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François Maspero (Traducteur)
EAN : 9782757808047
288 pages
Points (06/03/2008)
3.72/5   199 notes
Résumé :
Ancien photographe, Faulques vit retiré du monde. Hanté par les horreurs des champs de bataille, la peinture est son exutoire. Sa vie bascule quand surgit Markovic, combattant croate décidé à lui demander des comptes. Photographié par Faulques pendant la guerre en Bosnie, devenu malgré lui le symbole du combattant croate, Markovic a assisté aux massacres de sa famille et de ses compagnons ...

« Il y a des réponses dont vous avez autant besoin que moi.... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (32) Voir plus Ajouter une critique
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Faulques subit une mutation. Il passe de Photographe de guerre à Peintre de batailles. Mais n'est-ce pas le même processus que l'apparition de l'image lors du développement de la pellicule et l'élaboration de la peinture ? Pourquoi Faulques s'est-il réfugié dans cette tour du sud méditerranéen ? A quoi bon reproduire cette large fresque ? Immortaliser les batailles en clouant ça et là et pour l'éternité tous ses morts. Enfin ! Ceux du moins qu'il a vus, de visu, tous ceux qui sont apparus dans la cible redoutable de son objectif. Nous sommes dans la crique d'Arráez en Espagne où les vagues affleurent à flanc de rocher. Faulques s'immobilise de temps en temps pour écouter la mer, le ressac, puis il s'échine sur cette paroi circulaire de la tour ou il restitue au pinceau chacun des personnages. Il dépose ici les armes, luisantes, le froid métal gris, la terre, avec ses ocres, terre de sienne, ses rouges pour le feu, les explosions, toutes ses nuances de gris pour le ciel. Il n'y a pas de bleu ni d'azur dans le chaos. Pourtant, le soir venu, quand le soleil se couche, la fresque immobile s'anime et des couleurs flamboient en balayant les visages et les corps, dévoilant chaque détail de la ville incendiée, de la lueur métallique des armes et de cette fissure qui traverse la fresque en accentuant, comme un cri, l'expression de la mort sur les visages et les corps gisant à terre, dans la position intimée de la chute. Une femme en son centre, cuisses légèrement ouvertes, baigne dans son sang et à côté d'elle, un enfant, le sien peut-être, où un autre, mais qu'importe. Une image qui peut-être symbolise la naissance ou la mort, mais d'un certain point de vue, les deux. L'espace-temps qui se fond à une seconde près, juste avant la vie et peu après la mort, une fraction du temps qui se rejoint.
Faulques s'interroge sur le chaos. Y a t-il un ordre dans le chaos comme il y en a un dans le désordre ?
Puis un jour, arrive Ivo Markovic, le croate. Il lui rappelle la guerre en Bosnie et d'une certaine façon, la sienne aussi. Il lui demande des comptes, des explications. Markovic a été torturé et sa famille exterminée à cause d'une photo qu'il a prise. Une photo qui a fait le tour du monde et pour laquelle Faulques à reçu une récompense. Celle qui a constitué la preuve et le moyen pour les Serbes d'atteindre Markovic pour lui faire subir des représailles. Aujourd'hui, Markovic affronte Faulques dans un langage correct, mais sans concession. Il lui raconte froidement sa guerre et il exige en retour des réponses sur sa part de responsabilité, à lui, le photographe. Il sait parfaitement qui est Faulques et s'il ne modifie en rien la teneur de ses propres agissements, il sait comment l'atteindre et l'amener où il veut. Il y avait une femme aussi là-bas. Une femme blonde que Faulques a photographiée, quand elle est tombée, elle aussi. Une photo qui n'a jamais été éditée, cependant.
À la question est-ce qu'il paye pour faire ses photos ? Faulques répondra non, même s'il prend en photo des exécutions, même s'il choisit la meilleure, cet homme droit, les yeux bandés qui reste brave et cet autre qui le regarde, indigné ; même s'il vomit en d'autres circonstances, vers d'autres contrées, quand il entend les cris des suppliciés, attachés et livrés aux crocodiles, il les a, sur ses clichés.
