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EAN : 9782916209517
372 pages
Editions Yago (01/03/2008)
3.76/5   41 notes
Résumé :
Le roman du film de Xavier Beauvois

Avec le départ des hommes pour la Grande Guerre, la grande Hortense, Francine, Léa et Solange se font les gardiennes de leur milieu rural, chargées de préserver leur patrimoine en attendant la paix.
Ces femmes au quotidien extraordinaire doivent s’organiser, se mobiliser et se battre pour faire vivre les fermes.

Ernest Pérochon illustre à sa manière le long combat des femmes pour leur émancipat... >Voir plus
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Qui sont donc ces gardiennes dont parle Ernest Pérochon ?

Lors de la Grande Guerre, les hommes sont mobilisés pour partir au front. Tous les hommes, ceux des villes et ceux des campagnes. Tous croient que le conflit sera de courte durée, qu'ils pourront bien tenir une année.

Le village de Sérigny, dont les métairies se trouvent entre la plaine niortaise et le Marais poitevin, ne fait pas exception. Les femmes d'agriculteurs se retrouvent dans les champs, aidées par leurs adolescents, les plus jeunes étant souvent livrés à eux-mêmes, conseillées par les vieux trop âgés pour l'enrôlement. Ce sont elles les gardiennes. de la ferme, des animaux, de la subsistance quotidienne. Elles qui se tuent à un travail auquel elles ne sont pas préparées, qui doivent affronter les intempéries, prendre des responsabilités jusque là dévolues aux seuls hommes, payer le fermage quand elles ne sont pas propriétaires, vendre les produits de la ferme, approvisionner les villes et les hommes du front.

En bref, un travail harassant que tous croyaient momentané.
Après un an de guerre, la vie prend une autre tournure, les nouvelles des soldats annoncent le durcissement des positions, les permissions sont reportées, les rôles féminins sont en pleine mutation. Les méthodes d'exploitation changent en fonction des forces et des effectifs réduits. le courage et la détermination des femmes à maintenir leur patrimoine en état jusqu'au retour du mari et des fils, sont souvent mis à l'épreuve.

La famille Misanger est emblématique de cet épisode peu exploité en littérature. Il semble même que ce livre soit le seul, en France, à décrire la vie des femmes « à l'arrière ». Il en existe à propos des femmes dans les usines, dans les administrations, dans les services aux blessés, mais aucun sur cette vie épuisante dans les campagnes au cours de la Première Guerre mondiale. « Les deux femmes firent sécher le regain et le rentrèrent. Ce n'est pas un mince travail que de rentrer du foin au pays du Marais. Il faut le prendre sur le pré, le porter à la conche, dresser la batelée, conduire le chargement à la perche par les fossés étroits, parfois même le haler à bras. Devant la Cabane, il faut ensuite décharger le foin, le porter enfin du canal jusqu'à la grange où on l'entasse » (p. 55).

Les parents Misanger reprennent le collier alors qu'ils avaient confié leur ferme à leurs enfants après une rude vie de labeur. Les deux fils et le gendre appelés sous les drapeaux, et la fille exploitant à grand peine la propriété de son mari, le père et la mère Misanger retrouvent les gestes d'antan, la mère surtout, qui va mener son exploitation tambour battant.

Elle n'hésite pas à parcourir des kilomètres pour intercéder auprès de l'armée pour obtenir des bras pour les moissons, que ce soit ceux de blessés légers ou ceux de prisonniers allemands, et à partir de 1917, de soldats américains débarqués à La Rochelle et attendant leur affectation au combat.

Elle engage, sans la ménager, une jeune fille de l'assistance publique pour s'occuper de la maison. Plus tard, la jeune femme secondera sa patronne dans les champs et connaîtra quelques moments de bonheur auprès de l'un des fils permissionnaires. La mère n'hésitera pas à recourir à la délation pour les éloigner.

Peu à peu, ces gardiennes investissent dans de nouvelles machines agricoles venues des Etats-Unis, qui soulagent considérablement les travaux des champs, les prix flambent, le fromage, le beurre et les oeufs atteignent des cotes jamais vues, les permissionnaires découvrent, décontenancés, leur patrimoine géré avec intelligence et modernité. Certains se sentiront dépassés, ravagés par les souvenirs des tranchées, absents.

