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EAN : 9782021288049
512 pages
Seuil (04/05/2017)
3.78/5   310 notes
Résumé :
Coup de théâtre dans le Madrid de la fin du XVIIIe : l'Académie royale vote l'acquisition de l'Encyclopédie, malgré la censure. Immédiatement, le bibliothécaire don Hermogenes Molina et l'Amiral don Pedro Zarate sont dépêchés à Paris pour y dénicher les précieux volumes. Mais ils ignorent qu'un espion est à leurs trousses, prêt à tout pour faire échouer leur mission...

"Un roman merveilleux, enlevé comme un feuilleton de Dumas père." - L'Obs
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Critiques, Analyses et Avis (78) Voir plus Ajouter une critique
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Nous sommes en 1780, et tandis que le siècle des Lumières s'épanouit à Paris, L'Espagne est encore soumis au joug impitoyable de l'inquisition qui, au nom de la tradition, de l'ordre et de la religion violente le sens commun jusqu'à l'aberration, et réfute toute avancée scientifique contraire aux principes divins. L'Académie Royale d'Espagne fait front pourtant, et décide l'acquisition de la fameuse Encyclopédie, la plus grande avancée intellectuelle des Lumières, tant abhorrée par les soutanes noires de ce XVIIIème siècle finissant.
Don Pedro et Don Hermogenes sont dépêchés à Paris pour ramener les précieux ouvrages. La tâche sera ardue pour nos deux héros, car les forces obscurantistes vont se liguer au jaloux, aux vaniteux, aux fanatiques rancuniers pour empêcher la réalisation de ce projet. Arrivés à Paris au terme d'un épuisant voyage, ils ne cesseront jamais d'osciller entre émerveillement, espoir, désillusions et grandes déconvenues.
Une autre histoire, toute aussi passionnante, vient s'imbriquer à l'intérieur de ce roman historique. Avec la sérénité et la mansuétude des vieux sages, Arturo Perez-Reverte nous raconte comment se construit son récit. Il nous parle avec chaleur de ses doutes, de ses intuitions, de ses repérages et de ses minutieuses enquêtes qui enrichissent et font avancer cahin-caha le récit. Un vrai trésor pour les apprentis écrivains !
Autant vous prévenir ! Il n'y a pas de grands drames dans ce roman, ni de chevauchées fantastiques, et nos deux héros vieillissants, fatigués, n'ont rien de tonitruant… Il faut accepter de cheminer lentement, voire même parfois de s'ennuyer un peu, comme s'ennuyèrent Don Pedro et Don Hermogenes durant leur interminable et inconfortable voyage entre Madrid et Paris.
Mais vous assisterez à la naissance d'une belle et forte amitié ; vous admirerez, pantois, des matins radieux ; dégoutés, vous vous boucherez le nez en empruntant une ruelle boueuse remplie d'immondices ; vous découvrirez la vanité faîte homme, et cette zone grise où se débattent les crapules ; vous soignerez avec tendresse un ami malade, et le regard aimant d'une femme vous laissera des souvenirs impérissables ; vous accompagnerez cette main tremblante qui caresse respectueusement la couverture d'un vieux livre ; vous sentirez tout le poids et la force d'une conviction ; lucide jusqu'au bout des ongles, vous saurez que le monde dans lequel vous vivez est déjà moribond…
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Arturo Pérez-Reverte est de retour avec un grand roman d'aventure qui fleure bon les péripéties et l'érudition.
Sous le règne de Carlos III, deux honorables membres de la Real Academia Española, le bibliothécaire Hermógenes Molina et " l'amiral" don Pedro Zárate, sont chargés d'acquérir les 28 volumes de L'Encyclopédie mis à l'Index par le clergé espagnol. Les deux Persans de Castille s'en vont par les chemins, impatients de découvrir Paris et ses merveilles tant vantées. Entre bandoleros, compagnons de voyage inattendus et accortes filles de salle, nos deux rats de bibliothèque sexagénaires se lient d'amitié et se lancent à corps perdu à la recherche des précieux volumes, sans se douter que dans l'ombre, un mystérieux sicaire à la solde des obscurantistes les suit à la trace.
A l'instar d'Usbek et de Rica, Hermógenes et Pedro observent, s'émeuvent, s'émerveillent et s'interrogent. Relativisme culturel et social, nous voici. Pérez-Reverte, comme Montesquieu, évoque les courtisans, les salons, les groupes sociaux, les femmes, et surtout les belles lettres. La recherche de l'Encyclopédie est en effet prétexte à ressusciter le Paris des gazettes et des cafés, des bouquinistes et des colporteurs, des ouvrages licencieux et des pamphlets. On y croisera Benjamin Franklin, Condorcet, D Alembert et la belle et érudite Madame Dancenis (Teresa Cabarrus?). Les hommes de bien sont ceux qui par les temps obscurs luttent pour offrir progrès et connaissance à leurs compatriotes. Les lumières françaises parviendront-elles à éclairer l'Espagne? A travers le périple de nos deux hommes de bien, Perez Reverte rend un magnifique hommage à Don Quijote et Sancho Pança, dont les lecteurs vont se délecter au fil des pages.
Ce roman qui mêle habilement personnages historiques et personnages de fiction nous offre donc un beau voyage vers l'esprit, ce qui est plutôt appréciable par les temps qui courent… s'il n'y avait le petit jeu auquel se livre Pérez-Reverte le diabolique. le romancier se met en scène au début de chaque chapitre. Il est l'un des personnages de Hombres buenos, l'écrivain qui fait part des ses recherches documentaires, de ses entretiens avec ses collaborateurs, de ses voyages pour préparer le périple de ses héros….du méta-roman comme on l'aime, nous pauvres lecteurs avides de connaître par le menu la genèse d'un livre aimé….Mais...Comme il l'avait fait jadis avec les aventures du capitaine Alatriste, en révélant au lecteur qui ne demandait qu'à y croire, l'existence de fameux documents appartenant à Balboa et conservés à la Bibliothèque nationale, qui n'existaient que dans son imagination, l'auteur s'appuie sur des ouvrages dont certains n'existent pas, à commencer par les siens! Arturo Pérez-Reverte m'a bien eue, et j'ai aimé ça.
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Vers 1780, « Deux hommes de bien », deux hommes choisis, à l'issue d'un vote, par leurs pairs de l'Académie Royale espagnole avec pour mission de gagner Paris et rapporter l'édition originale en 28 volumes de l'Encyclopédie :
l'un, bibliothécaire de l'Académie, don Hermógenes Molina que ses amis appellent don Hermès, est un « petit homme rond, débonnaire, veuf depuis cinq ans. Latiniste émérite, dont la traduction des « Vies parallèles » de Plutarque a été un sommet des belles lettres espagnoles…. Peu soucieux de son apparence, sa barbe drue …. assombrit un visage dans lequel des yeux marron, pleins de bonté, fatigués par l'âge et les lectures, semblent contempler l'univers avec une certaine désorientation et un étonnement poli. »
L'autre, Amiral à la retraite, entouré de ses deux soeurs restées célibataires qui prennent soin de lui, Pedro Zárate y Queralt « a une réputation d'homme renfermé et excentrique »
Il est l'auteur d'un important dictionnaire de marine, « est grand, mince, encore fringant, avec un comportement rigide, presque sévère. Ce qu'il y a de plus remarquable, dans son visage, ce sont ses yeux bleu clair, très aqueux et transparents, qui regardent le plus souvent ses interlocuteurs avec une fixité vite inquiétante, quasi insoutenable. »

