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Quatuor du Yorkshire tome 4 sur 4

Daniel Lemoine (Traducteur)
EAN : 9782743617561
594 pages
Payot et Rivages (03/01/2008)
4.2/5   76 notes
Résumé :
En mai 1983, à la veille d’élections générales que la Dame de fer et le parti conservateur remporteront triomphalement, la petite Hazel Atkins est enlevée à Morley où, en 1974, Clare Kemplay avait disparu (voir 1974 du même auteur). Même si les instances dirigeantes de la police refusent d’établir un lien entre les deux affaires, d’autres jeunes victimes disparues avant Clare refont inévitablement surface : Susan Ridyard et Jeanette Garland. On s’en souvient, c’est ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Et je referme ce chef d'oeuvre sur "Total Eclipse of the Heart" de Bonnie Tyler, hymne du dénouement... FUCKIN'HELL. Le meilleur roman noir que j'ai lu depuis bien longtemps, l'apothéose de la saga du Yorkshire de David Peace, dans la boue, dans le sang, dans l'horreur, dans la nuit (désolé, son style est contagieux, j'en écris même des pastiches à une heure du matin!)...

En parlant d'écriture, je l'ai plébiscitée dans les deux précédents volets, mais c'est bien dans ce dernier tome, comme l'intrigue et la narration, qu'elle atteint des sommets. Les jets de mitraillette, les jeux rythmiques, les phrases interminables, les formules qui reviennent sans cesse, obsédant un personnage, sont au rendez-vous, mais il y a cette fois trois personnages principaux, Ellroy-style. Un narré à la première personne, un à la deuxième (!!!), un à la troisième! Dur de s'habituer à cette alternance au début, mais ça crée très vite un effet génial, à mesure qu'on s'attache à eux et à ce qui va se passer. Je ne m'attendais pas à une conclusion aussi fracassante de la saga, râlais quant au retour annoncé sur l'affaire pédophile de 1974... J'avais tort. Étrangement, le premier tome est celui que j'ai le plus critiqué, qui est le plus controversé, l'épreuve du feu que tous les lecteurs subissent et dont ils ne ressortent pas indemnes, parfois vaccinés à vie contre cet auteur... Mais il en devient à long terme le plus mémorable, la douche glacée sous laquelle on a été poussé par derrière et dont on se souvient comme d'un bizutage traumatique.

Le titre de ce dernier acte, 1983, est en grande partie mensonger. En effet, de nos trois voix, le superintendant Maurice Jobson alias la Chouette, l'avocat John Piggott, et BJ (tous bien connus des tomes précédents où ils faisaient office de persos secondaires), seule celle de Piggott reste en 1983. On croit qu'on va avoir affaire à une sorte de legal thriller laborieux avec la demande d'appel de Michael Myshkin? QUE NENNI!!! Face au trauma d'un quatrième enfant disparu neuf ans après l'affaire Garland/Ridyard/Kemplay alors que le pseudo-coupable croupit en prison, Maurice Jobson nous livre la chronique de sa vie, de 1969 à 1983, et là, ce tome devient juste épique. Tous les personnages décédés, disparus, fous, des tomes précédents, ressurgissent sous nos yeux, jeunes, un peu plus innocents et un peu moins coupables, revenus d'entre les morts dans un bal thanatonique genre Le Temps retrouvé de Proust en roman noir. Retours en force de multiples personnages secondaires dont je dois me retenir avec difficulté de vous dévoiler la teneur détaillée, tant c'est jouissif et inattendu. Tous ces fantômes que nous connaissons des tomes précédents, parfois entre-aperçus, s'avèrent cruciaux dans le déroulement de ces quatorze années, tous ont des influences déterminantes sur les vies de chacun, et Peace nous fait même revisiter des scènes des tomes précédents via le point de vue de la Chouette ou de BJ, révélateur ou au contraire biaisé, dans une maestria absolue et un crescendo frénétique. BJ, lui, cavale entre la toute fin de 1974 au Strafford, jusqu'en... Chut, je dois me taire.