Markovic nie, lui. Non ! Il n'a jamais violé de femmes. Une fois, ils sont intervenus dans une famille, ils ont torturé, malmené un enfant handicapé. Un enfant qui riait, qui ne pouvait pas comprendre... Quand ils sont sortis, ils sont restés silencieux, gênés, longtemps sans se regarder. Alors pourquoi ! Pourquoi ! Il faisait partie du groupe. Il y avait des codes. Il ne pouvait pas... Au nom du groupe... Au nom de la guerre... Les hommes parlent, ils s'affrontent, ils se confondent.
Au début, Faulques cherche une arme, il visionne dans sa tête toute éventualité d'un combat, puis il se ravise, se sent ridicule et finalement, il accepte l'échange. Mais, quand Markovic s'en va, il se sent libéré. Pourtant, le lendemain, il se surprend à l'attendre. Il ressent ce besoin de sa présence. Mais qu'est-ce alors qui le lie au croate. Sinon l'histoire. Cette monstruosité qu'est la guerre, toutes ces images qui sont gravées dans sa tête, des instantanés effroyables qu'il ne peut partager avec personne, sinon lui, un pareil à lui-même, Markovic.
Une fois, poursuit le croate, il y avait un garde Serbe qui s'offrait un jeune bosniaque de dix-sept ans. le gamin nous donnait toujours quelque chose, du chocolat, des cigarettes... Visiblement, il recherchait notre amitié. Pourtant, ils l'ont agressé à plusieurs....
Un homme qui recherche de l'amitié, en temps de guerre, ça existe, quel que soit le camp dans lequel il se trouve.
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Je cite p.115 : C'est - en ne tenant pas compte de Gödel - comme les équations mathématiques : elles possèdent une telle sûreté, une telle clarté, une telle inévitabilité, qu'elles procurent un soulagement intellectuel à ceux qui les connaissent et qui s'en servent. Pour moi, ce sont des analgésiques. Ainsi, c'est cet effort de compréhension qui nous sauve en ce qu'il nous ré-humanise en transformant l'horreur absurde en lois sereines.
Alors, il ne tient qu'à nous d'appliquer ce concept des mathématiques aux sciences humaines.
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Arturo Perez-Reverte ne nous édicte pas de ligne de conduite, il nous éclaire seulement et nous livre bataille, mais aussi au travers des grandes oeuvres telles que Goya « Duel à coups de gourdin », Picasso avec « Guernica », Carducho « la Victoire de Fleurus », la fresque d'Orozco pour nous peindre ce roman avec en plus, une note esthétique.
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Imaginez un photographe de guerre prend un cliché, celui d'un jeune soldat croate en déroute pendant le conflit en Bosnie. Imaginez aussi que, quelque temps plus tard, ce jeune soldat soit capturé, reconnu à cause de la photo qui a paru dans des magazines, puis qu'il soit torturé. Et que sa famille soit retrouvée et exécutée. Ouf ! Ce jeune soldat, Ivo Markovic, fera tout pour retrouver le photographe qui, plusieurs années plus tard, s'est converti à la peinture, son premier amour. Ce photographe/peintre, Faulques, a acquis une tour dans le sud de l'Espagne et a entrepris de composer une grande circulaire fresque représentant le paysage intemporel d'une bataille. Toutes les horreurs commises tout au long de l'humanité y figurent… à donner des frissons.

C'est là que Markovic le retrouve pour se venger. Mais attention, ce roman n'est pas un thriller ni un polar. C'est un roman d'introspection. Ainsi, avant d'exercer sa vengeance, Markovic veut comprendre. Et il veut que Faulques comprenne. Il s'ensuit des échanges qui s'étirent sur plusieurs jours où il est question de guerre, de drames humains, de responsabilité, de foi et de Dieu, d'art, etc. D'amour, aussi. Ces échanges, je les ai trouvé réellement intéressants. On y aborde des thèmes universels comme la nature humaine et d'autres, plus sombres, sur lesquels on n'a pas l'habitude de se pencher (heureusement !).