Deux hommes très différents que cette aventure, dans laquelle ils se trouvent embarqués sans l'avoir voulu, vont rapprocher. Une amitié, une profonde estime malgré leur divergence de point de vue va progressivement les lier.

A travers leurs yeux, nous allons découvrir cette époque des lumières, ce XVIIIe siècle finissant des libertins où l'insouciance, l'art de la conversation dans les salons et la légèreté d'une vie privilégiée ne va pas tarder à s'effondrer sous la violence de la révolution qu'ils n'auront pas vu venir.
L'abbé Bringas qui accompagne nos deux compères dans leur quête de l'Encyclopédie et leur exploration de Paris, « parfait exemple de la rancoeur pré-révolutionnaire, était un de ces pseudo-philosophes frustrés et radicaux ».
Cet homme plein de cynisme et de rancune saura leur montrer le fossé qui existe entre les petits marquis poudrés et les belles dames cultivées tenant salon de la rive droite où les rues sont sécurisées et éclairées et la noirceur de la rive gauche où règne la misère, où les gens vivent dans la saleté et l'insalubrité, où va pouvoir se développer le ferment des révoltes sanglantes à venir qu'il suffira de canaliser et exacerber, rôle dévolu à la presse et aux écrivains.
« Le devoir de ceux qui manient la plume, notre devoir philosophique, est de démontrer qu'il n'y a pas le moindre espoir. De mettre l'être humain face à sa désolation. C'est alors seulement qu'il se lèvera pour demander justice et vengeance. »

Dans l'ombre rôde un autre homme, Pascual Raposo, homme de main chargé de suivre les deux voyageurs, chargé par deux académiciens opposés à l'entrée de l'Encyclopédie en Espagne, de faire échouer cette expédition. A Paris, il s'octroiera, moyennant paiement, les services de Milot, flic vénal.