Les Gardiennes peuvent être assimilées à un documentaire grâce aux descriptions pointues des moeurs et de la vie de la campagne française du début du XXe siècle. Elles m'ont rappelé l'excellent roman d'Angela Huth « Les Filles de Hallows Farm » qui retrace ces mêmes conditions dans les campagnes anglaises de la Deuxième Guerre mondiale.

Ernest Pérochon est né en 1885 dans les Deux-Sèvres, où il fut instituteur. En 1920, il obtient le prix Goncourt pour son roman Nène. En 1914, il est affecté au service de la Poste et prend grand soin à observer la « vie des humbles » dont il parle sans emphase mais avec force détails. En 1940, il refuse de collaborer avec le gouvernement de Vichy et il est surveillé par la Gestapo. Il meurt d'une crise cardiaque à l'âge de 57 ans.

Grand merci à Nostradamus27 qui m'a fait connaître Ernest Pérochon, auteur injustement oublié. J'espère qu'il sera remis à l'honneur lorsque sortira, fin de cette année 2017, le film « Les Gardiennes » de Xavier Beauvois (Des Hommes et des Dieux, le petit Lieutenant). Une très intéressante préface d'Eric Kocher-Marboeuf, président des amis d'Ernest Pérochon, retrace les principales étapes littéraires de cet auteur de romans ruraux que je vous recommande avec chaleur.

Les Gardiennes datent de 1924 et le livre a été réédité en 2016 par les éditions Marivole.
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Je ne remercierai jamais assez les Babeliotes qui sortent de l'oubli les auteurs oubliés comme Ernest Perochon et exhument leurs ouvrages méconnus.
C'est vous qui m'avez donné envie de découvrir « les gardiennes », émouvante évocation de l'arrière front durant la Grande Guerre et hommage aux femmes et aux adolescents qui cultivèrent les terres de 1914 à 1919 et préparèrent le pain, le coeur angoissé dans l'attente des nouvelles de leurs soldats, ou brisé à l'arrivée du courrier par l'annonce des blessures ou des décès.

Hortense, à 58 ans, prend en main son mari épuisé par une vie de labeur et dirige les jeunes ménages désormais privés de leurs hommes. Leur fils Constant, cheminot devenu Capitaine, meurt au combat. Solange, leur fille, folâtre en l'absence de Clovis prisonnier en Allemagne. Les autres fils sont au combat. Hortense exploite et développe les fermes et veille à la tenue des maisons. Ancrée dans sa commune, solidaire des autres familles elle se dévoue discrètement pour les foyers démunis et méritants.

Francine, jeune femme élevée par l'assistance publique, est embauchée et seconde activement sa patronne. Elle sera injustement « remerciée ».

L'intrigue, au coeur du marais niortais, est aussi simple qu'émouvante, et les héroïnes esquissées par petites touches composent une toile impressionniste datée à certains égards, mais éternelle par ailleurs. de toute temps lorsque Ulysse est éloigné par la guerre, Pénélope assiégée fait front stoïquement !

Ces pages rappellent celles que René Bazin consacra aux bretonnes dans « Magnificat » et plus largement aux françaises dans ses « Recits du Temps de la Guerre, 1915  » ... femmes exemplaires dont le rôle fut aussi méconnu qu'incontestable durant cette première guerre mondiale.

« Les gardiennes » aujourd'hui ont leurs conjoints en OPEX et tiennent vaillamment leurs familles ... hommage à elles !

PS : mon commentaire des Recits du Temps de la Guerre, 1915 :
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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Quel joli titre que celui-ci « Les Gardiennes ». Il illustre parfaitement ce récit et suppose tout le courage, les sacrifices, les obligations auxquels ces gardiennes ont dû faire face au moment de la Grande Guerre.

Sur le site « Grégoire de Tours », on peut lire l'appel qui est adressé aux femmes par le Président du Conseil, René Viviani, le 2 août 1914. Cette demande rend compte de l'instant tragique que vit le pays.

