
672 pages
Editions Métailié (06/01/2011)
4.36/5   637 notes
Résumé :
En 2004, Iván, écrivain frustré, responsable d'un misérable cabinet vétérinaire de La Havane, revient sur sa rencontre en 1977 avec un homme mystérieux qui promenait sur la plage deux lévriers barzoï. “L'homme qui aimait les chiens” lui fait des confidences sur Ramón Mercader, l'assassin de Trotski qu'il semble connaître intimement.
Iván reconstruit les trajectoires de Lev Davidovitch Bronstein, dit Trotski, et de Ramón Mercader, alias Jacques Mornard, de la ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (129) Voir plus Ajouter une critique
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Quitter “L'homme qui aimait les chiens”, paru en 2009, c'est achever simultanément trois romans qui sur plus de 700 pages se chevauchent et s'imbriquent les uns dans les autres.
Il faut une passion d'historien, des centaines d'heures de recherche et une plume particulièrement habile pour donner la pleine mesure des purges staliniennes, sujet effrayant s'il en est.

L'auteur cubain Leonardo Padura s'est attaqué à cet Everest d'horreurs, peuplé de vingt millions de morts, en construisant une oeuvre d'une grande originalité sur la forme et suintant la peur de bout en bout.
La trame de son roman s'articule autour de la biographie de trois personnages :
Les deux premiers sont éminemment connus puisqu'il s'agit de Léon Trotski et de son assassin Ramón Mercader.
Le troisième personnage, Iván Cárdenas Maturell, est fictif et exerce la profession de vétérinaire à Cuba. Son talent d'écrivain, tué dans l'oeuf par le régime castriste, est ignoré de tous. A partir de sa rencontre fortuite un jour de 1977 avec le meurtrier de Trotski, il va dans son coin démêler avec obstination l'écheveau des monstruosités inhérentes à l'histoire de l'URSS.

Les dix dernières années de la vie de paria de Trotski sont évoquées avec moult détails. Sont exil de plus de dix ans, décrété par Staline, passe par la Turquie, La France et la Norvège avant de s'achever au Mexique à la Casa Azul appartenant aux peintres Diego Rivera et Frida Kahlo et transformée en camp retranché.
Les grandes lignes de la carrière de Ramón Mercader sont elles aussi brillamment retracées. Combattant dans les rangs des Républicains lors de la guerre civile espagnole puis agent secret au sein du NKVD, c'est lui qui réussit en août 1940 à déjouer la vigilance des gardes du corps de Trotski et à tuer ce dernier d'un violent coup de piolet sur le sommet du crâne.
Un peu comme sur un grand écran divisé en deux parties, le lecteur voit le parcours de vie de la victime et de son meurtrier peu à peu converger vers la forteresse mexicaine : une épopée romanesque d'une grande authenticité.
La fin de vie désabusée de Mercader entre Moscou et La Havane, après vingt années de geôles mexicaines, met l'accent sur la grande désillusion de ce communiste espagnol de la première heure et renvoie le lecteur aux tristes prévisions de Trotski qui sans relâche dénonçait les sombres desseins du camarade Joseph Staline.

Cinq ans avant que n'apparaissent avec Mikhaïl Gorbatchev les mots glasnost et perestroïka, neuf ans avant la chute du mur de Berlin et onze ans avant que ne meurt l'URSS, Jean Ferrat chantait déjà en 1980 l'utopie communiste trahie.
Sa chanson ô combien poignante “Le Bilan” est bien dans le ton du roman “L'homme qui aimait les chiens”. Elle commence ainsi :

“Ah ! ils nous en ont fait avaler des couleuvres
De Prague à Budapest, de Sofia à Moscou
Les staliniens zélés qui mettaient tout en oeuvre
Pour vous faire signer les aveux les plus fous
Vous aviez combattu partout la bête immonde
Des brigades d'Espagne à celles des maquis
Votre jeunesse était l'Histoire de ce monde
Vous aviez nom Kostov ou London ou Slansky…”