Une certaine naïveté va faire tomber nos deux compères dans bien des traquenards. Mais sachant dès le début qu'ils ont réussi à ramener l'Encyclopédie à bon port nous profitons pleinement de ce périple parfois rocambolesque et cocasse.

Perez-Reverte, lui-même académicien, nous raconte sa découverte des 28 volumes. Intrigué par la présence en ces lieux de cette première édition de l'Encyclopédie l'auteur est conduit à poser des questions à son entourage et, et…suite à ses premières recherches : « Alors, tout à coup j'ai su quelle histoire je voulais raconter Elle est venue tout naturellement, structurée dans ma tête tel un exposé, avec intrigue et dénouement : une suite de scènes, de cases vides à remplir. Il y avait un roman en marche, et sa trame m'attendait dans les recoins de cette bibliothèque. »
C'est ce roman en marche, ces recherches bibliographiques et autres qu'il va nécessiter au cours de sa mise en forme, que l'auteur va nous faire partager en prenant un malin plaisir à mélanger le vrai et le faux. Il offre ainsi à ses lecteurs de participer parallèlement à la lecture du roman, à l'aventure non moins passionnante de son façonnage par l'écrivain.
La lecture de ce livre se double alors d'un jeu de piste qui éveille la curiosité et donne envie d'aller faire, comme l'auteur, nos propres recherches.
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Perez Reverte rend hommage dans ce livre a l'Academie Royale Espagnole, de laquelle il fait partie depuis 2003, et fait l'eloge du rationalisme et de cet heritage de lumiere que nous ont legue les encyclopedistes francais.


Au 18e siecle deux hommes de bien, deux academiciens espagnols, le bibliothecaire et philologue Hermogenes Molina et le brigadier (“l'amiral”) Pedro Zarate, auteur d'un dictionnaire de marine, sont envoyes par l'Academie a Paris pour en rapporter un exemplaire complet de l'Encyclopedie. Mais en l'Espagne de l'epoque nombreux sont les opposants a l'esprit des lumieres, menes par l'Eglise, qui essaieront de tout faire pour empecher la reussite du voyage et du projet. La mission des deux hommes sera donc pleine de contretemps, de menaces, de pieges, et deviendra une dangereuse aventure.

Cela donne une intrigue – bien qu'on soit averti depuis les premieres pages que tout va bien finir – pleine d'action, de peripeties de toutes sortes. Doublee de fideles ou imaginees descriptions des differents quartiers du Madrid et du Paris de l'epoque (et de la differente ambiance qui y regne), aussi bien que des routes et des paysages qui les relient. Triplee de discussions d'idees, sur l'organisation ideale de la societe et de son gouvernement, et sur la force du savoir et de la culture, en ce temps pre-revolutionnaire. Quadruplee des confidences de l'auteur sur les recherches qu'il a mene pour ecrire ce livre, ses errements, ses vacillations. Parce qu'il se met en scene a chaque chapitre, a chaque etape, citant ses sources, que ce soit des membres de son academie qu'il interroge ou des livres anciens qu'il consulte. Et ce travail de l'auteur s'imbrique tres heureusement dans l'intrigue et lui permet d'avancer.


Perez Reverte cite donc enormement (encore une fois, ca ne gene aucunement la lecture). Des livres, des personnes. Tellement qu'en fin de lecture j'ai ete pousse a essayer de remonter ses sources. Pour les livres c'est pratiquement impossible, mais il est clair que beaucoup (la plupart, et ce n'est pas que mon avis) sont inventes. Meme des livres dont il serait lui-meme auteur. Pour les personnes il s'est franchement amuse. Les academiciens historiques qu'il met en scene sont un pur produit de son imagination, bien qu'ils rencontrent a Paris des noms connus comme D'Alembert et Benjamin Franklin, et d'autres personnages reels (meme si caches sous de faux noms, comme l'abbe Bringas qui les aide dans leurs recherches et qui n'est surement autre qu'Andres Maria Guzman, un espagnol exile en France qui prit part a la revolution et finit guillotine en 1794).


