Les mots sont importants car ils constituent les couleurs de l’écrivain classique ; on n’insiste pas assez sur le temps passé par les grands peintres à préparer leurs couleurs, à les choisir, à les atteindre. Une fois qu’on a la bonne couleur, le reste vient tout seul. La note de couleur commande à tout le tableau, elle l’oriente comme il faut ; même chose pour le mot et la page, sauf que les mots d’une langue n’existent qu’en nombre limité. Au total, ils sont environ soixante mille, et seuls dix mille d’entre eux seront vraiment compris par tous les gens, et seuls cinq mille seront utilisés dans un récit de fiction. L’écrivain classique, une fois qu’il a ses mots, doit encore respecter la mesure, la cadence, l’exacte musique. Cela vient tout seul, mais il faut quand même faire attention parfois.
Il fronce les sourcils, il se frotte les yeux, il pense avoir mal vu et il regarde encore. L’écrivain classique, un matin, aperçoit soudain dans sa ville quelque chose dont il a déjà lu l’exacte description. Non pas une narration évoquant ce qu’il est en train de regarder à présent, mais au contraire la même chose, la réplique parfaite, sous la forme écrite, de ce que la réalité, visuelle et en relief, olfactive, sonore, lui propose maintenant.
Marc Pautrel - Un merveilleux souvenir