A la lecture de ce discours, comment ne pas imaginer le fardeau qui tombe subitement sur les épaules de ces femmes, le sentiment de solitude qui les envahit sans compter la douleur, l'angoisse de voir partir l'époux, le frère, le père, le fiancé, le fils. La guerre est déclarée, tous les hommes valides partent pour le front.

Quel bel hommage qu'Ernest PEROCHON leur rend en nous proposant cette fiction très inspirée des faits de cette triste période. Il salue toutes ces femmes, ces épouses, ces mères, qui se sont emparés des usines, des terres agricoles, des magasins, des bureaux, pour ne pas laisser sombrer l'économie de la France.

J'ai tout particulièrement apprécié l'écriture d'Ernest PEROCHON, très facile à lire et très agréable pour les amateurs de notre belle langue française, elle est passéiste, « ensemencée » des mots qui sonnent joliment à notre oreille et qui nous emportent dans nos lointains souvenirs de petits enfants de gens de la terre. Il y a des passages d'une grande émotion à l'intensité de laquelle nous ne pouvons échapper.

Ce récit nous raconte les épreuves, les énormes difficultés et les quelques satisfactions que vivent quatre femmes : Hortense Misangère, maîtresse femme, sa fille, Solange, sa bru, Léa, Francine, domestique, venant de l'Assistance et la petite boulangère, Marguerite. Travailleuse infatigable, Hortense mène son petit monde à la baguette malgré ses 58 ans y compris aussi, son mari, Claude, bien épuisé, bien abimé par ses années de dur labeur.

Ce livre, paru en 1924, est un véritable témoignage de ce que les femmes ont dû surmonter en l'absence des hommes, le courage, la force morale qu'il leur a fallu pour remplacer les hommes et veiller à la préservation de leur patrimoine : leur seul moyen de subsistance jusqu'au retour de la Paix.

Chez ses paysannes, on ressent l'amour viscéral de la terre, cette terre qui vous absorbe corps et âme, qui vous demande tout jusqu'à l'abnégation comme le fait la mer avec les marins.
Il faut lire les passages du travail dans les champs, imaginer ces femmes confrontées au dur labeur qu'assumaient les hommes, prendre la fourche, dresser les meules de paille, veiller à ce qu'elles ne s'écroulent pas, ferrer les mulets, mener les bêtes, moissonner, faucher. Hortense va jusqu'à se heurter à sa fille, Solange, qui par moment est à bout, démotivée, et qui envisage de tout laisser tomber. Mais Hortense veille et mène son petit monde d'une main de fer. Elle en devient même impitoyable. C'est un sacré portrait de femme de la terre qu'Hortense mais elle en paiera le prix fort ! Son but, transmettre la terre aux descendants, la faire fructifier et démontrer aux hommes toutes les capacités dont sont capables les femmes.
Et puis, il y a Léa, qui vit dans le marais et que l'humidité rend malade mais qui ne baisse jamais les bras. Quant à Francine, enfant de l'Assistance, elle symbolise la discrimination, la méfiance que ces enfants de l'assistance subissent de la part de la société civile : L'opprobre rejaillissant aussi sur leurs propres enfants. Avec vaillance, elle affrontera, elle aussi, une épreuve douloureuse.

Mais Ernest PEROCHON, c'est aussi la beauté de cette Venise Verte décrite avec tant de poésie que je me suis retrouvée avec Francine, en barque, rame à la main, à glisser paisiblement sur l'eau du canal :
« Dans l'eau calme du canal se reflétait les pâles quenouilles des peupliers de bordure et la procession blanche des nuages ; le bateau semblait glisser sur un pan de ciel ».

Il n'hésite pas non plus à évoquer l'arrivée des alliés, les américains, avec tous les émois que cela va engendrer en l'absence des hommes.