Maurice Jobson, figure ambiguë et étrange des tomes précédents, devient vite THE protagoniste de la saga, tour-à-tour salopard, pathétique, émouvant, insupportable de lâcheté... On comprend tout de sa personnalité grâce à sa génèse tragique, et on repense à Ellroy, qui raconte désormais la jeunesse de ses personnages mythiques dans un nouveau Quatuor... Aurait-il été influencé par ce tome de son disciple fort talentueux, dont on sait qu'il est proche dans la vie? Haha...

1983 étant l'opus des révélations, les scènes clés s'enchaînent, on avale ce tome et en même temps on est secoué et épuisé, on doit s'arrêter mais on ne veut surtout pas, après la revisite de tel ou tel moment anodin ou capital antérieur. Peace nous dit tout, ENFIN, mais il ne serait pas Peace s'il ne laissait pas un bon soupçon d'ambiguité planer à la fin. Au contraire des tomes précédents, les réponses, les satisfactions, les surprises et les émotions compensent tellement la part de brume de la fin qu'on s'en fout allègrement, on accepte que ça fasse partie du jeu, tant le voyage a été génial.

Outre la triple narration, l'usage des trois personnes différentes... Il y a un nouveau jeu permis grâce au décalage temporel des trois récits : le retour de certaines mélopées chez Piggott en 1983, qui appartiennent pourtant à Jobson, s'ils se trouvent sur le même lieu à des époques différentes! De nombreuses sentences entêtantes des romans précédents reviennent aussi, ce qui provoque une sorte de conjugaison de toutes les voix, comme si les personnages, au gré de leur descente dans la folie, fusionnaient tous les uns avec les autres dans le cauchemar éternel du Yorkshire, Cri d'Edward Munch en masse, par-delà le temps... Mentionnons certains passages mémorables (mais il y en a tellement) sans trop spoiler : une scène en 1972 digne du Parrain ou d'un Scorsese, où tout d'un coup, tous se mettent à table, dans tous les sens du terme, les moments chez Piggott, avec les fameuses "branches qui heurtent la vitre", refrain de ce putain de roman puisque quelqu'un d'autre y vivait avant, mais là encore, I just shut the fuck up... Et bien sûr, comment ne pas mentionner les virées éthyliques et lubriques de Piggott, surtout au début dans le chapitre 8, où Peace s'amuse à nous pondre un joyeux mix entre Joyce et Bukowski des plus rigolards!

David Peace se voit intronisé Joyce du polar avec 1983, auteur dérangé, insoutenable pour quiconque un tant soit peu équilibré, avec un style unique toujours plus travaillé, recherché, qui nous plonge dans une spirale infernale dont on ressort chancelant comme un ivrogne... Beaucoup se seront arrêtés à 1974 ou 1977, et c'est vraiment dommage!! Consacrons encore une fois Daniel Lemoine, qui a fait un sacré travail, jusqu'aux phrases et conversations qui reviennent plusieurs tomes après... Quelques fois, on note de légères différences, mais peu importe!

J'encourage vraiment tous les réticents, vu que j'en faisais partie, à lire les trois précédents, à supporter une part de frustration, pour arriver à celui-là qui est plus que la cerise sur le gâteau! Peace a rejoint mes auteurs de polar préférés, et ça tombe bien puisqu'avec Ellroy, il va être l'objet principal de ma thèse, donc OUF. Après, je suis moins convaincu de trouver ma pitance dans ses romans suivants (le Japon, c'est vraiment pas mon truc, le foot encore moins) mais on m'a dit le plus grand bien de GB 84, donc bon... Et le coup des douze voix (!!) dans Tokyo, ville occupée, ça me fait de l'oeil grave.

Après ce sacré morceau qu'est 1983, je vais quand même revenir à Ellroy ou autre chose avant d'affronter la Dame de Fer!!