Arturo Pérez-Reverte est un auteur que j'adore. Comme toujours, il s'est très bien documenté. le monde de la photographie de guerre m'est assez inconnu et il a su le rendre crédible à mes yeux. (Peut-être qu'on professionnel y trouverait à redire mais, moi, il m'a suffit.) J'y ai cru. Aussi, toutes ces références aux conflits de l'ère moderne, de l'Éthiopie à l'Afghanistan, en passant par la Bosnie, toutes ces références à l'art et à la peinture, ces flashbacks dans lesquels il se promène au palais Pitti ou dans d'autres galeries reconnues où il s'extasiait devant des toiles que j'ai vues, je les ai saisies. Ainsi, ce roman, le peintre de batailles, m'a plu et il a su m'intriguer. Peut-être pas autant que je l'aurais souhaité mais suffisamment.

Toutefois, il ne m'a pas complètement convaincu. Sa prémisse de départ et la façon dont Markovic s'immisce dans la vie de Faulques, toute cette situation, elle m'a paru un peu artificielle. Comme si le point de départ avait été ces échanges sur la vie, la mort, la violence, la bêtise humaine et la culpabilité (ou l'absence de culpabilité) et que l'auteur n'avait trouvé que tardivement cette histoire de photographe de guerre pour y arriver. Les fils ne sont pas blancs mais on les a un peu trop étirés pour les raccorder. Bref, ça manquait de naturel, ça semblait forcé. le dénouement, aussi, plus on y approchait, devenait prévisible. Mais pour tout le reste, je suis preneur. le peintre de batailles est un roman troublant, de ceux qu'il est bon de lire de temps à autre. Pérez-Reverte ne donne pas de leçon, il expose, livre des pistes de réflexion. Ce sera au lecteur de se faire une tête.
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Je connaissais Arturo Perez-Reverte par ses premiers romans, le Tableau du maître flamand, le Club Dumas et j'étais resté sur un auteur érudit écrivant des romans agréables, prenants, malins, bref de bons romans plein de suspense et de rebondissements.
Quelle ne fut pas ma surprise en débutant la lecture de ce dernier roman. Il s'agit d'un texte difficile demandant de la concentration, faisant appel souvent à des métaphores, des allégories, des symboles se répondant et s'interpelant, de nombreuses références à la peinture, la mythologie et à l'antiquité.
C'est un roman grave, sombre, pessimiste qui donne une vision sans espoir de l'homme et de l'humanité.
Le roman se déroule sur une côte espagnole où Faulques, ancien photographe de guerre, vit, isolé du monde, dans une tour de guet. Il consacre son temps à peindre une fresque sur tout le mur intérieur du rez-de-chaussé de la tour. Il cherche au travers de cette peinture à trouver en quelques sorte le sens de la vie, qui se résume pour lui dans la violence et les horreurs qui ont jalonné l'humanité depuis la nuit des temps. Cette violence parfois gratuite, cette horreur qui caractérise l'homme de l'animal trouve son exaspération dans les conflits, guerres civiles, viols, tortures, massacres, génocides, que Faulques a couvert en tant que photographe au Liban, au Congo, Rwanda, Bosnie,...
Un homme, Markovic, vient rencontré Faulques et lui apprend qu'il est un ancien soldat croate, ayant combattu en Bosnie, photographié par Faulques lors d'une brève rencontre. La photo a été primée et est devenue le symbole de la défaite croate en Bosnie, Markovic le symbole du soldat croate. La célébrité engendrée par cette photo aura des conséquences dramatiques pour Markovic. Torturé pendant des mois, prisonnier durant près de 3 ans, à son retour dans son village il découvre que sa femme et sa fille ont été massacré dans des conditions horribles également à cause de cette photo. Markovic tiens responsable Faulques de ces enchaînements dramatiques et est venu se venger, le tuer. Mais auparavant, Markovic veut comprendre la démarche de Faulques, pourquoi cette peinture ? Comment faisait-il pour être au milieu de l'horreur et prendre toutes ces photographies sans frémir, sans bouger, témoin passif, récoltant les honneurs et les récompenses sur le meurtre, l'assassinat, les massacres.
"... et que jamais une larme ne t'ait fait manquer ta mise au point" (p172 - Ed Point)
Alors s'engage de long échanges et dialogues entre Faulques et Markovic, chacun racontant par petit bout leur vie. et faisant part de leur doute et de leurs réflexions.