Moi qui suis femme et enfant de la Paix, je mesure l'étendue du chemin parcouru pour me permettre d'exister aujourd'hui en tant que femme et en tant qu'individu. Je conseille vivement la lecture de ce roman à nos jeunes femmes. C'est un livre féministe qui fait prendre conscience de la vie de nos arrières grands-mères, nos grands-mères et nos mères. Ce fut un tournant dans l'émancipation des femmes mais au retour du front, les hommes ont voulu reprendre leur place et cantonner les femmes aux travaux domestiques. Mais elles avaient goûté à l'émancipation et elles ne feraient plus marche arrière. Je suis issue de cette catégorie de femmes, je pense à mon arrière grand-mère qui a fait tourner l'usine pendant que mon arrière grand-père était au front, je pense à leur fille qui mettait les « culottes » de son père et avait les cheveux courts en 1920 qui m'a toujours dit « ne dépend jamais d'un homme ma petite fille, ai un bon métier », à ma mère qui s'est battue pour l'IVG et qui m'a toujours dit « le jour où on veut vous enlever l'IVG, descends dans la rue, bats toi ».

Ces femmes n'ont jamais considéré l'homme comme un ennemi, bien au contraire, mais comme l'autre partie de l'humanité. Elles ont revendiqué simplement l'égalité des droits. Je suis fière de cet héritage sur lequel je dois veiller et je les en remercie du fond du coeur.

Claire et Nostradamus, je tiens à vous remercier pour m'avoir fait connaître Ernest PEROCHON et ses gardiennes.
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Quelle belle idée que le cinéaste , Xavier Beauvois ressorte de l'oubli cet auteur méconnu, pour ne pas dire "passé à la trappe"... D'Ernest Pérochon, je ne me souviens vaguement , très vaguement (même) avoir lu son nom dans les manuels de lecture lorsque j'étais enfant, dans une école bretonne, où trois classes cohabitaient avec une seule institutrice...mais j'avoue n'avoir rien lu de cet écrivain, pacifiste, instituteur lui-même !

Je souhaitais aller découvrir le film à sa sortie, début décembre...Ce n'est que reporté... le plus grand des hasards m'a fait venir en Vendée, près de Niort, [ cet auteur a vécu dans cette ville, et y est décédé] pour passer Noël, chez des amis... et suis "tombée" dans un débit de presse- tabac sur le seul
exemplaire de cette réédition... Je me suis empressée de l'acquérir et l'ai lu d'une traite dans la nuit... Un roman bouleversant qui parle du courage, de la force des femmes pendant la première guerre; Ces femmes de tous milieux, qui ont fait tourner les fermes, les exploitations, les entreprises
du pays, puisqu'il ne restait qu'elles, les enfants et les vieillards... et les éclopés divers...pour faire "fonctionner le pays"...

Nous suivons, au départ des hommes pour La grande Guerre, les combats et le travail surhumain de la Grande Hortense, Léa et Solange (belle-fille et fille de la précédente), Francine, toute jeune fille de l'Assistance Publique... qui va se retrouver embauchée par la "terrible et vaillante Hortense" [ qui mène tout son monde à la baguette]... Une histoire poignante, qui dit la force incroyable des femmes, l'horreur de toute guerre [ on sent dans les lignes de cet ouvrage, à quel point Ernest Pérochon est en colère contre le gouvernement et les décisions d'en haut !, et de l'absurdité de cette grande guerre et de toute guerre d'ailleurs !]

C'est un roman qui exprime de façon incroyable l'âpreté, la dureté de la vie
à cette époque...âpreté démultipliée car l'histoire se déroule dans le monde
paysan, cette terre qui nourrit et qu'il faut soigner, faire fructifier sans répit.

Ce livre m'a chavirée pour plusieurs raisons: l'époque est terrible, le combat quotidien des femmes qui tiennent l'avenir du pays entre leurs mains, exceptionnel de détermination et d'énergie surhumaine, les histoires individuelles aussi âpres que le contexte historique... et je retrouve avec une émotion infinie la vie, les récits de ma grand-mère bretonne, née en 1900. Et lorsque je choisis le mot "âpre" ce n'est pas un adjectif choisi à la légère...Ma grand-mère, fille de meuniers, s'est retrouvée orpheline, placée dans une famille de riches paysans, où elle était en dépit de liens forts avec son cercle familial, traitée comme une servante de ferme, exploitée, non payée...travaillant 7 jours sur 7, comme une bête de somme...