Par contre les contemporains qu'il dit avoir consulte sont tous des personnes reelles, des academiciens comme lui, les philologues Gregorio Salvador (qu'il admire et a qui il dedie le livre, entre autres) et Dario Villanueva; l'historien de la litterature Francisco Rico (qu'il egratigne au passage, le representant tres imbu de lui-meme); Victor Garcia de la Concha, le directeur honoraire de l'academie; l'historienne Carmen Iglesias, qui servit de precepteure au roi Felipe VI; le physicien et historien des sciences Jose Manuel Sanchez Ron; le professeur de droit Santiago Munoz Machado. de plus, un ancien academicien, decede avant que Perez Reverte ne finisse son travail, l'amiral Eliseo Alvarez-Arenas, a qui est aussi dedie le livre, a vraisemblablement ete le modele pour le personnage de l'amiral Zarate. C'est donc un clair hommage que l'auteur rend a l'academie, aux hommes qui en ont occupe les fauteuils par le passe et a ceux qui les occupent a ses cotes par le present. Et il sait, de cette meme facon, remercier la libraire qui l'a aide dans ses recherches, elle aussi reelle, la francaise Michele Polak, qui anime a Paris une renommee librairie de voyages.


Bon, apres avoir donne libre cours a mes manies de detection et d'enumeration, il me faut revenir a mes impressions de lecture. J'ai beaucoup aime le cote aventure, que l'auteur maitrise depuis longtemps; j'ai ete charme par son elegance a se mettre en scene; j'ai ete fascine par son habilete a ventiler des idees, sans devenir indigeste. Pour Perez Reverte les idees des lumieres sont d'actualite, aujourd'hui plus que jamais. Et il se bat pour elles, en Don Quichotte moderne.

Don Quichotte? Mais oui, j'y suis, les deux heros, l'amiral a la belle prestance et le philologue rondouillard! Bon flan mais c'est bien flur! le chevalier de la Mancha et son ecuyer, son fidele Sancho Panza, tout craches! C'est leur revanche! Ils s'en sortent bien pour une fois! Decidement, on est en plein jeu. Pas un jeu d'enfant mais tout aussi absorbant. Laissez vous tenter, le jeu en vaut la chandelle. Et bien plus (parce qu'on apprend entre autres ce qu'a ete la guerre des braguettes; pas ce que vous avez l'air de penser).
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Sur la route qui poudroie, s'éloigne cahin-caha la berline tirée par quatre chevaux, à son bord, don Quichotte et Sancho Pancha revisités, deux membres de l'Académie Royale d'Espagne, entament en ce petit matin de 1780 un long périple de Madrid à Paris. Par les monts et les vaux à 6 ou 7 miles par jour, à l'aller comme au retour, le voyage se promet d'être long, inconfortable. Périlleux aussi, car dans le lointain j'aperçois, les suivant à bonne distance, sur un cheval aussi noir que la cape qui l'entoure et le dessein qui l'anime, un "Hombre" inquiétant. La quête de ces deux hommes de bien, inaccessible par définition : rien moins que ramener l'Esprit des Lumières dans cette Espagne encore sous le joug de l'Inquisition, où les possibles progrès de la science sont passés au tamis tissé serré du dogme catholique.


J'ai décidé avant de rédiger cette chronique de laisser volontairement retourner la poussière à la poussière, afin que s'estompe la rémanence de l'éblouissement. Délai pour voir apparaître le labyrinthe que n'a pas manqué de tracer Arturo Perez-Reverte pour celui soucieux d'approcher le coeur de son message, à la fois cri d'alerte et chant d'espérance. Je n'oublie pas qu'il a été journaliste avant que d'être talentueux écrivain et académicien espagnol. Bibliophile averti aussi, mais surtout féru d'Histoire, érudit, approchant la philosophie, d'une grande finesse, malicieux en diable, aimant les jeux intellectuels. Vous, Françaises, Français aviez jusqu'à peu son pendant, dont le talent d'écrivain lui a valu d'entrer de son vivant dans la Pléiade. Hélas pour cet amoureux de la vie attiré par la lumière, ses obsèques ont été éclipsées par celles d'un chanteur populaire. Dans des styles différents, tous deux (les académiciens^^) avec une grande intelligence nous apportent un éclairage précieux. A l'instar de l'auteur de ce roman aux multiples niveaux je semble digresser, mais que nenni. Je tiens bien le fil de ma pensée, foisonnante il est vrai. Je décide d'abandonner ici tous ces académiciens, anciens et actuels, fictifs ou réels. Ellipse.


