« Au commencement était l'Achronie. »
Sur Barbarie, Céleste, Chelterre et Plommée (les quatre planètes d'un lointain système solaire), des colons venus étendre leurs territoires se sont faits emprisonner par un paradoxe temporel. C'est tout juste si les quatre mondes peuvent communiquer entre eux. La guerre couve, chacun rend les autres responsables du piège. Mais voilà que douze portes (trois par planètes) apparaissent comme par magie, permettant à chaque être vivant de se rendre sur les autres mondes… Mais sans savoir ni ou ni quand !
Impossible de se battre selon les règles de l'art. La solution : élire quatre champions, les vouer à s'entretuer et le survivant déclare sa planète grande gagnante.
Oui, mais voilà : c'est Chris qui a été choisi pour représenter Chelterre… Et Chris n'a rien, absolument rien d'un héros – ni même d'un combattant.
C'est le principe, novateur et audacieux, qui m'a attirée en premier lieu. Quelle est la source du paradoxe temporel ? Qui a créé les portes ? Comment sont-elles apparues ? Si entité supérieure il y a, quel est son but ? Pour ce foisonnement de questions, j'ai lu le
Casino Perdu en seulement deux jours.
Michel Pagel a fait preuve de beaucoup d'imagination en montant cette histoire. C'est d'autant plus vrai que les révélations sont surprenantes et pour le moins… Inhabituelles. En arrivant au bout du roman, j'ai eu un moment de flottement. le genre de sentiment qui prouve qu'on a bien accroché et que le livre a eu l'effet escompté.
Le seul bémol du
Casino perdu, c'est le personnage principal.
En fait je ne suis pas honnête : Chris est à la fois un bémol et un point positif. Je ne sais pas vraiment comment je me positionne par rapport à lui. D'un côté c'est un protagoniste auquel on peut s'identifier (il ne sait pas se battre, il n'a pas le profil héroïque, quand des jeunes filles se font agresser dans
le fouiss il fait comme s'il ne voyait rien, s'empresse de descendre et se vomit de n'être pas intervenu), un humain lambda qui nous ressemble. de l'autre, c'est un être vraiment misérable qui m'a fait pitié – mais dans le mauvais sens du terme. Il vit dans des locaux insalubres, gagne sa vie en dealant et dépense son fric pour s'acheter de la drogue… C'est typiquement le genre de personne que j'ai envie de prendre par les épaules et de secouer.
À côté de ça, il y a Agneta, ma chère Agneta. Une femme fatale, évidemment, mais au moins c'est elle qui porte la culotte. Sans elle, aucune histoire n'aurait pu être possible. Sans elle, Chris serait mort le premier jour. Agneta, c'est la femme qui ne s'en laisse conter par personne, qui s'adapte à toutes les situations, qui ne perd jamais son sang-froid. Une sur-femme dont la démesure équilibre le duo qu'elle forme avec cet empoté de Chris.
Mais heureusement ça ne s'arrête pas là – sinon ce binôme aurait été un peu cliché. Évidemment, ils auront une aventure, MAIS… Ils sont tous deux terriblement conscients de n'être pas adaptés l'un à l'autre, et ce n'est pas grave. Ce n'est qu'un flirt, après tout – une relation des temps modernes, sans prise de tête.
Pour tout vous avouer, dans la dernière scène du roman, ils s'embrassent une dernière fois pour se dire adieu et se séparent, sans haine et sans regret. On ne sait pas comment va finir la révolution qui est en marche, on ne sait pas ce que vous devenir les autres champions, ni à quel point les révélations qu'ils cherchent à mettre au grand jour vont être dévastatrices, mais Agneta et Chris ont mis les choses au clair. Et c'est le principal.
C'est amusant, mais leur relation a beau être le véritable pivot de l'histoire, ce n'est pas cette passion absolue et exclusive que dépeignent les romans d'amour. Ce n'est pas un amour pur et fort. C'est juste une relation charnelle accompagnée d'une bonne dose de complicité.
Et j'ai aimé ça, et je suis heureuse qu'ils ne vivent qu'une amourette sans relief parce que ça désacralise le mythe de l'amour absolu. Non, la passion ne dépasse pas toutes les frontières, non elle n'abat pas tous les obstacles (ou pas longtemps : quelques années de mariage en viennent souvent à bout), mais oui, elle est devenu un fantasme malsain tellement elle conditionne notre vision du couple.
Bref : enfin du neuf !
Un autre point intéressant dans ce roman est les caractéristiques de chacune des quatre sociétés.
Céleste (pour prendre l'exemple le plus extrême) est dévouée à son dieu, Kristallah. Souvent en retard sur le plan technologique, cette société est composée de fanatiques plus pieux les uns que les autres. Leur but, évidemment, est de répandre la lumière divine jusque dans le coeur des hérétiques. Qui se doivent de l'accepter sous peine de mort – on ne rigole pas avec un cadeau divin. Et cela a quelque chose de cocasse, puisque leur religion (qui, comme toutes les autres, jure de transmettre la Vérité Unique) est fondée sur un étrange mélange d'islam et de christianisme. Les pratiquants ne semblent même pas le savoir : il semblerait que les deux croyances aient « mutées » au fil des millénaires. C'est ainsi qu'ils se retrouvent à faire le signe
De La Croix et du glaive, à vénérer le Christ Guerrier (dont le nom est Mammet) qui aurait ressuscité en trois heures et détruit ses ennemis. C'est ainsi que les officiants ont le droit de se marier – et plutôt deux fois qu'une !
Bref, la description de Céleste a un charmant goût de cynisme et de manipulation.
Les autres planètes ont moins marqué mon attention : il y a Plommée, sur laquelle il n'y a ni hommes ni femmes, que des soldats. Tous vivent par et pour l'armée et le grade est ce qui importe le plus. Une société hiérarchisée, ordonnée au possible et qui s'estime au-dessus des autres grâce à cela.
Et puis il y a Chelterre : laïcité, démocratie, politiciens véreux, inégalité sociale officieuse… Une société tout comme la nôtre, avec ses qualités et ses défauts.
Et enfin, Barbarie, qui échappe à toutes les catégories puisque c'est une planète colonisée par des extraterrestres (aussi appelés E.N.H.P. : Entités Non-Humaines Polymorphes, ou piou-piou).
Bref, un univers riche, bien construit, une narration agréable et des personnages qui sonnent vrai. J'ai passé un bon moment avec le
Casino perdu.