J'ai toujours aimé les contes. Les écouter d'abord, car j'ai cette chance d'avoir eu des conteuses chez moi et pas de télévision.. et puis par la suite, les lire. Et là, l'âge importe si peu ! Quand j'ai tenu en mains ce livre, quand j'ai regardé les illustrations, j'ai compris que je revenais un peu "chez moi", en pays d'Enfance éternelle.
Ce conte né en une époque si lointaine pour nous et ici présenté dans un langage adapté à notre temps, se lit ou plutôt s'entend, ainsi le combat entre le bouillant Geoffrey et le géant, sa fureur contre les moines,ses jurons..., ce conte se regarde dans la foule de détails qui restitue sous notre regard émerveillé, tout le raffinement de ce Moyen-âge qui savait parer ses chevaux d'argent et de pierreries, brocher d'or ses tentures... Tout y est opulence propice à l'évasion et à la rêverie du lecteur. Et Mélusine, me direz-vous ? Comment soulever le voile magique qui la recouvre ? Veuillez donc je vous prie, ouvrir la porte du livre de Michèle Perret, introduisez-vous à sa suite et appréciez en l'écriture à la fois simple et savante, d'un art consommé, qui ne pourra que jeter un sortilège et vous envoûter jusqu'à l'ultime page. Et là encore, aller plus loin avec la postface, les notes et repères chronologiques car outre qu'il dépayse et divertit, ce roman vous révélera les secrets de ce temps-là...
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La Légende de Persine et Mélusine
Tradition vendéenne
"Si vous essayez de voir une fée
En plein jour
En pleine lumière
En plein midi...
Ça marchera pas !
Les fées
On les surprend parfois à l’aube
Entre deux lumières
Émergeant de la brume
Ou sous la lune pleine"
Elinas, roi d’Écosse, a semé ses suivants au cours d’une partie de chasse. Il est maintenant seul, sur son cheval, au beau milieu de la forêt, gouttant à une tranquillité qui lui est assez peu familière. Il finit par déboucher dans une grande clairière au milieu de laquelle se trouve une fontaine. La fée Persine, reine des fées d’Écosse, s’y baigne. Elle n’entend pas le roi s’approcher, sans doute trompée par les éclats de la chasse qui se perdent dans le lointain. Elle est d’abord surprise, puis elle reconnaît le roi qui reste interdit, bras ballants, devant une telle apparition...
Le roi, en un clin d’œil, des sommets du pouvoir, des cimes de la richesse, tout roi qu’il est, le roi Elinas d’Écosse tombe... en amour.
La fée est sortie de la fontaine et se tient devant lui, magnifique et élancée, entièrement nue... Et le cœur d’Elinas bat la chamade, galope même !
Le cœur du roi se rend à cette femme qui semble si fragile
A cette reine de l’autre monde...
- Je m’appelle Persine, lui dit la fée. Je suis reine de mon peuple et nos deux destins sont désormais intimement entremêlés. Je sais lire les signes et déchiffrer les cœurs, sans jamais me tromper... Et c’est là mon pouvoir ! Nous allons nous marier, ô roi... Mais avant tu dois me promettre, que jamais tu ne chercheras à me voir du temps de mes couches.
Ainsi parle la fée, et le roi fait le serment attendu.
Les épousailles sont bientôt célébrées et le bonheur règne sur le pays. De leur union naissent trois filles : Mélusine, Mélior et Palestine. Il sont heureux...
Un temps...
Mais le bonheur, ça ne peut que se flétrir. Comme une fleur.
Mataquas, le fils maudit, premier né du roi, d’un premier mariage. Mataquas le jaloux, le fourbe... Mataquas pue-la-haine !
- Pourquoi donc, mon noble père, mon puissant roi, pourquoi cet interdit ? Il y a là-dessous, à n’en point douter, quelque mystère qu’on cherche à vous cacher, quelque trahison sur laquelle on ne voudrait pas que vous portiez les yeux, de peur de votre juste courroux. Ne point la voir du temps de ses couches... Vous êtes en votre royaume ! C’est vous qui commandez !
Le roi est noble et fier, alors au tout début, il refuse d’écouter les paroles de son fils. Manquer à sa promesse, il n’en est pas question une seule seconde...
Mais deux secondes, déjà, c’est bien plus long...
Et les jours
Les mois
Et le venin qui coule intarissable...