Elle vivait la vie terrible des "valets de ferme"...j'ai donc lu le parcours
malmené, douloureux de la servante, Francine (provenant , en plus,
de l'Assistance Publique; sans famille ni personne pour la protéger)
avec d'autant plus d'émotion...

De très belles descriptions du marais poitevin... dont j'ai quelques souvenirs éblouis... Sans omettre un certain vocabulaire, devenu "suranné" ou "inusité " : comme " engeigner" , "emblavures", "conche", etc.

Une lecture aussi captivante que "tourneboulante"....Cela réactive
ma curiosité de lire d'autres récits d'Ernest Pérochon...dont "Nêne"...
Je trouve également le parcours de cet auteur-instituteur aussi passionnant
que courageux, et "rebelle"...

Il me reste le film de Xavier Beauvois à découvrir... son regard de
cinéaste sur ce roman et sur cet écrivain. Mille Mercis à lui d' avoir sorti
Ernest Pérochon de son "purgatoire" !!

---------------

******"Presque un siècle sépare le livre "Les Gardiennes" de son adaptation
au cinéma, mais dès 1940, un autre enfant du pays, le réalisateur niortais
Henri-Georges Clouzot, souhaitait déjà en faire un film.
Mais en plein régime de Vichy, impossible de voir le projet naître.
Ernest Pérochon s'éteindra deux ans plus tard à 56 ans, sans jamais
avoir vu ses gardiennes à l'écran.

"Les Gardiennes", un film de Xavier Beauvois avec Nathalie Baye et
Laura Smet. Sortie le 6 décembre 2017" [ France-3]
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Dans les Deux-Sèvres, pendant la Grande Guerre, les "gardiennes" sont ces femmes qui, en l'absence des hommes partis combattre, ont fait tourner les fermes, les exploitations, l'économie pour que le blé soit planté, cultivé et moissonné, pour donner du pain aux Français, soldats inclus. En plus du travail harassant de la terre, il a fallu continuer à éduquer les enfants et à protéger les plus faibles.

Hortense Misanger, dite "La Grande Hortense", est un parangon d'exigence. Gardienne parmi les gardiennes, elle mène son monde d'une poigne de fer. Cette figure implacable et farouche, à la fois marâtre et femme de tête, inspire au lecteur terreur et fascination. Autour d'elle, véritable pivot du récit, d'autres figures féminines évoluent telles sa fille Solange et sa servante Francine, particulièrement émouvante en raison de son destin d'enfant confiée à l'Assistance. Les hommes sont là aussi, présents par intermittence, au gré des permissions ou des blessures.

Ernest Pérochon offre ici un spectacle d'un réalisme convaincant et poignant. Paru en 1924, "Les gardiennes" brosse la vie quotidienne dans les compagnes entre 14-18. Un roman social qui ne tombe pourtant pas dans le documentaire et s'attache aux destins particuliers, aux relations voire aux rouages entre les personnages de ce drame de "double campagne", campagne militaire et campagne agricole. Un vrai souffle romanesque anime le récit.

Entre bois, marais et champs, au rythme des saisons, la vie se poursuit vaille que vaille puisqu'il faut tenir, manger, espérer et parfois aussi, aimer, luxe suprême qui n'est à la portée que d'une poignée de chanceux.

J'ai énormément apprécié cette lecture qui est un quasi coup de coeur. J'ai hâte désormais de visionner l'adaptation de 2017 de Xavier Beauvois avec Nathalie Baye dans le rôle principal.


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La poigne virile manquait et les êtres capricieux sur qui elle avait coutume de s'appesantir cherchaient à s'émanciper.