Terminons par un petit pastiche :

1983.
Bordel.
Putain de tome de ouf dans ma gueule.
À faire pâlir tous les marquis de Sade...
Merde.
Chanteur UMP dans ma tête.
Surtout pas...
Écrire la critique sur Babelio.
Pour oublier.
Oublier.
Et se souvenir.
Souvenirs qu'on veut oublier, oubliés qui veulent qu'on se souvienne.
Les branches heurtent la vitre.
Essayer de tous les convertir, tous, sur ce site, sur ce forum, sur cette putain de bibliothèque virtuelle, tous, ici, les convertir, tous, essayer de tous les convertir, sur ce site, sur ce forum, sur la place mondiale de l'Internet entier, aux yeux de la Chouette, à Clare Kemplay et ses ailes de cygne, à la Viva verte, à Edward Dunford, à Jack Whitehead, à la Chambre 27, au révérend Martin Laws, au Griffin, au Strafford, au Redbeck, essayer, essayer, essayer...
Pour le salut.
Pas de salut.
Les branches heurtent la vitre.

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Lors d'un précédent billet, je vous avais parlé de 1974, chef d'oeuvre de David Peace qui était en fait l'ouverture d'une sombre et sinistre tétralogie chroniquant les affres du Yorkshire et du libéralisme outrancier qui ravagea la région.

En 1977, année du Jubilé, le tueur du Yorkshire sévit depuis plusieurs années, semant la terreur dans la région de Leed alors que la police impuissante s'échine à déployer des moyens considérables, mais inadaptés pour tenter de retrouver ce meurtrier. Nous suivrons le parcours de deux personnages secondaires du premier opus que sont le journaliste Jack Whitehead et le sergent Fraser qui tiennent les premiers rôles de cette tragédie. Car au-delà des apparences, certains crimes attribués à l'éventreur du Yorkshire pourraient révéler des histoires plus sombres qu'une troupe de policiers corrompus souhaiteraient dissimuler à tout jamais. Fraser, Whitehead, enquêteurs chevronnés mais minés par des tragédies personnelles vont-ils parvenir à faire éclater la vérité !?

1980, troisième opus de cette chronique atroce, est le plus linéaire et le plus classique des 4 romans. Peter Hunter, de la police de Manchester est chargé d'analyser la masse de dossiers concernant l'éventreur du Yorkshire qui n'a toujours pas été interpellé. Il continue à sévir en toute impunité et c'est pour cette raison que l'on diligente une enquête parallèle au grand dam des enquêteurs du Yorkshire qui n'apprécient pas cette intrusion. Est-ce seulement par orgueil ou pour d'autres raisons bien plus inavouables que ces policiers s'emploient à mettre des bâtons dans les roues d'un Peter Hunter qui va très vite se retrouver dépassé par les événements et découvrir les sombres magouilles de flic corrompus.

1983 clôture le Red Ridding quartet. Un chant incantatoire à trois voix pour solder les comptes. Tous les comptes.

1ère voix incarnée par le « Je » de Maurice Jobson, alias la Chouette, policier véreux à la tête d'une horde de flics pourris qu'il entraine dans des sombres affaires immobilières, de minables trafics de pronographies et surtout d'enquêtes bâclées avec des tabassages en règle qui se déroule dans le sous-sol d'un commissariat. Une salle d'interrogatoire que l'on surnomme « le Ventre » qui engloutit aveux et dénégations des suspects pour ne régurgiter qu'une « vérité acceptable ». Un soubresaut de conscience poussera ce flic malfaisant à enquêter sur une nouvelle disparition de fillette tout en faisant le lien avec un autre enlèvement datant de 1969. Si les coupable ne sont pas ceux qu'il a désigné, qui peut bien enlever et tuer toutes ces petites victimes !?

