On l'appelait "la Rivière du Mort". Un jour, sur le haut cours, des Indiens Delawares avaient massacré un groupe de chasseurs de fourrures anglais. C'étaient des Anglais qui avaient baptisé la rivière.
Seule, sans aide aucune, la rivière se chargeait parfois de tuer, d'un revers de vague, dans le sursaut démonté d'une chute écumante.
Ce jour-là, elle était sage, parcourue dans ses maigres remous de pacifiques intentions. Elle avait retrouvé la chanson des printemps, et l'odeur, et les fous rires incontrôlables de la première saison. Cette chanson lui allait bien, même si les paroles ne venaient pas encore parfaitement, empêtrées dans des squelettes de glace, aux rives bourdonnantes.
Sur la rivière, le long canoë d'écorce glissait doucement, sans autre bruit que celui des pagaies frappant l'eau régulièrement. Il y avait deux hommes, à bord du canoë ; l'un pagayant "d'avant", l'autre "d'arrière". Entre eux, les ballots de fourrures de trois saisons de chasse.
C'était un printemps neuf. La première saison, celle des réveils et des retours. En 1740, peut-être...
Peut-être, car justement, ces hommes dans le canoë revenaient. Et, depuis trop longtemps, retirés hors de toute civilisation, dans le haut pays d'Ohio, et même plus loin encore ; ils ne savaient plus. Des retours tels que celui-là ont fameuse couleur... Ils ne savaient plus l'année exacte.
Cela n'avait guère d'importance.
Immense Pierre Pelot, avec plus de 200 livres en 53 ans d?écriture : littérature générale, science-fiction, policiers, romans noirs, récits fantastiques, BD, théâtre, contes, sagas... L'auteur était à Poirel le 7 octobre pour un entretien aux côtés de Françoise Rossinot autour de son dernier roman, "Braves gens du Purgatoire" (Éditions Héloïse d'Ormesson).