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« D'où m'est venue l'idée que moi, Ivan Cardenas Maturell, je voulais écrire et même peut-être publier ce livre ? D'où avais je sorti que dans une autre vie lointaine, j'avais prétendu et cru être écrivain ? L'unique réponse à ma portée était que cette histoire m'avait poursuivi parce qu'elle avait besoin que quelqu'un l'écrive. Et cette sacrée garce m'avait choisi moi, justement moi ! »

La Havane en 2004. Ivan regarde les fossoyeurs descendre, avec désinvolture, le cercueil d'Ana dans la fosse ouverte. Ana, si essentielle à l'existence d'Ivan. Ana pour qui vivre était devenu un enfer. Ana qui s'était battue jusqu'au bout de ses forces, venait enfin d'obtenir ce qu'elle et lui avait tant souhaité et que murmurait le Pasteur « Repos et Paix ».
C'est toujours Ana qui avec sa force de conviction, après avoir lu les quelques feuillets, qu'Ivan avait écrits sous une subite impulsion, puis mis de côté, sans parvenir vraiment à retranscrire, tétanisé, le souvenir de ces différentes rencontres qui avaient débuté au printemps 1977 avec l'homme qu'Ivan avait surnommé « L'homme qui aimait les chiens ». Donc, Ana lui avait dit « qu'elle ne comprenait pas comment il était possible que lui, justement lui, n'ait pas écrit un livre sur cette histoire que Dieu avait mise sur son chemin. Ivan lui fit la réponse qu'il avait tant de fois éludée mais la seule qu'il pouvait donner « Je ne l'ai pas écrite parce que j'avais peur » !

Léonardo Padura nous offre un livre remarquable que je ne suis pas prête d'oublier. Sous la forme d'un thriller de six cent cinquante pages, il nous raconte l'endoctrinement et la préparation d'un individu éduqué dans le seul but d'assassiner un autre être humain, Lev Davidovitch Trotsky. Ce dernier mourra des suites de cette agression à l'Hôpital de Mexico, le 22 août 1940.

La construction du roman est conçue de façon à ne jamais lasser le lecteur, bien au contraire, celui-ci tourne les pages avec avidité, impatient de découvrir la suite. Les chapitres sont alternatifs et sont divisés en trois récits distincts mais qui finiront pas se recouper. On assiste à l'ascension en politique de Trotsky, puis à son exclusion et enfin à ses différents exils, pourchassés par la haine de Staline. Un autre récit relate l'histoire de Ramon Mercader, recruté par les agents de Moscou, dans le camp républicain lors de la guerre civile espagnole, et l'impact qu'à eu sa mère, Caridad Mercader, sur la destinée de son fils.

Et enfin Ivan, personnage fictif mais essentiel à la narration, cubain, écrivain émasculé par la censure cubaine qui va être amené à rencontrer « L'homme qui aimait les chiens » et qui, pour qui, pourquoi, à force de conversations intimes, gravement malade, va lui confier son histoire. Une histoire faite de haine, de souffrance, de manipulation, de crime, une véritable plongée au coeur des ténèbres, vision sinistre des machinations élaborées par des hommes. Ivan, dans ce Cuba où l'homme est tout particulièrement contrôlé, où la misère se faufile partout, va se sentir étouffer de peur sous le poids de ses révélations.

Et heureusement, il y a les chiens, ce fil rouge qui unit ces hommes. le chien qui est le symbole de la fidélité jusque dans la mort, guide de l'homme pendant le jour jusqu'à la nuit de la mort.

Au cours de son premier voyage au Mexique, l'auteur a visité, à Coyoacan, la maison fortifiée de Lev Davidovitch Bronstein dit « Trotsky ». Devant son ignorance quant à l'histoire de l'ex-dirigeant bolchevick, Léonardo Padura a ressenti le besoin de s'intéresser de plus près à la destinée des acteurs de ce crime.
Bien que ce récit soit basé à la fois sur l'Histoire de l'Union soviétique mais aussi sur certaines supputations, l'auteur ne laisse rien au hasard, tout est parfaitement maîtrisé lorsque l'on s'est intéressé à la personnalité de Staline. La paranoïa, la manipulation, les purges, les procès truqués, tout y est décrit avec précision et clarté. Ce fut un long travail, quinze ans d'étude, de recherches, à la fois pour s'appuyer sur ce que l'on sait avec certitude mais aussi pour envisager un récit spéculatif qui puisse conserver toute sa cohérence dans l'histoire dramatique de l'utopie du XXème siècle. Léonardo Padura s'est aussi appuyé sur la vie de Ramon Mercader racontée par son frère, Luis Mercader, avec l'aide du journaliste German Sanchez.

