Je connaissais l'auteur à travers plusieurs émissions télévisuelles et certaines de ces interventions et j'ai retrouvé son franc-parler ici, à chaque ligne. Une fois le nez dedans, il m'a été difficile de décrocher, surtout que vu la taille des chroniques, la lecture se retrouve encore plus facilitée, et je dirai même, accélérée.
Constitué des chroniques parues dans Charlie Hebdo entre février 2014 et octobre 2015, hommage aussi à ses amis disparus, cet ouvrage est avant une vision personnelle de l'auteur, urgentiste de profession, sur la société actuelle, le système hospitalier français, sur la politique de santé et ses conséquences au quotidien… C'est aussi un regard jeté sur la vie et son cycle naturel, sur l'inconscience, parfois la bêtise mais aussi des éclats de rire au milieu des larmes. Car comment ne pas évoquer ce jour du 7 janvier où l'auteur perd tous ses amis du journal ? Comment ne pas être ému devant le chagrin, l'horreur d'un geste incompréhensible et le saisissement du vide ? Chaque chronique, ne devant pas dépasser « 4000 caractères », est donc une vue directe sur le ressenti et les réflexions de l'auteur sur une situation, un événement, le temps qui passe et la dignité humaine que les économistes et la rentabilité ne prennent plus en compte tout en devenant de plus en plus « inhumains ».
La lecture est aisée, les termes crus et directs mais chaque article amène aussi de quoi penser, de quoi réfléchir à une autre solution, différente de ce qu'on nous impose aujourd'hui. Un vaste champ de « et si » qui laisse rêver à une meilleure prise en charge, dans des conditions convenables, avec des appareils qui fonctionnent, un personnel hospitalier respecté dans leur intégrité et bien reposé, en nombre suffisant, le tout dans des établissements qui ne rechignent pas à accepter un patient, même s'il est très âgé… Car au-delà des vérités dures et de toutes les injustices qu'elles soient sociales, politiques ou toutes autres, c'est également l'humanité et la bienveillance qui s'expriment, l'envie de donner, de sauver, et peut-être de faire bouger un peu les choses à son niveau. Même si on passe ici par le prisme du monde hospitalier, il faut bien voir que c'est le pouls d'un peuple tout entier qui est pris, exploré, examiné afin de comprendre de quoi il souffre au juste… A la fois témoignage et réflexion sur notre système de santé, il est donc intéressant d'avoir ce regard de celui qui est « dedans » afin de mieux saisir les failles et les enjeux, tout en se rendant compte qu'au final, quelque soit le secteur, c'est partout pareil… le constat serait terrifiant si en soit il n'existait pas d'humanistes capables de donner, d'épauler, de sauver même les hommes pris dans l'engrenage d'un système qui s'érode et qui appelle désespérant à un changement de cap. Car la force de l'auteur, c'est bien de remettre l'Homme dans toute sa grandeur, sa souffrance et ses bassesses au centre de son intérêt.
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J'ai lu tous les livres de M. Pelloux, mais celui-ci est, je trouve, le plus touchant. L'émotion y est palpable dans chaque chroniqueur. Lui ce médecin engagé, prêt à se battre pour défendre son système de santé idéal...Lui l'homme fort que je voyais comme un super héros de la médecine...pour la première fois je l'ai senti fragile, brisé par cette haine dont Charlie a fait les frais, un homme meurtri par la perte de sa "famille de coeur"...Lorsque j'ai fermé le livre les larmes me sont montées aux yeux je n'avais qu'une envie trouver M. Pelloux et lui dire "ne flanche pas mec, pas toi tu es fort tu vas continuer à te battre pour les causes que tu crois juste!!! Tu vas y arriver oui tu arriveras à te reconstruire..."
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Bel hommage à ces potes de Charly et des chroniques qui n'ont l'air de rien sur la réalité de notre système de santé, en bien aussi ! Et avec en toile de fond de plus en plus installée relative à cette crise sociale économique et mentale , il remet quelques pendules a l'heure, à son heure à lui, mais c'est un chic type, toubib dans l'âme ...
Lisez le ! Ne serait ce que pour l'hommage à la vie de tous ces morts sans ordonnance ...