A partir de cette trame, Arturo Perez-Reverte nous entraîne dans une immense et très dense réflexion sur le hasard et la nécessité, le chaos et l'ordre, le destin et le choix, les conséquences de chaque action référence à la fameuse aile de papillon entraînant le chaos,
"L'effet papillon avez-vous dit ? Quelle ironie, un mot si délicat" (p54 - Ed Point)
Brassant tous ces thèmes avec de multiples références mythologiques (Les Dieux, Charon et le Styx), de l'antiquité (Troie et sa destruction, Andromaque, Euclide,...) et surtout de très nombreuses références à des tableaux, l'auteur pose une réflexion sur la photographie et sa capacité à rendre compte du monde et de la nature humaine au-delà de la réalité, de la peinture qui par la symbolique, la stylisation, le détail, la déformation peut mieux rendre compte de ce qu'il y a derrière la vie.
"Dans le trait de crayon et la touche de couleur, lents, minutieux, réfléchis, qui ne sont possibles que quand, enfin, le coeur bat plus lentement. Quand les vieux dieux mesquins et tout ce qui s'y rattache cessent d'accabler l'homme de leurs haines et de leurs faveurs" (p15 - Ed Point)
Faulques recherche la règle, la loi qui régit le monde, qui entraîne le chaos.
"Sa quête de la règle cachée qui ordonnait l'implacable géométrie du chaos" (p14 - Ed Point).
Arturo Perez-Reverte a la même démarche par ce roman en pensant peut-être que l'écriture pourrait, elle, faire émerger cette vérité. Finalement à la toute fin du roman elle ne se dévoilera pas. La réponse se trouve en chacun de nous, notre libre arbitre et notre responsabilité dans nos actes.
C'est également un texte qui dénonce notre relation et à l'actualité, au sensationnalisme qui devient du voyeurisme sous couvert d'information. A force de chercher le pourquoi de tout cela, Faulques, qui est notre représentation, se détache de ce réel absurde et cauchemardesque, il ausculte, analyse, interprète le réel, c'est un spectacle, comme lorsque Faulques et son amie Ovildo sont sur le balcon d'un hotel face à Dubrovnik assiégée, en flamme. La lueur des incendies et les explosions des obus devient un tableau, une oeuvre d'art.
Markovic est comme un ange annonciateur de la mort qui permettra à Faulques de revoir sa vie et comprendre que sa quête est arrivé à son terme.
Magnifique roman qui demande un véritable effort de lecture pour suivre les multiples retours en arrière. Parfois des phrases un peu abscons qui s'éclairent par la suite. Les références picturales demandent à rechercher les tableaux pour comprendre les descriptions et les analyses des oeuvres.
Arturo Perez-Reverte nous entraîne dans une oeuvre très noire, sans espoir sur la nature profonde de l'homme : "homo sapiens, homo ludens, homo occisor" : homme qui pense, qui joue et qui tue
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Arturo Pérez-Reverte nous avait habitués à des sujets plus légers (comme le tableau du Maître flamand, le Club Dumas ou le pas trop triste Capitaine Alatriste), mais ici, attention, on change radicalement de registre.
Faulques, le peintre de batailles, est un ancien photographe de guerre qui a pratiquement couvert tous les conflits armés de ces trente dernières années sur tous les continents. Récompensé par plusieurs prix internationaux qui lui ont valu sa célébrité, il aspire maintenant à une retraire solitaire et paisible et décide de revenir à son premier métier, la peinture, afin de réaliser son oeuvre ultime : peindre la guerre, intemporelle et absolue, telle que la photographie, trop proche du monde réel, n'a jamais pu l'exprimer. Il réalise son ambitieux projet dans une ancienne tour où il a élu domicile. Il peint une grande fresque circulaire représentant la somme de toutes les batailles, juxtaposant les atrocités commises en temps de guerre à travers les siècles. Or un jour, il reçoit la visite d'un homme, qu'il ne reconnaît pas tout de suite, et qui se présente comme le soldat croate anonyme d'une de ses photos prise pendant la guerre des Balkans. Devenu du jour au lendemain célèbre à cause de cette photographie, qui a été largement publiée, le Croate annonce qu'il est venu pour le tuer.