Au cours de ma lecture, j'ai retrouvé un passage qui fait référence « au complot des blouses blanches », de Jonathan Brent. J'ai ce livre dans ma bibliothèque. J'ai du renoncer à sa lecture tant j'ai trouvé la narration touffue.

On peut aussi retenir la leçon que dégage ce livre, je dirai sa quintessence, « ne jamais perdre son esprit critique ».
Ce fut un réel plaisir que cette lecture, instructive et passionnante, une plongée dans l'enfer de l'Union Soviétique et le mode d'emploi pour créer un assassin convaincu de la nécessité de son crime. Absolument mémorable!

« Ces dix années furent aussi celles qui virent naître et mourir les espoirs de la perestroïka et, pour beaucoup, celles qui plongèrent dans la stupeur, provoquées par les révélations de la glasnost soviétique, par la découverte des vrais visages de personnages comme Ceausescu, et par le changement d'orientation économique de la Chine, avec la divulgation des horreurs de génocide de la Révolution culturelle menée au nom de la pureté marxiste. Ce furent les années d'une rupture historique qui changerait non seulement l'équilibre politique du monde mais jusqu'aux couleurs des cartes géographiques, jusqu'aux vérités philosophiques et, surtout, qui transformerait les hommes. Ces années furent celles où on traversa le pont qui menait de la croyance enthousiaste en une amélioration possible à la déception devant le constat que le grand rêve mortellement touché et qu'en son nom, on avait même commis des génocides, comme dans le Cambodge de Pol Pot. Ce fut le temps ou se concrétisa la grande désillusion ».


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Le roman historique : peut-être la meilleure et la plus évidente façon pour la littérature d'être « utile » ; lorsque le romancier atteint le sommet de son art, il peut faire avaler la plus indigeste quantité de faits et de dates sans que jamais le lecteur n'ait envie de quitter la classe, ni de regarder les marronniers pousser par la fenêtre... On ne peut que le remercier de nous avoir fait revivre un pan entier de notre Histoire sans avoir à sacrifier au sacro-saint Divertissement…

La mission est ici remplie avec brio ; un colossal morceau d'Histoire, des révolutions russes à la guerre d'Espagne, avec les vies de Trotsky et de son assassin Ramon Mercader comme socles statuaires.

Construction en trois couches — en aller-retour temporel — trois vies, dont une contemporaine cubaine du narrateur, tentation autobiographique, racontant sa vie plutôt tragique, et comme acmé sa relation avec un Mercader en fin d'incroyable parcours, d'une existence qu'aucun romancier n'aurait osé imaginer.

La langue est discrète, efficace, et les effets narratifs s'avèrent au final plutôt rares, ce qui pour un si gros morceau d'Histoire semble à double tranchant, la sobriété finissant par lasser face à une telle montagne de faits ; ce n'est pas que l'on s'ennuie (loin de là), mais on aurait aimé davantage de changements de rythme ou de personnalité romanesque… en parler semble quelque peu difficile, tant ce qui manque à ce livre reste insaisissable, et cette critique n'aidant pas comme elle devrait à synthétiser cela…

La strate cubaine apparait comme le maillon faible : trop pleine de pathos, laissant le lecteur glacé d'effroi devant les questions qu'elle soulève, le narrateur-écrivain potentiellement victime de sa liberté de ton face à un système pseudo-communiste, stalino-castriste en voix de complet essoufflement, questionnant sur la liberté du livre tout en cherchant ce qui aurait pu être suggéré, occulté, en vue de ne pas trop froisser le Régime local, lequel n'est finalement jamais évoqué de front.
Le doute demeure face à cette possible subtilité, laissant de côté ce qui aurait pu définitivement justifier ce tiers de roman, alourdissant au final l'ensemble.