Seconde voix incarnée par le « Tu » de John Piggott, avocat minable et alcoolique qui va prendre en charge les affaires de mères désespérées qui savent leurs fils innocents de tous les crimes monstrueux dont ils sont accusés. Ces petites filles qui disparaissent et qui meurent encore et toujours. Il découvrira l'enfer du Ventre, salle d'interrogatoire monstrueuse de la police du Yorkshire qui contraint les hommes à avouer l'inavouable et l'innommable. Qui est le véritable responsable de ces disparitions. John Piggott égrènera les jours qui le mèneront vers cette terrible vérité. Cet enfant du Yorkshire, fils d'un flic déchu, pourra-t-il seulement faire face.

Troisième voix incarné par le « Il » de BJ, petite frappe minable et jeune prostitué malfaisant. C'est le personnage central de toute la série, l'homme qui aiguillera les enquêtes d'Eddie Dunford, de Jack Whitehead et Peter Hunter qui les mèneront tous à leur perte. C'est le personnage qui partagera les derniers instants de certaines des victimes, précédent leur assassinat sauvage. Victime, témoin, c'est surtout le jeune homme qui connaît l'ange du mal manipulateur qui brise les hommes, les femmes et surtout les jeunes fillettes du Yorkshire.

En achevant ce quatuor, vous vous retrouverez laminé par tant de noirceurs et tant de tragédies. Aucun espoir de rédemption pour les protagonistes de ces tragiques épisodes car le Yorkshire engloutit ses secrets sous une trombe de pluies sombres et de boues malfaisantes et pestilentielles. David Peace, bien plus que l'atrocité des meurtres qui émaillent ses récits, s'attache à nous décrire le désespoir des victimes survivantes et surtout les affres des familles et proches qui ont perdu tout espoir avec les atrocités qui les ont frappés. Comme si l'inhumanité des crimes commis renvoyait à la fragile humanité d'hommes et de femmes ordinaires qui se retrouvent plongé dans un enfer sans nom. le style de l'écriture n'est pas sans rappeler celle de James Ellroy, mais pour nous entrainer dans un univers bien plus tragique que la déconstruction de la mythologie du rêve américain. Car Peace nous dépeint le Yorkshire de son enfance. Une région secouée par la fermeture des mines et des entreprises métallurgiques. Une région dépourvue de mythe ! Et c'est par petites touches, par le biais d'annonces radiophoniques, d'entrefilets des quotidiens de la région que l'écrivain nous fait prendre conscience de cette Angleterre qui sombre dans le déclin économique, irrésistiblement attirée par les mirages d'un libéralisme monstrueux qui fera bien plus de victime que l'éventreur du Yorkshire.

David Peace c'est un style féroce et un regard sans complaisance sur une société à la dérive qu'il se plaît à décortiquer sous la lumière impitoyable d'une écriture incandescente.
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Avis sur tétralogie du Yorkshire de David Peace (1974, 1977, 1980, 1983)

J'étais pressé de finir 1983 pour avoir enfin le fin mot de l'histoire, une explication limpide sur ce qui s'est passé durant ces neuf ans, sur qui tire les ficelle derrière tout cela.
Je termine le livre et rien de tout cela. Pas d'explication limpide, veux-je dire. On comprend certains détails mais on n'a pas de conclusion qui éclaire toute l'affaire. Des tas de zones d'ombre persistent et des tas de questions restent sans réponses.

Alors, ma première réaction fut de rester sur ma faim. Je venais de lire 1300 pages d'une lecture éreintante qui me ballote de droite à gauche au milieu de la souffrance de plusieurs personnages ravagés par des secrets enfouis au fond d'eux-même, j'ai souffert avec eux tout ce temps, car comme eux, je veux savoir pourquoi il doivent autant morfler.
Et tout ce que j'obtiens en final c'est: une boite pleine de clés et des tas de portes devant moi!
A moi de me débrouiller avec cela!