"L'abbé Bringas est le parfait exemple de la rancoeur prérévolutionnaire, dit le professeur Rico en allumant sa énième cigarette. Qui illustre que l'échec et la frustration intellectuelle engendrent, elles aussi, leurs propres monstres." p.225 le roman se déroule sur deux trames temporelles, l'une près de dix ans avant la révolution française, l'autre actuelle dans laquelle l'auteur apparaît en tant que narrateur pour nous expliquer comment il aurait pu construire la partie historique. Cet artifice, déjà utilisé dans d'autres de ses romans, tend à assoir la crédibilité historique auprès du lecteur, mais ce n'est qu'illusion et dans le court exemple ci-dessus, ni le professeur Rico, ni l'abbé Bringas n'ont existé, tous deux sont des créations romanesques. Dans cette scène à Paris, d'une rare jouissance (pour un Belge) le professeur Rico, archétype de l'infatué, 1er à l'ordre de Narcisse, fait, ironie suprême, le portrait de son parfait alter-ego. Un autre personnage, écrivain raté, Justo Sanchez Terron tout aussi imbu, rancunier et bourré de jalousie haineuse, en voulant au monde entier, échauffe pareillement les esprits en Espagne. Comment ignorer cet avertissement : ces êtres maléfiques grands agitateurs de cette foule, si prompte à s'emballer au premier slogan et incapable de démonter le moindre sophisme, déversent leur bile quelque soit le lieu ou l'époque ?


Je sais, il s'agit là de personnages romanesques. Mais quelle est la différence au fond ? Puisqu'il est nombre philosophes parmi les auteurs de l'Encyclopédie en 28 volumes in folio (mon Dieu, personne ne l'a lue^^), je pose la question : quelle différence si Socrate n'était qu'une figure de style, qu'un personnage fictionnel dans l'oeuvre de Platon ? L'enseignement de ce dernier serait-il d'un iota moins lumineux ? Puisqu'en quelque sorte je viens d'interrompre cette chronique pour des considérations plus personnelles, il m'a semblé intéressant pour le très important point suivant de ne pas oublier que les académiciens sont des puristes de la langue et que nos deux héros ont grandement participé à l'élaboration d'un dictionnaire. Les mots sont chargés d'Histoire et là pour nous la rappeler. de plus, il convient de s'interroger, pourquoi la trame actuelle censée à priori éclaircir la trame prérévolutionnaire est-elle à ce point romancée ? du malicieux Arturo Perez-Reverté, j'y vois un indice lancé au lecteur : c'est la trame historique qui peut nous éclairer sur l'actualité ! le roman est construit sur deux rails inséparables. En d'autres mots : L Histoire bégaye.


"Lenoir dresse une liste de quidams qui par la suite sont devenus des députés radicaux, ont voté la mort du roi et occupé des charges importantes durant la Terreur ... Quelques années auparavant, dans les rapports de police, ils étaient tous considérés comme de la racaille, des médiocres, des gens vils." p. 229 Dont acte, ce ne sont pas les encyclopédistes qui ont mené la révolution. Ce sont des Bringas revanchards qui, dans une habileté de tribuns, ont été, pour assouvir leurs desseins personnels, agiter quelques idées érigées en slogans vindicatifs devant une foule toute prête à s'enflammer, comme le fait le torero avec sa muletas face au taureau furieux pour le contrôler.

Ces Bringas qui ont amené la Terreur comment pourrait-on les qualifier mieux que sous le vocable "terroristes" ?


Près de 230 ans plus tard, qu'y a-t-il de changé en France ? le peuple est-il plus heureux et plus serein, animé d'idéaux pacifistes ? Les différences entre les classes sociales sont-elles moins exacerbées ? Les pauvres ont-ils un moins grand sentiment d'injustice, moins à se plaindre des privilèges de ceux qui les dirigent ? La question est posée quand bien même une victoire en coupe du Monde (de foot mesdames^^) met le feu dans les banlieues, nécessitant d'impressionnants déploiements des forces de l'ordre. L'avertissement contenu dans ce livre sonne dès lors comme un coup de tonnerre lorsque le héro proclame ne pas savoir l'endroit exact ou le moment, mais avoir la certitude qu'inéluctablement la foudre s'apprête à frapper encore.