Le parti pris de s'intéresser à l'intimité de personnages dont la simple existence fût soufflé par L Histoire en marche s'affadit par la relative distance conservée. La focale employée apparait floue, incertaine, comme si l'auteur n'avait jamais su correctement établir le degré de familiarité à employer pour cette entreprise.

L'ensemble restant cependant très bien mené, jamais son côté sérieux ne tombant dans l'austérité, garantissant une lecture fluide, remplissant avec succès sa délicate mission de nous conter un si gros pan d'Histoire mondiale, ses relatifs défauts étant aussi gage de qualité, l'équilibre vie privée / vie publique — si périlleux à tenir — se portant ici comme un charme ( haaaa… le flou hamiltonien… ).

Reste que ce roman manque d'une « magie » qu'aurait pu y insuffler par exemple un Albert Sánchez Piñol, ou un Max Aub, Guerre d'Espagne oblige ; toutefois, je m'associe à tous ceux qui vous en recommande la lecture : les canons du roman historique réussi y étant largement réunis.
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Leonardo Padura délaisse les aventures du lieutenant Mario Conde, héros de nombreux de ses polars cubains (voir le dernier et très bon roman, Les brumes du passé), pour s’attaquer au " couple " Léon Trotsky/ Ramon Mercader, la victime et l’assassin. Un grand roman politique sur la puissance destructrice du mensonge, qui mêle avec art fiction et Histoire.

Autant annoncer tout de suite la couleur : voilà, à mon avis, un roman magistral, long certes, mais qu’on ne peut lâcher. Et pourtant la fin de l’histoire est connue… 
 On dévore, captivé. On ferme le livre hébété, bouleversé, époustouflé. Quelle force, quelle puissance de narration pour un si désespérant pan de l'Histoire ! Padura est décidément un immense conteur.

Mexico, 21 août 1940. Ramon Mercader, militant communiste espagnol devenu agent du NKVD, la police secrète russe, assassine d’un coup de piolet Trotsky, chassé par Staline de l’URSS et vivant en exil au Mexique. Si ce fait est célèbre, on connaît cependant très mal les circonstances qui ont précédé l’assassinat, et on est d’autant plus ignorant de la personnalité de Mercader. Padura entreprend, à travers l’itinéraire croisé de ces deux hommes, de nous raconter leur vie jusqu’à leur rencontre au Mexique, itinéraire dense et riche, qui emporte le lecteur à travers les 660 pages de cet impressionnant roman.

La force de l’auteur réside dans le refus de toute facilité et de tout manichéisme. Il fait intervenir un troisième personnage, Ivan, écrivain cubain qui, à la mort de sa femme en 2004, revient sur sa rencontre, vingt-cinq ans auparavant sur la plage de La Havane, avec un vieil homme étrange qui promenait deux magnifiques lévriers. Or, cet "homme qui aimait les chiens " lui fait d’étranges confidences sur Ramón Mercader , l’assassin de Trotsky. Comment le connaît-il aussi intimement ? Qui est cet homme ?

Les péripéties de la vie de l’écrivain brimé par le régime castriste, l’errance douloureuse de Trotsky à travers le monde, l’enrôlement progressif de Mercadier dans la peau d’un tueur… Les séquences se répondent, elles ne sont pas parallèles mais consécutives les unes des autres. D’où une subtilité certaine dans l’art de manier les concepts politiques, de coucher noir sur blanc des vérités longtemps cachées par les institutions officielles, doublée d’un sens de la narration qui fait que le roman reste très fluide. C’est aussi une réflexion sur la façon dont l’utopie la plus importante du XXème siècle, à savoir le communisme, a été pervertie.

L’homme qui aimait les chiens se présente également comme la restitution littéraire de l’un des crimes les plus révélateurs du monde moderne. C’est un roman puissant, qui dégage pourtant une grande mélancolie : les mensonges éhontés élevés au rang de vérités suscitent rapidement un sentiment de tristesse. Et pourtant, quelle énergie, quel tourbillon de personnages, de lieux , d’intrigues ! Quel foisonnement de détails, quel (colossal) travail de documentation on devine à la lecture de ce roman !