Que l'on ne s'y trompe pas, il n'y a dans ce livre que peu de scènes d'action : nous avons droit à une longue joute verbale entre les deux hommes, qui vont défendre leurs points de vue, essayer de se comprendre et tenter d'expliquer leurs projets respectifs avant tout passage à l'acte.
La violence, souvent insoutenable, n'est pourtant pas exclue, à travers les flash-back et la remémoration des scènes du passé du photographe peintre, puisant dans le sordide et l'indicible de ses sujets (pour lesquels Faulques ne semble avoir ni culpabilité, ni parti pris, ni envie de dénonciation, mais simplement un réel souci d'esthétisme et de pertinence technique permettant de réaliser le meilleur cliché).
Ce roman nous fait réfléchir à trois niveaux : la guerre en général, le cas particulier de Faulques, et même (plus surprenant) les lois qui régissent l'Univers. Quel doit être le rôle des journalistes en temps de guerre ? Faut-il tout raconter, tout photographier par devoir d'informer ? le photographe a-t-il une part de responsabilité dans les exactions commises en temps de guerre (il semble que oui) ? le photographe doit-il flatter l'égo des assassins – qui en rajoutent presque, se sachant photographiés – en immortalisant leurs exactions et en confortant leur popularité ? Se rend-il alors complice des crimes de guerre ? Doit-il faire abstraction de la violence et de la propagande ?
Faulques, lui-même, est-il responsable de la mort de son amie dix ans plus tôt (je ne dévoilerai pas ici les circonstances si particulières de cette mort) ? Se sent-il coupable et cherche-t-il à se punir ? Est-il de même responsable du sort du Croate et de sa famille ?
Plus curieusement, dans sa recherche de réponses, le roman fait appel aux lois fondamentales du fonctionnement de l'Univers, en évitant soigneusement la religion, qui n'apporte aucune réponse (« - Et Dieu, Monsieur Faulques ?... Êtes-vous croyant ? - Et puis quoi encore ? »). Les lois de l'Univers permettent une tentative d'explication par la symétrie et la géométrie, le déterminisme et l'incertitude quantique, la théorie du chaos et l'effet papillon, tentative de déresponsabilisation par les lois physiques et statistiques, et par la perfection esthétique de l'Univers.
Faulques se réfugie dans l'art et la géométrie pour trouver des réponses, pour donner du sens à sa vie, et même à sa mort. Mais son heure a-t-elle vraiment sonné ?
Ce livre impressionnant questionne le lecteur et dérange, et c'est à chacun d'apporter ses propres réponses aux questions posées.
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De tous les livres que j'ai lus de Perez-Reverte, celui-ci est de très loin le plus complexe, le plus intellectuellement exigeant et peut-être le plus tourmenté.

Il m'a fallu un peu de temps pour y accrocher, d'autant plus que le caractère de Faulques est assez étranger au mien - un esprit très mathématique, qui cherche à mettre les choses en système, à en saisir la logique cachée, la nature profonde, quand pour moi les choses sont absolument évidentes et absolument mystérieuses, et doivent le rester. le chaos, le mystère, l'incompréhensible me séduisent, quand la recherche d'ordre (plus que l'ordre lui-même, mais l'ordre, en un sens, n'existe-t-il pas que par sa recherche ?) me dérange.
Bref, nous ne sommes pas faits pour nous entendre, Faulques et moi, ce qui me rend au moins certains aspects de sa démarche assez impénétrables.

Certains aspects seulement, car les thèmes abordés sont passionnants - le rapport de l'homme à la cruauté et à la violence, la part de responsabilité de chacun, témoins, bourreaux et victimes, le rôle de l'art, de l'image artistique, dans l'appréhension du monde... - passionnants, et traités avec une agréable subtilité, loin des raccourcis faciles, des mises en accusation bien pensantes. C'est très noir et très cru - la noirceur et la crudité de l'âme humaine mise à nu, écorchée pour se comprendre elle-même au-delà des reflets trop séduisants.
Ce n'est pas à lire quand on cherche à se remettre d'une dépression, ou qu'on préfère voir l'humanité sous son jour le moins noir, mais c'est un texte extrêmement stimulant pour l'esprit, qui donne envie d'en rediscuter des heures durant avec d'autres lecteurs.