C'est votre droit de voir en ces développements, le fruit d'une imagination trop vive, enfiévrée par la lecture, se laissant emporter par un trop passionné jeu cérébral, c'est votre droit de mettre en doute les arguments évoqués. Plus qu'un droit, c'est un devoir. le devoir d'exercer votre propre jugement. Ce devoir d'analyse et de libre-arbitre auquel l'auteur vous convie, une fois encore, et en premier lieu de l'appliquer à la lecture de son roman. Moi-même, j'ai pensé à diverses reprises m'être égaré. Si ce n'était cette excellente interview de l'Express : un roman s'écrit avec la persévérance et la discipline d'un samouraï (*), je douterais encore.


Arrivé à ce point de ce qui se rapproche dangereusement d'une véritable critique, je dois confesser^^ n'avoir jamais eu l'intention de vous dévoiler cette petite musique qui prend forme tout au long du roman et se développe au rythme du sabot des chevaux, pour, au moment le plus inattendu, résonner en point d'orgue "Comme un chant d'espérance." Est-ce par hasard que j'emprunte ici le titre du magnifique roman de Jean d'Ormeson ? Non.


Au moment de conclure, je ne peux m'empêcher de penser avec nostalgie à Albert Buvardstein, ce professeur de français que j'ai eu en classe de rhétorique, celui-là même à qui je faisais référence dans ma critique du Horla et qui loin de me pénaliser lors d'une présentation tout à fait singulière de mon analyse des contes de la Bécasse eu cette phrase autant improbable qu'extraordinaire, et je la cite de mémoire : "Peu importe la forme sous laquelle nous est livrée une analyse pourvu qu'elle soit pertinente, rigoureuse, intègre et qu'elle nous donne à réfléchir."


Sur ce m'élevant au-dessus de la querelle des anciens et des modernes, dans un même éloge j'engloberai ces quatre académiciens si brillants, et si précieux au maintien de la langue et de la pensée, pour selon l'usage leur adresser la formule consacrée : Chapeau bas, Messieurs les académiciens !