" Qui n’était pas victime, serait complice et même plus, bourreau. La terreur et la répression devenaient la politique d’un gouvernement qui faisait de la persécution et du mensonge des institutions d’Etat et un style de vie pour l’ensemble de la société. Etait-il ainsi que l’on construisait la meilleur société ? "

La peur, terrible, diffuse, tient en effet un rôle important dans toute cette histoire, que ce soit dans l’exil de plus en plus solitaire de Trotsky, dans la montée en puissance de Mercadier, l’agent de l’ombre qui se transforme en un soldat dur et obéissant, ou dans le quotidien sordide d’Ivan, elle est presque un personnage à part entière du roman. Dégoût, compassion, désillusions… Au final, le bilan est amer. Mais le talent de Padura est, lui, incontestable. Un livre monumental et passionnant.

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Ce livre aurait pu s'appeler Les hommes qui aimaient les chiens, puisque cet amour est un des points communs entre ces trois hommes. Un autre, et le plus important surement, est le rôle joué par la politique dans leur vie, la politique et tout particulièrement le communisme, système de société « en quête d'un rêve d'égalité qui, dans la vie réelle, était devenu le cauchemar de la majorité. »

Ils sont trois dans ce livre, trois narrations qui alternent, chacune centrée sur un de ces hommes.

Il y a Trotski, que l'on suit dans toutes ses années de paria, une des innombrables victimes de Staline. D'abord relégué dans le froid et l'immensité glacée du Kirghizstan, il errera ensuite de pays en pays, rejeté de toutes parts, en butte à l'hostilité des gouvernements et des partis politiques, malgré le rôle qu'il avait joué dans la révolution russe. de la Turquie, à la France, puis la Norvège et enfin le Mexique, chaque fois cantonné dans une maison de plus en plus fortifiée, redoutant de plus en plus l'attentat qui mettra fin à ses jours, mais incapable d'abandonner la politique, incapable de se contenter de sa famille, dont les membres disparaissent un à un, sacrifiés sur l'autel du communisme, victimes de l'acharnement des deux ennemis, Staline et Trotski.

Il y a aussi Ramon Mercader, ou devrais-je dire Jacques Mornard, jeune communiste espagnol, que l'on viendra trouver au milieu des combats pour le mener vers un destin qu'il ne contrôlera pas. Endoctriné en Russie, il deviendra un instrument de mort, incapable d'échapper à son destin. Était-il complètement convaincu de la justesse de son acte ?
« Il vivait pour la foi, l'obéissance et la haine. Rien du reste n'existait si on ne le lui en donnait pas l'ordre. »

Et enfin Ivan, jeune cubain, vivant les années d'instauration du communisme, en attente de jours meilleurs qui ne viendront pas. Il fait des études de lettres, est publié. Tout heureux, il écrira un second livre dont on lui expliquera qu'il ne correspond pas à l'idéologie cubaine, qu'il porte tort au rêve que doit incarner la société cubaine. Ses rêves à lui finiront au placard, oubliée sa vocation :
« Ou alors, je n'y songeais pas parce qu'en réalité, j'avais tellement oublié que j'avais un jour voulu être écrivain que je ne pensais presque plus comme un écrivain. »
Il rencontrera sur une plage déserte de Cuba, un jour d'hiver, un homme accompagné de deux lévriers Barzoï qui lui contera une drôle d'histoire.

Trois histoires qui s'entremêlent, trois histoires d'hommes broyés par le communisme, les deux premiers certainement autant coupables que victimes, le dernier pris dans le désastre qu'a été le régime communiste à Cuba.

Un roman extrêmement documenté, très riche de références historiques notamment sur la vie de Trotski et les purges staliniennes. Cette abondance de faits sur cette période a un peu freiné le début de ma lecture, je trouvais un peu répétitif cette série de procès, de condamnations, d'exécutions, un peu perdue dans cette avalanche de noms, sur une époque que je connaissais mal. Si vous rencontrez ce même sentiment, n'hésitez pas à poursuivre. Passé le premier quart du roman, j'ai été passionnée par ce que je lisais. Passionnée et en même temps, écoeurée, effarée, incrédule.