Et puis j'y ai réfléchi, et j'ai reconstitué l'histoire. du moins, ma version de l'histoire, ce que moi j'en ai compris, les motivations de chaque personnage et ce qui les a amené à agir de telle ou telle manière, et je me suis rendu compte à quel point cette oeuvre est brillante.
C'est du Lynch en littérature. Peace expose son histoire, il l'envoie en travers de la gueule du lecteur et il lui fait mal, en même temps, il l'accroche, impossible de laisser tomber sans savoir, mais à la fin, il nous laisse conclure. Lire Peace, c'est réfléchir (comme lire Umberto Eco).

Et que dire du style! Hallucinant! J'ai lu des critiques sur internet où bien des lecteurs étaient choqués par le langage (merde, putain qui reviennent sans cesse), ou par les répétitions incessantes (les personnages jettent sans cesse un regard sur leur montre, la scène de torture/interrogatoire au poste de police qui revient une ou deux fois par livre, toujours la même, seule la victime change), et je comprends ce qui les choque: C'est très douloureux à lire. Peace est sans aucune concession envers son lecteur, il le malmène sans cesse.
Je n'ai jamais lu un livre où l'histoire est racontée par plusieurs personnes, chacune présentant son point de vue à la première personne, chaque chapitre changeant de personnage. Là encore on doit à chaque fois faire un effort pour comprendre. Impossible de s'ennuyer en lisant cela. Soit on déteste, soit on adore.

J'ai adoré.

L'amie qui m'en a conseillé la lecture l'a fait suite à une discussion au sujet de James Ellroy. Elle m'a dit: "j'ai trouvé mieux qu'Ellroy, lis la tétralogie du Yorkshire de David Peace"
Et sur internet, ou par les critiques, Peace est souvent rapproché d'Ellroy..
A la suite de cette lecture, je trouve la comparaison avec Ellroy assez injustifiée. Ce n'est pas mieux qu'Ellroy, c'est différent. Plus noir sans doute (cela semblait impossible, pourtant), mais pas mieux. Ellroy utilise aussi les points de vue multiples dans ses livres (par exemple Ed Exley, Jack Vincennes et Bud dans LA confidential sont tous les 3 les personnages principaux), mais il les caractérise mieux. Chez Peace (dans cette oeuvre en tout cas), il sont tous "interchangeables". Pas de différence fondamentale entre le regard qu'ils portent sur les choses et entre les comportements de Eddie Dunford et Jack Whitehead par exemple. Tous les personnages sont en souffrance et dissimulent (à eux-même) un secret indicible. Seul BJ sort du lot, mais comme il le dit à la fin, "il est celui qui s'est échappé". C'est le seul personnage qui n'est pas englué dans sa situation, il fuit et revient pour mettre un terme à tout cela en tuant "le loup".
Cette absence de caractérisation entre les personnages m'a un peu gêné lors de la lecture, mais finalement, cela participe au style: la répétition et le martèlement qui contribuent au malaise du lecteur.

Cela m'a donné envie de relire Ellroy (pour comparer).