(*) Pour celles et ceux qui ont déjà lu le livre je place le lien en commentaire
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critiques presse (6)
LaPresse
19 juillet 2017
Le simulacre d'autofiction n'est jamais ennuyeux: il enrichit même le récit en nous faisant saisir les ressorts de l'imagination d'un authentique auteur, ingrédient incontournable de tout roman digne de ce nom.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LaCroix
07 juillet 2017
Dans un roman mélangeant les aventures de cape et d’épée et les digressions philosophiques, l’Espagnol Arturo Pérez-Reverte revient sur les prémisses du basculement de la Révolution.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LaLibreBelgique
04 juillet 2017
Si vous aimez les gros romans d’aventures qui soient en même temps intelligents et stimulants pour la pensée.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeMonde
02 juillet 2017
Plus qu’une histoire rocambolesque, ode à la liberté de penser et d’être, Deux hommes de bien est la célébration d’une œuvre en train de se faire.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeJournaldeQuebec
19 juin 2017
Avec ce roman d’aventures aussi trépidant qu’instructif, Arturo Pérez-Reverte a, une fois de plus, réussi à tirer parti des grandes pages de l’Histoire.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LesEchos
01 juin 2017
Parfaitement documenté, parfois trop, ce qui ralentit la lecture, « Deux hommes de bien » reconstruit une page essentielle de l'histoire de l'Espagne et de la France, mais surtout des Lumières. « Vamonos ! »
Lire la critique sur le site : LesEchos
Citations et extraits (132) Voir plus Ajouter une citation
Alors qu'il passe un pont de pierre au-dessous duquel une rivière aux eaux troubles court avec violence, le cheval se met à boiter. En grommelant une malédiction, Raposo tire sur les rênes, descend de sa monture et examine les pieds de l'animal, dont la chaleur contraste avec l'eau glaciale qui court et les recouvre. La malédiction se change en un atroce blasphème quand il s'aperçoit qu'un des fers a disparu. Se protégeant du mieux qu'il le peut avec sa capote, momentanément aveuglé par la pluie, il ouvre la sacoche, en sort un fer de rechange, une navaja, des clous et un marteau. Puis il cale entre ses jambes le pied du cheval et, chassant de temps à autre l'eau de son visage du revers de la main, il racle la corne, y pose le fer et le cloue du mieux qu'il peut. Les gouttes s'écrasent tout autour de lui, le criblent, s'infiltrent dans les coutures de la toile qui le couvre, courent, froides, de sa nuque à ses épaules et à son dos, lui donnent le frisson. Quand après un long moment, il est venu à bout de la tâche, il a les jambes trempées jusqu'aux cuisses, les manches de sa veste dégoulinantes, et ses bottes ressuent l'eau. Alors, sans hâte, Raposo range les outils, saisit l'outre de vin et, renversant la tête en arrière, engloutit une très longue gorgée tandis que la pluie lui fouette le visage. Il se remet en selle et à peine le cheval sent-il l'homme sur son dos et la bride lâchée qu'il repart, laissant dans sa lancée le bruit de ses fers sur la pierre du pont.
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Tandis qu'il s'éloigne, il entend la femme l'insulter entre ses dents. "Salaud de merde" dit-elle, ou quelque chose de semblable. Le ton est le même dans toutes les langues. Un peu plus loin, il ouvre sa capote et soulage sa vessie en urinant sur un tas de briques en morceaux, dans une ruelle courte et étroite où un éclat de la lune qui monte au-dessus des maisons et plonge entre deux avant-toits atténue les ombres et lui permet de distinguer des monceaux d'ordures et aussi, alors qu'il boutonne sa culotte, les yeux rougeâtres, brillants et malins d'un rat qui le guette. Presque aussi grand qu'un chat, immobile, l'animal le regarde fixement, tassé sur lui-même, pour essayer de passer inaperçu. Raposo l'observe, puis se baisse doucement pour ramasser un morceau de brique. Le rat semble deviner son intention, émet un couinement de peur et de menace qui dessine un sourire cruel sur les lèvres de l'homme, tandis qu'il lève la main dans laquelle il tient la brique. Un rat coincé dans une ruelle, au milieu des ordures. Parfaite image du monde, se dit Raposo en lançant le projectile.
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L'abbé Bringas qui accompagne et oriente tout au long de leurs pérégrinations dans Paris, les deux hommes de bien :
— Je ne veux pas le bonheur des peuples,… Je veux leur liberté. Quand ils l’auront, qu’ils soient heureux ou malheureux, ce sera leur affaire.
(…) — S ´il y a une révolution en France, en Espagne, dans le monde pourri où nous vivons, poursuit Bringas en mastiquant ses paroles comme si elles avaient un goût amer, elle ne viendra ni des salons du beau monde éclairé, ni du peuple analphabète et résigné, ni des marchands et des artisans qui ne lisent pas l’Encyclopédie et ne la liront jamais… Elle viendra des imprimeurs, des journalistes, des écrivains comme moi, capables de transformer la théorie philosophique en prose vibrante. En vagues d’une implacable violence qui écrouleront autels et trônes…