Comment cela a-t-il été possible ? Comment tant d'hommes et de femmes ont pu si longtemps croire à ce régime, y adhérer, y convertir des milliers d'autres. Ainsi que l'analyse Padura, c'est la peur qui a contribué à maintenir ce régime en place si longtemps, la peur en Russie, mais aussi à Cuba. Ce mot revient si souvent dans ce roman. Imaginez-vous vivre une vie entière dans la peur ?
« le plus terrible était de savoir que ces épurations affectaient l'ensemble de la société soviétique. Comme il fallait s'y attendre dans un État où régnait la terreur verticale et horizontale, la participation des masses à l'épuration avait certainement contribué à sa progression géométrique : il était impossible de lancer une chasse aux sorcières comme celle que vécut l'URSS sans exacerber les plus bas instincts des gens et, surtout, sans que chaque individu ne fût épouvanté à l'idée d'en être victime, pour n'importe quelle raison et même sans raison. La terreur avait eu pour effet de stimuler la jalousie et la vengeance, en créant une atmosphère d'hystérie collective et, pire encore, d'indifférence au destin des autres. L'épuration se nourrissait d'elle-même et, une fois lancée, elle libérait des forces infernales qui l'obligeaient à aller de l'avant et à s'amplifier… »

Un roman qui décrit de façon magistrale cette période et les mécanismes qui ont permis à ces régimes de prospérer. Un roman très riche, dont le souvenir me hantera longtemps.

Merci à HundredDreams (Sandrine) et mcd30 (Marie-Caroline) avec qui j'ai partagé cette lecture. Leur enthousiasme a contribué à me faire franchir le cap un peu difficile pour moi de cette énumération de purges et de procès.
Partant en vacances demain je voulais publier avant. Je serai un peu moins présente sur Babelio tout le mois d'aout. Il y aura quelques critiques, SP oblige, mais je vous lirai moins que d'habitude. Bonnes vacances aux aoutiens, Courage à ceux qui en reviennent.
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critiques presse (2)
Telerama
30 janvier 2013
Ce roman magistral décrit avec justesse et tristesse la chute d'un rêve et l'écroulement de la foi révolutionnaire.
Lire la critique sur le site : Telerama
Lexpress
30 novembre 2011
Ce livre est un requiem, titre que Padura donne d'ailleurs au dernier chapitre de cette oeuvre crépusculaire sur une génération perdue.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (163) Voir plus Ajouter une citation
Assis sur le sable, le dos appuyé au tronc d'un casuarina, j'allumai une cigarette et ferrmai les yeux. Dans une heure le soleil se coucherait, mais comme cela devenait habituel dans ma vie, je n'éprouvais aucune impatience et n'avais aucune expectative. Ou plutôt je n'avais presque rien : et presque sans le presque ! Tout ce qui m'intéressait à ce moment-là, c'était le plaisir de voir arriver le crépuscule, ce cadeau de l'instant fabuleux où le soleil s'approche de la mer argentée du golfe et dessine un sillage de feu à sa surface. Au mois de mars, avec la plage pratiquement déserte, la promesse de cette vision m'apportait une sorte de sérénité, un état proche de l'équilibre qui me réconfortait et me permettait de croire encore à l'existence palpable d'un petit bonheur, fait à la mesure de mes maigres ambitions.
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Trotski en caressant Azteka :

"Sieva lui parle en français, à la cuisine on lui parle espagnol, et moi je lui parle russe expliqua le vieillard. Et il comprend tout le monde. L'intelligence des chiens est un mystère pour les humains. Souvent, je me dis qu'ils sont intellectuellement très supérieurs à nous parce qu'ils ont la capacité de nous comprendre, même en plusieurs langues, et c'est nous qui n'avons pas l'intelligence pour capter leur langage.
- Je crois que vous avez raison ... Sieva dit que vous avez toujours eu des chiens.
- Staline m'a ôté beaucoup de choses, y compris la possibilité d'avoir des chiens. Quand j'ai été expulsé de Moscou, j'ai dû en laisser deux et quand j'ai été exilé, ils ont voulu que je parte sans ma chienne préférée, la seule que j'avais pu emmener à Alma-Ata. Mais Maya a vécu avec nous en Turquie et c'est là que nous l'avons enterrée. C'est avec elle que Sieva a appris à aimer les chiens. C'est vrai, moi j'ai toujours aimé les chiens. Ils ont une bonté et une capacité de fidélité supérieures à celles de bien des hommes.