Et de lire d'autres livres de Peace. Car son écriture ne m'a pas laissé indifférent, loin s'en faut.
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Voici le dernier volet de la tétralogie nommée "Quartuor du Yorkshire", et, comme pour les autres volumes, David Peace livre une oeuvre d'une violence incroyable.
Souvent comparé au cycle d'Ellroy consacré à Los Angeles, ce qui se justifie, je pense toutefois, comme il est d'ailleurs dit en quatrième de couverture, que l'oeuvre de David Peace lorgne également du côté d'un autre auteur à la noirceur parfois insoutenable, l'anglais Robin Cook (on pourra notamment se référer à des romans comme "Cauchemar dans la rue" ou "On ne meurt que deux fois" pour s'en convaincre).
Le lecteur suit ici les faits et gestes de trois protagonistes principaux: le superintendant Maurice Jobson, dit "La chouette"; l'avocat John Piggott; BJ le paumé. Et l'auteur de multiplier les personnages et les flash-backs.
La lecture n'est pas toujours évidente, en partie en raison du style "haché", des nombreuses références aux autres volumes de la série, de décalages temporels...
A l'instar des autres tomes, la région du Yorkshire est le véritable personnage central, avec sa grisaille qui semble perpétuelle et sa population frappée par la fatalité, région que David Peace célèbre à merveille avec cette litanie.
Un sommet de la littérature contemporaine.
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David Peace ne pouvait sans doute pas mieux clore sa tétralogie du Yorkshire qu'avec "1983" (1).
Non pas parce qu'il nous livre avec cet opus les réponses aux questions que les volumes précédents avaient pu laisser en suspens. le lecteur connaît depuis longtemps -ou aura deviné- l'identité des coupables des crimes perpétrés, et si "1983" comble quelques manques relatifs à l'intrigue, ce n'est pas dans ces bribes de réponse que réside l'intérêt du récit.
Ce n'est pas non plus parce que "1983" pose un point final au marasme qui baignait "1974", "1977" et "1980" : David Peace dépeint depuis le début de cette tétralogie un monde dont l'essence est d'être pourri jusqu'à la moelle, et par conséquent dénué de toute perspective d'embellissement...
Non, si je considère que "1983" représente le parfait achèvement de la tétralogie de David Peace, c'est parce qu'il y atteint le paroxysme de ce qui, dès le premier opus, faisait son empreinte : sa capacité à laisser le lecteur hébété, en l'engluant et le pilonnant tout à la fois... Si l'univers dans lequel il nous fait évoluer est toujours le même, un chaos où règne la peur, la mort, la corruption, jamais il n'était parvenu à nous y engloutir à ce point.

C'est la disparition de la jeune Hazel Atkins, 10 ans, sur les lieux où la petite Clare Morlay avait été enlevée (voir "1974"), qui va agiter les remugles baignant les précédentes enquêtes menées par la police du West Yorkshire, relatives aux meurtres de plusieurs fillettes puis de prostituées.
L'intrigue est présentée sous trois angles différents, abordés par le biais de trois personnages avec lesquels le lecteur aura eu l'occasion de faire connaissance auparavant, de manière plus ou moins succinte.
Il y a le "je" exprimé par le superintendant Maurice Jobson -"la chouette"-, jusque-là plutôt discret, voire même un peu falot, dont nous explorons cette fois les obsessions et aussi la cruauté, au cours d'une narration qui navigue entre 1969, date où tout a commencé, avec le meurtre de la petite Jeannette Garland, 1972 (et l'affaire Susan Ridyard, dont il sera question dans "1974"), et 1983.
Il y a le "tu" qui s'adresse à John Pigott, que nous connaissions comme l'avocat de Bob Fraser (voir "1977"), et qui, à la demande de la mère de Michael Myshkin, inculpé du meurtre de Clare Kemplay, décide de faire appel de cette condamnation.
Il y a enfin le "il" qui désigne Barry -BJ-, seul témoin survivant de la fusillade du Stafford (voir "1974"), indicateur en cavale qui en sait trop sur certaines pratiques policières et sur l'identité de certains gros bonnets impliqués dans de sombres affaires de pédophilie..

David Peace procède avec un acharnement méthodique. Suivant un compte à rebours qui nous emmène vers une conclusion inévitablement glauque (à l'image du reste du récit), il assène ses répétitions, parfois jusqu'à la litanie, nous laissant à bout de souffle, écoeuré face à un univers d'horreur et de fracas, peuplés de mères dévastées par la perte de leurs enfants, d'innocents broyés par l'injustice -quoique, dans le monde de David Peace personne n'est jamais vraiment innocent-, de gardiens de l'ordre iniques et violents, un univers dans lequel tout combat, qu'il soit pour la paix, la justice, le bonheur, est perdu d'avance...
Les personnages y évoluent comme dans un cauchemar, nous aussi, et on ne sait plus très bien si, une fois "1983" refermé, on doit se réjouir de ce qu'il soit terminé, ou se lamenter d'avoir achevé un cycle riche d'un tel talent et d'une telle maîtrise.