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Ma semaine a été trop chargée, alors je vais faire une chronique sur la nécessité de profiter de la vie, un texte fédérateur sur l’humanisme, des mots qui pourraient obtenir un prix dans un Salon de l’agriculture de la littérature. Mais, avant tout, je tiens à exprimer ma colère contre mon téléphone, qui, malgré un abonnement très coûteux, ne fonctionne pas ! Charb n’arrive pas à me joindre ! Il devait venir dîner hier et il n’est pas venu. Il doit avoir un cul à tirer, comme il me dit chaque fois, ou des dessins à rendre pour la CGT ou L’Huma. Pas un SMS, son portable doit être en panne. De toute façon, ses mousquetaires veillent sur lui, alors je m’inquiète pour rien, comme il me dit. En attendant, je vais faire ma chronique. Pleurer des yeux à faire reverdir les déserts avec les paysages les plus beaux. Pleurer de mon corps pour en sortir une énergie si grande que… Quelle heure est-il ? Je vais jamais finir à temps pour le bouclage du journal et Charb va encore m’engueuler en disant : « Chouchou, travaille ! » Demain ne reviendra pas. D’ailleurs, ne pas oublier : il faut que je passe acheter des gâteaux pour Cabu, car il ne mange que ça et il doit revenir dîner à la maison dans la semaine. Nous parlerons de Trenet, et je jouerai à lui faire deviner des morceaux de jazz, et il gagnera. Avec sa coupe à la Beatles, j’ai toujours l’impression d’avoir McCartney à table ! Il doit être au Canard enchaîné, c’est pour ça que je ne le vois pas. Le monde est lourd en ce moment, je sais pas ce qui se passe, la météo peut-être… […] Pourtant, c’est rassurant, le pape, Obama, les imams, les Palestiniens, les Juifs, des pompiers, des policiers, des enfants… tout le monde parle de Charlie Hebdo ! Le journal a dû faire un truc incroyable pour qu’ils aient une telle couverture. […] Mais il est si tard, je ne comprends pas pourquoi c’est ma première chronique écrite en larmes. Le son de leurs voix ressemble au silence. J’ai froid. J’ai envie de vomir. Il doit y avoir une fête quelque part où ils sont tous allés… Un oiseau a voulu me le dire, non ? Mais où est Mustapha, mon maître des dictionnaires ? Mes fautes ne partent plus ! Et Charb n’arrive pas à me joindre… Je vais finir par péter la gueule aux nouvelles technologies !
Odette, avec sa maladie d’Alzeimer, n’en a rien à foutre des résultats des municipales, elle alterne de belles éclaircies de conscience dans une tempête de neurones délirants. Alors, droite ou gauche, pour elle, c’est le même délire. Elle n’est pourtant pas très vieille, à 75 ans, et même encore assez vaillante pour se déplacer, mais c’est là-haut que le fonctionnement est en alternatif : son cerveau ne retient rien du présent et peine à aller chercher des souvenirs, et plus le temps passe et plus la mémoire se barre loin.
" Une année, nous étions dans un excellent restaurant et au fur et à mesure que le temps passait, que les bouteilles se vidaient, Charb a dessiné sur tout ce qui se présentait. Les copines, les assiettes, la nappe...La spécialité à table de Charb était toujours de faire des dessins sur la peau des convives. A un de nos anniversaires, il a dessiné d'énormes sexes sur les épaules des filles. Il n'y avait rien de vulgaire avec lui, c'était drôle, de l'humour grivois, facile à rire et donc très relaxant. Une amie, Anaïs, a eu un accident sans gravité en sortant du restaurant et elle a fini aux urgences dans l'hilarité générale des pompiers et du personnel de l'hôpital"
"Peut-être aurions-nous dû ne pas recommencer tout de suite le journal. Tout a été si traumatisant, si affreux. J'ai repris le travail comme un robot . Il y a eu quand même des gens du SAMU qui ont expliqué que ma présence représentait un danger pour leur sécurité ! Depuis, les choses se sont un peu calmées, mais ne croyez pas qu'être victime rend les gens sympathiques avec vous."
Comme toutes et tous, la douleur est profonde, lancinante, permanente, diffuse. Une partie de moi est encore bloquée au 7 Janvier 2015.
Intégrale 6 à la maison - 11 novembre 2020
François Morel, Camille Lelouche, Patrick Pelloux, Renaud Capuçon
Artistes, humoristes, intellectuels, acteurs de l'actualité : chaque soir, quatre invités se réunissent autour d'Anne-Elisabeth Lemoine et Patrick Cohen pour proposer aux téléspectateurs une émission à la fois sérieuse et légère autour de la culture et de l'actualité, dans une ambiance chaleureuse et moderne.