(…) — Il n’est de meilleur allié des tyrans, dit-il au bout d’un long moment de silence, qu’un peuple soumis parce qu’il veut garder espoir en une chose ou en l’autre : le progrès matériel, la vie éternelle… Le devoir de ceux qui manient la plume, notre devoir philosophique, est de démontrer qu’il n’y a pas le moindre espoir. De mettre l’être humain face à sa désolation. C’est alors seulement qu’il se lèvera pour demander justice et vengeance.
Il s’arrête sur ces mots, un instant, le temps qu’il faut pour lancer un sonore et épais crachat dans l’eau vert-de-gris qui emporte branches, détritus et cadavre de rats.
— L’heure approche où ce siècle va dresser des échafauds et aiguiser ses armes, conclut-il. Et il n’y a pas de meilleure meule à aiguiser que l’écriture. p 224-225
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L’exercice qui, à mi-chemin entre littérature et vécu, consiste à visiter les endroits que l’on a découverts dans les livres et à projeter sur eux, en les enrichissant de réminiscences de lecture, des aventures réelles ou imaginaires, des personnages historiques ou de fiction qui les ont jadis hantés est fascinant. Les villes, les hôtels, les paysages acquièrent un caractère particulier, quand on les aborde avec en tête un bagage de lectures. Les choses changent considérablement, en cela, quand on parcourt la -Manche avec Don Quichotte en main, quand on visite Palerme après voir lu Le Guépard, que l’on se promène à Buenos Aires en se souvenant de Borges ou de Bioy Casares, ou que l’on marche dans Hisarlik en sachant que se dressait là une ville appelée Troie et que les chaussures du pèlerin s'y couvrent d’une poussière dans laquelle Achille traîna la dépouille d’Hector attachée à son char.
Or, le phénomène ne se produit pas seulement avec des livres déjà écrits, mais aussi avec des livres encore à écrire, quand c'est l’imagination personnelle du voyageur qui peuple de tels lieux. Cela m’arrive souvent, parce que je suis un de ces écrivains qui situent généralement les scènes de leurs romans dans des cadres réels. Je ne connais guère de sensation plus agréable que celle de s’aventurer en des coins pareils comme un chasseur, gibecière ouverte, pendant qu’une histoire se trame dans votre esprit; d’entrer dans un édifice, de traverser une rue en se disant: cet endroit me convient, je vais le mettre dans mon histoire, et d’imaginer les personnages en train de se déplacer en ce lieu même, de s’asseoir où l’on est assis, ou de voir ce que l'on voit. Comparée à l’acte d’écrire, cette phase préparatoire est encore plus excitante et féconde, au point que certains moments de l'écriture même, la matérialisation en encre, papier ou écran de moniteur, peuvent apparaître par la suite comme une activité bureaucratique quasi ingrate. Rien ne peut être comparé à l’élan d’innocence originel, au commencement, à la genèse première d’un roman quand l'écrivain s'approche de l’histoire à raconter comme il le ferait de quelqu’un dont il viendrait de s’enticher.
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Séance à l'Académie Royale espagnole, intervention de Higueruela :
Higueruela entre en matière, en se réjouissant de son bonheur. Dans le style des articles qu'il rédige, il dresse le bilan apocalyptique de l'état, calamiteux à ses yeux, des idées en Europe : la tourmente de libre-pensée et d'athéisme qui menace la paix des peuples innocents ; la mécréance qui mine les fondations des maisons royales européennes, avec pour principal instrument de sape révolutionnaire les doctrines des philosophes et leur culte acharné de la raison qui empoisonne l'ordre naturel et insulte le divin : le cynique Voltaire, l'hypocrite Rousseau, le tergiversateur Montesquieu, les impies Diderot et D'Alembert, et tant d'autres dont l'infâme pensée a forgé cette "Enciclopedia"-- il dit ce mot en castillan pour rendre plus acerbe son ton méprisant -- avec laquelle l'Académie Royale espagnole cherche à déshonorer sa bibliothèque.
p 24
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Vidéo de Arturo Pérez-Reverte
Il n'avait ni patrie ni roi, mais une poignée d'hommes fidèles. Ils ne cherchaient pas la gloire, seulement à apaiser leur faim. Ainsi naquit le mythe. Ainsi se raconte une légende.
Après avoir été banni du royaume de Castille par le roi Alphonse VI, Ruy Díaz vend, au mieux offrant, les services de sa troupe de soldats dévoués. Dans cette lutte pour la survie en territoire hostile, sa force de caractère et ses faits d'armes lui vaudront rapidement le surnom de Sidi Qambitur, maître triomphateur.
Avec son talent habituel, Arturo Pérez-Reverte nous plonge dans l'Espagne du XIe siècle, celle des rois rivaux, des batailles sanglantes et des jeux d'alliances entre chrétiens et Maures. Loin du mythe manichéen du Cid patriote, Sidi est le portrait d'un chef de guerre hors pair, d'un formidable meneur d'hommes et d'un stratège au sens de l'honneur inébranlable. Un roman haletant, épique et magistral, une immersion au coeur de l'Histoire.
Traduit de l'espagnol par Gabriel Iaculli
« Un récit magnifique, du pur Pérez-Reverte. » El Mundo
Arturo Pérez-Reverte, né à Carthagène, Espagne, en 1951, a été grand reporter et correspondant de guerre pendant vingt et un ans. Avec plus de vingt millions de lecteurs, il est l'auteur espagnol le plus lu au monde, et plusieurs de ses romans ont été portés à l'écran. Il partage aujourd'hui sa vie entre l'écriture et sa passion pour la navigation. Il est membre de l'Académie royale d'Espagne.
En savoir plus : https://bit.ly/3ViUsSE
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