Et puis au passage, on se demande à quel point Reverte - lui-même correspondant de guerre, qui a tant écrit à son sujet pour des journaux ou dans ses romans - ne fait pas sa propre fresque dans ce livre-là, l'équivalent littéraire de ce que Faulques peint sur les murs de sa tour. Même s'il diffère assez, en apparence, de ses autres romans - globalement beaucoup plus romanesques - il peut aussi apparaître comme une clef de lecture à une bonne partie de son oeuvre, où toujours se retrouve en filigrane comme la quête fascinée du Mal, cet instinct de destruction, cette logique du chaos qui entraîne les hommes, à des années lumière des plats manichéismes. Un jour de colère et Cadix, la diagonale du fou, écrits à la suite du Peintre de batailles, sont dans une logique parfaite à cet égard.

Il est d'ailleurs assez intéressant de remarquer que les personnages féminins sont très souvent les agents de cette destruction - mais des agents bien moins méchants que froidement lucides, d'une intelligence beaucoup plus acérée que celle des hommes dont elles causent la perte. En conclure que l'intelligence est pour Reverte le grand drame de l'humanité ne me semble pas en désaccord avec ce qui est dit dans ce livre-là. Et ça, pour le coup, ça me convient très bien.

Pour en revenir à nos moutons, je rêverais pour ce bouquin d'une édition augmentée - illustrée par tous les tableaux dont parle l'auteur. Ils sont nombreux, et si j'ai eu la chance de passer un bon moment devant la Bataille de San Romano de la National Gallery, en juillet, beaucoup me sont inconnus ou presque, et il est vite frustrant de devoir les chercher.
Un carambar (et plus si affinités) à qui me fait une galerie d'images !
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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Citations et extraits (40) Voir plus Ajouter une citation
La première fois que, des années plus tôt, Olvido Ferrara et lui avaient parlé de la peinture de batailles, c'était dans la galerie du palais Alberti, à Prato, devant le tableau de Giuseppe Pinacci intitulé "Après la bataille", une de ces scènes historiques spectaculaires d'une composition parfaite, équilibrée et irréelle, mais qu'aucun artiste lucide, en dépit de tous les progrès techniques additionnés, ceux du passé comme ceux de la modernité, ne se risquerait jamais à discuter. Il est curieux avait-elle dit - au milieu des cadavres dépouillés et des agonisants, un guerrier achevait à coups de crosse un ennemi à terre semblable à un crustacé, sous le casque et l'armure qui le couvraient complètement -, de constater que presque tous les peintres de batailles intéressants sont antérieurs au XVIIe siècle.
A partir de là, aucun, excepté Goya, ne s'est risqué à contempler un être humain frappé pour de bon par la mort, avec du sang authentique et non un sirop héroïque dans les veines; ceux qui, à l'arrière, finançaient leur travail, considéraient cela inopportun.Puis la photographie a pris la relève. Tes photos, Foulques. Et celles des autres. Mais n'ont-elles pas, elles aussi, perdu leur honnêteté? Aujourd'hui, montrer l'horreur en premier plan est politiquement incorrect. De nos jours, même l'enfant qui lève la main sur la célèbre photo du ghetto de Varsovie aurait le visage masqué, sous prétexte d'atteinte à la loi sur la protection des mineurs.
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Les ruines étaient indestructibles, non ? Elles demeuraient là des siècles et des siècles, bien que les gens viennent se servir en pierres pour leurs maisons et en marbre pour leurs palais. Et ensuite venaient Hubert Robert ou Magnasco avec leur chevalet, qui les peignaient. Aujourd’hui, tout a changé. Mets-toi bien ça dans la tête. Notre monde ne fabrique plus de ruines mais des décombres, et, dès qu'il le peut, il envoie un bulldozer qui balaye tout pour laisser la place à l'oubli. les ruines gênent, elles incommodent. Et ainsi, sans livres de pierre pour lire l'avenir, nous ne sommes pas longs à nous voir sur la rive, un pied dans la barque, et sans monnaie en poche pour Charon.