Les enfants n'obéissaient plus, les valets parlaient avec arrogance ; des mendiants à figures de sorciers sortant on ne sait d'où menaçaient ; des gens de mauvaise réputation redressaient la tête et ricanaient. Les bêtes domestiques elles-mêmes se croyaient tout permis. Des chevaux infirmes ruaient dans les brancards, prenaient le mors aux dents. De vieux bœufs placides, abrutis de servitude, devenaient espiègles, se mettaient tout à coup à batifoler et refusaient de se laisser enjuguer ; ou bien, au moment où l'on voulait les délier, ils secouaient la tête de toutes leurs forces, envoyant le joug danser au loin. Aux Maisons Rouges, un hameau de la plaine de Sérigny, une pauvre servante eut de la sorte la tempe fracassée. Au même endroit il fallut abattre un bouc qui était devenu inabordable.

Tout ce désordre fut une des misères accessoires du triste temps de guerre.
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Ses regards cherchaient les témoignages du bonheur des siens. Ce bonheur était l'œuvre maîtresse de sa volonté ; œuvre douloureuse dont il lui restait de profondes blessures. Elle songeait à Claude qui était mort en la maudissant, à ses enfants qui ne l'aimaient guère ; elle revoyait Francine partant seule sur le chemin d'aventure.

Elle comprit que toute joie était finie pour elle et qu'elle allait peut-être avoir de grands remords. Du fond de son cœur elle y consentit. Son visage retrouva son habituelle sérénité.

Elle murmura, elle aussi :

-J'ai mon dû !

Puis, pour souffrir, elle entra dans sa maison froide où s'installait l'ombre du soir. Par l'étroite fenêtre se glissaient les derniers rayons du couchant ; ils illuminaient, au-dessus de la cheminée, la haute figure de l'officier défunt.

La Misangère s'avança, comme attirée par cette clarté; et il lui sembla que vers elle s'abaissaient doucernent les yeux sévères.
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Il y eut une belle hausse, ce printemps là [1917], sur toutes les denrées. Personne ne parla plus d’abandonner la culture ; les femmes les moins courageuses, les vieillards les plus fatigués se ressaisirent ; les champs qui étaient restés en friche furent bien vite ensemencés.

On fignola moins la besogne ; des procédés nouveaux et rapides furent employés. L’abondance d’argent facilita les choses, permit, par exemple, aux gros et moyens exploitants d’acheter des machines venues des pays étrangers. Malgré la rareté toujours plus grande de la main-d’œuvre virile, le travail se fit mieux que les années précédentes.

Il ne faut pas se hâter de dire que c’était le seul appât du gain qui relevait ainsi le courage des gens de la terre. Dans les âmes les plus humbles, il y avait le sentiment exaltant d’une victoire ; victoire pénible, lente, achetée au prix de peines obscures et incroyables, auxquelles, dans le désordre tragique de la guerre, on ne prêtait peut-être pas suffisamment attention.
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Lorsque Léa s'asseyait à sa fenêtre elle avait sous les yeux les bateaux de la maison que l'eau du Grand Canal balançait doucement, et devant elle s'ouvrait cette conche de Saint-Jean qui est d'une beauté rare.

On voit, de chaque côté de cette conche, une double rangée d'arbres. D'abord, des frênes têtards dont les racines sortent de l'eau comme d'énormes reptiles ; lorsque le brouillard les enveloppe, on prendrait ces frênes pour des commères géantes agenouillées au bord du canal pour laver. Un peu en arrière, ce sont des peupliers au tronc lisse poussant d'un seul jet et mêlant à vingt mètres de hauteur leurs branches souples. À la belle saison, lorsque tout est pavoisé, cela fait un étrange tunnel au-dessus de l'eau immobile et noire. La lumière du soleil tombant sur cet opulent feuillage est filtrée et teintée ; il ne pénètre sous la voûte qu'une légère brume d’ort vert.
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Elle était seule sur la terre parmi les indifférents. Son nom même ne la rattachait à personne ; on le lui avait donné à l’hospice comme on lui eût donné un numéro, en prenant bien soin que ce nom ne fût pas un nom ordinaire appartenant déjà à quelqu’un du pays… Quand l’âge fut venu, elle entra en condition. A la ville, d’abord, chez de petites gens qui faisaient les fiers et l’appelaient « Marie » lorsqu’ils voulaient la commander ; autrement, ils ne lui parlaient jamais.

p. 62
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