"
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Puis il s'éloigna dans un coin, suivi de Maya (sa chienne), et s'efforça de chasser de son esprit les paroles que Piatakov lui avait dites, à la fin de cette sordide réunion du Comité central, en 1926, quand Staline, avec l'appui de Boukharine, avait obtenu son expulsion du Politburo et que Lev Davidovitch l'avait accusé devant les camarades d'être devenu le fossoyeur de la Révolution. En sortant, le rouquin Piatakov lui avait dit, en lui parlant à l'oreille selon son habitude : "Pourquoi, mais enfin pourquoi as-tu fait ça?... Il ne te pardonnera jamais cette offense! Il te la fera payer jusqu'à la troisième ou quatrième génération". Serait-ce possible que la haine politique de Staline parvienne à affecter ces jeunes gens qui représentent le meilleur, non seulement de la Révolution, mais de la vie ? se demanda-t-il. Sa bassesse atteindrait-elle Sérioja, lui qui avait appris à lire et à compter à la petite Svetlana Stalina ? Et il fut obligé de répondre que la haine était une maladie imparable tandis qu'il caressait la tête de sa chienne et contemplait pour la dernières fois - il le pressentait dans for intérieur - la ville où trente ans auparavant, il avait épousé pour toujours la Révolution.
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A part mes allées et venues à la plage, ce dont je me rappelle le mieux de cette période, c'est la fébrilité avec laquelle je dévorais cette volumineuse biographie du révolutionnaire nommé Leon Bronstein qui, par la même occasion me faisait découvrir ma prodigieuse ignorance des vérités (vérités?) historiques, sur les circonstances et les faits qu'avait vécus cet homme, des circonstances et des faits si russes et si lointains, à commencer par la révolution d'Octobre (je n'ai jamais très bien compris ce qui s'est passé à Petrograd ce 7 novembre, qui en réalité était le 25 octobre, et comment était tombé le palais d'Hiver qu'à la fin presque personne ne voulait défendre, ce qui entraîna automatiquement le triomphe de la Révolution et donna le pouvoir aux bolcheviks), en continuant par de tout aussi étranges luttes dynastiques entre révolutionnaires, où seul Staline semblait disposé à s'emparer du pouvoir, pour terminer avec les procès de Moscou, pratiquement passés sous silence (pour nous ils semblaient ne jamais avoir existé), où les prévenus étaient les pires accusateurs. A la fin de tout ce défilé de manifestations de "l'âme russe" (quand on ne comprend pas quelque chose chez les Russes, on dit toujours que c'est la faute de leur âme) venait la confirmation de l'assasinat du vieux leader, gommé dans les livres soviétiques qui lui étaient consacrés, car Trotsky (peut-être parce qu'il était ukrainien et non russe) semblait plutôt être mort d'un rhume, ou mieux encore, avalé par un marécage mouvant comme un personnage d'Emilio Salgari.
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Pet-être avait-il déjà à l'époque tendance à se replier sur lui-même , car ses meillers amis ne furent pas ses camarades de d'école ou ses partenaires de sport, mais les deux chiens que son grand-père maternel lui avait offerts en constatant l'attirance de l'enfant pour ces bêtes. Santiago et Cuba, les deux bêtes qui devaient leur noms à la nostalgie du grand-père enrichi en Amérique, étaient arrivés tout bébés de Cantabrie, et Ramòn les adorait. Le dimanche , après la messe, et les après-midi où il rentrait de bonne heure de l'école, l'enfant avait l'habitude de se promener au-delà des limites de la ville, en compagnie des deux labradors, avec lesquels il partageait gâteaux, longues courses et goût pour le silence.
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