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On arrivait ainsi, derrière les armes de d'obstruction et celles de destruction — Olvido l'avait vu avec une extrême lucidité sur la photo de Beyrouth —, au troisième système : les armes de communication. La fin de l'image aseptisée et innocente, ou de cette fiction universellement acceptée. À l'époque des réseaux informatiques, des satellites et de la mondialisation, ce qui modifiait le territoire et les vies qui le traversaient, c'était la désignation. Ce qui tuait, c'était de désigner du doigt : un pont capté dans le monitor d'une bombe intelligente, l'annonce d'une montée ou d'un écroulement de la Bourse émise par tous les journaux télévisés du monde à la même heure. La photo d'un soldat qui, jusqu'à ce moment, était un visage anonyme parmi d'autres.
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L'homme qui peignait cette immense fresque circulaire, bataille des batailles, avait passé beaucoup d'heures de sa vie à l'affût d'une telle structure, tel un franc-tireur patient, que ce soit sur une terrasse de Beyrouth, sur la rive d'un fleuve africain ou au coin d'une rue de Mostar, espérant le miracle qui, d'un coup, dessinerait à travers la lentille de l'objectif, dans la chambre noire -rigoureusement indifférente- de son appareil et sur sa rétine, le secret de ce canevas d'une incroyable complication qui ramenait la vie à ce qu'elle était réellement : une course folle vers la mort et le néant.
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- C'est là, sous la peau, dit-il enfin. Dans nos gènes... Seuls les règles artificielles, la culture, le vernis des civilisations successives protègent l'homme de lui-même. Les conventions sociales, les lois. La peur de la punition. (...)
- Et Dieu, Monsieur Faulques ?... Êtes-vous croyant ?
- Et puis quoi encore ? (...)
- Regardez-les. Impossible d'être plus civilisés, tout au moins tant que ça ne leur coûte aucun effort. Polis, disant même encore parfois " s'il vous plaît " avant de demander quelque chose... Mettez-les dans une pièce fermée, privez-les de l'indispensable, et vous les verrez se déchiqueter entre eux.
Markovic les observait aussi. Convaincu.
- J'ai vu ça, confirma-t-il. Pour un quignon de pain, ou une cigarette. Et plus simplement pour rester en vie.
- Vous savez donc, comme moi, que quand le désastre renvoie l'homme au chaos dont il est issu, tout ce vernis de civilisation éclate en morceaux, et il redevient ce qu'il était, ou ce qu'il a toujours été : un parfait salaud.
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Vidéo de Arturo Pérez-Reverte
Il n'avait ni patrie ni roi, mais une poignée d'hommes fidèles. Ils ne cherchaient pas la gloire, seulement à apaiser leur faim. Ainsi naquit le mythe. Ainsi se raconte une légende.
Après avoir été banni du royaume de Castille par le roi Alphonse VI, Ruy Díaz vend, au mieux offrant, les services de sa troupe de soldats dévoués. Dans cette lutte pour la survie en territoire hostile, sa force de caractère et ses faits d'armes lui vaudront rapidement le surnom de Sidi Qambitur, maître triomphateur.
Avec son talent habituel, Arturo Pérez-Reverte nous plonge dans l'Espagne du XIe siècle, celle des rois rivaux, des batailles sanglantes et des jeux d'alliances entre chrétiens et Maures. Loin du mythe manichéen du Cid patriote, Sidi est le portrait d'un chef de guerre hors pair, d'un formidable meneur d'hommes et d'un stratège au sens de l'honneur inébranlable. Un roman haletant, épique et magistral, une immersion au coeur de l'Histoire.
Traduit de l'espagnol par Gabriel Iaculli
« Un récit magnifique, du pur Pérez-Reverte. » El Mundo
Arturo Pérez-Reverte, né à Carthagène, Espagne, en 1951, a été grand reporter et correspondant de guerre pendant vingt et un ans. Avec plus de vingt millions de lecteurs, il est l'auteur espagnol le plus lu au monde, et plusieurs de ses romans ont été portés à l'écran. Il partage aujourd'hui sa vie entre l'écriture et sa passion pour la navigation. Il est membre de l'Académie royale d'Espagne.
En savoir plus : https://bit.ly/3ViUsSE
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