(1) Il est plus que recommandé de lire, et dans l'ordre, les quatre volumes qui forment cette tétralogie, sous peine d'être complètement perdu...
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Qu'ils aillent se faire foutre...
Eux et la musique déprimante ainsi que les jingles irritants de la radio, la pluie incessante et le vent tiède, les clébards qui aboient toute la nuit et chient toute la journée, les plats mal cuits et le thé tiède, les boutiques pleines d'objets dont tu ne veux pas à des conditions que tu ne peux pas te permettre, les maisons qui sont des prisons et les prisons qui sont des maisons, l'odeur de la peinture qui masque l'odeur de la peur, les trains qui n'arrivent jamais à l'heure dans des endroits qui se ressemblent tous, les bus que tu n'oses pas prendre et ta voiture qu'on abîme toujours, les déchets qui tournoient, poussés par le vent, dans les rues, les films dans le noir et les promenades dans le parc pour tripoter ou baiser, un doigt ou une queue, le goût de la bière qui émousse celui de la peur, la télévision et le gouvernement, Sue Lawley et Maggie Thatcher, les Argies et les Falklands, UDA et LUFC bombés sur les murs de ta mère, la swastika et la corde au-dessus de sa porte, la merde dans sa boîte aux lettres et la brique à travers sa fenêtre, les coups de téléphone anonymes et les coups de téléphone orduriers, la respiration haletante et la tonalité, les sarcasmes des enfants et les injures de leurs parents, les yeux plein de larmes qui ne brûlent pas à cause du froid mais à cause de la frustration, les mensonges qu'ils disent et la souffrance qu'ils apportent, la solitude et la laideur, la stupidité et la brutalité, l'indifférence perpétuelle et fondamentale de tout le monde, à toutes les minutes, à toutes les heures, tous les jours, tous les mois, toutes les années de toutes les vies.
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Dehors, deux jeunes filles sont assises sur ce qui reste d’un banc. Elles boivent du cidre et du sirop pour la toux. Un chien aboie au passage d’un enfant effrayé dans une poussette, une bouteille de vin vide roule sur le béton. Les filles ont de courtes queues de rat teintes, de grosses jambes marbrées, des vêtements bleu turquoise et des bottes pointues en daim.
Le chien renonce à terrifier le bébé qui hurle, il se tourne vers toi et gronde.
Une des filles dit :
-T’as envie de tirer un coup, gros lard ? C’est dix livres.
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Elle s'en va. Tu dégobilles. Tu t'habilles. Tu dégobilles à nouveau. Tu fermes la porte à clé. Tu hoquettes. Tu descends l'escalier. Tu as un haut-le-coeur. Tu remontes quatre à quatre. Tu dégobilles dans tes mains. Tu ouvres la porte. Tu dégobilles sur le plancher. Tu dégueules. Tu recommences tout à zéro.
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Tu secoues la tête. Tu le dévisages.
La Chouette.
Il dit :
– Au revoir, monsieur Piggott.
Tu pivotes sur toi-même. Tu prends la direction de la porte. Tu t’immobilises. Tu te retournes. Tu dis :
– Vous n’oublierez pas la moto, n’est-ce pas ?
– Je ne l’oublierai pas, monsieur Piggott, répond le superintendant Jobson. Je n’oublie rien.
– À bientôt, donc, tu dis.
– Absolument, répond-il.
Tu jures que tu entends…
Que tu l’entends dire :
Là où il n’y a pas de ténèbres.
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Il conduisait.
Je somnolais, rêvais...
Royaumes souterrains, royaumes oubliés de blaireaux et d'anges, de vers et de villes d'insectes ; cygnes muets sur des lacs noirs tandis que des dragons s'élevaient dans des cieux peints d'étoiles argentées puis plongeaient dans des cavernes mal éclairées où une chouette protégeait trois petites princesses endormies aux ailes minuscules, les protégeait de...
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