Le venin
Qui coule
Intarissable
Le roi est noble et fier, alors il finit par douter. Les démons le tourmentent et lui, seul, il résiste. Mais des démons, on en a toujours à ne plus savoir qu’en faire...
Elinas, roi d’Écosse, car il est noble et fier, entre dans la chambre où Persine baigne ses trois petites.
Persine pousse un hurlement, et au dessus du bruit des larmes de ses filles, désespérée elle lance à Elinas :
- Tu m’as trahie et nos cœurs se déchirent ! Désormais, et par ta faute, je suis perdue pour toi !
Sans un adieu, ni un dernier regard, elle s’envole en fumée avec ses enfants enveloppés dans une serviette rouge. La baignoire est vide, l’eau s’est évaporée, et l’on raconte qu’Elinas effondré l’a remplie de ses larmes.
Persine s’en est allée dans l’île enchantée d’Avallon. Elle y élève ses filles pendant quinze ans. Et chaque matin, un peu avant le jour, elle conduit Mélusine, Mélior et Palestine au sommet de la montagne Fleurie d’Eléonos. De là, elles contemplent le lever du soleil sur les rivages d’Écosse que l’on devine au loin.
- Voyez, mes filles, c’est là que nous aurions dû vivre, heureuses, si votre père n’avait pas manqué à sa parole. La joie aurait été notre quotidien alors que désormais nous sommes condamnées à cette misérable condition...
L’amertume, la nostalgie hantent le cœur de Persine qui ressasse sans arrêt le récit de sa tragique épopée.
Un jour, l’aînée, Mélusine, réunit ses deux sœurs en secret pour les entretenir d’un plan :
- Pendant ce temps qui est passé, j’ai bien réfléchi... Tout est la faute d’Elinas, notre père. Nous sommes maintenant versées dans les sciences magiques... Il serait juste qu’il paie encore plus durement le tourment dans lequel il nous a plongé.
Il serait juste
Qu’il paie
Encore plus durement
Le tourment dans lequel il nous a plongé !
Les sœurs acquiescent ; le roi d’Écosse se retrouve enfermé dans la montagne de Northumberland, que l’on appelle encore Brumblerio. A tout jamais...
Enfermé !
Il serait juste
Qu’il paie
Encore plus durement
Le tourment dans lequel il nous a plongé !
Les enfants sont cruels...
- Misérable filles ! leur dit leur mère quand elle apprend la nouvelle. Qui êtes-vous pour oser juger le destin ? Qui croyez-vous être pour vous substituer à son bras vengeur ? Qui pensiez-vous ainsi châtier ? Vous n’avez plus votre place sur l’île enchantée d’Avallon et nous devons ce jour nous séparer pour ne plus nous revoir.
Elle s’adresse alors plus particulièrement à Mélusine :
- Quant à toi, qui est la plus savante, toi par qui tout est arrivé, écoute maintenant quel est ton châtiment. Tu seras désormais, chaque samedi, Serpente du nombril jusqu’aux pieds. Si jamais tu viens à te marier, ton mari ne devra jamais te voir sous cet aspect ni connaître ton lourd secret. A cette condition tu vivras et mourras comme une femme, sinon tu connaîtras la solitude et les tourments sans fin ! Mais quoiqu’il en soit tu seras la source d’une noble et courageuse descendance qui commettra de hauts faits.
Adieu, ma première fille, et ne reviens jamais...
Les trois sœurs se sont séparées ; Persine, quant à elle, est restée en Avallon, toute seule avec ses souvenirs et son chagrin.
Mélior deviendra reine des étoiles filantes et Palestine princesse des cygnes blancs. Mais ce sont là d’autres histoires...
La jeune Mélusine va par les chemins, elle arrive en terre de France et erre dans les forêts du Poitou. Au fil du temps, son cœur s’apaise et une belle nuit, elle lit dans les étoiles qu’elle est désormais capable d’aimer. Alors, comme le soleil se lève, du plus profond d’elle jaillit un rire pur et cristallin...
Et le temps passe encore et une belle nuit, elle lit dans les étoiles que désormais elle pourra elle aussi être aimée. Elle se rend alors à la fontaine de Sé, au milieu de la forêt de Colombiers. Là, elle quitte sa robe et entre dans l’eau claire pour s’y baigner au clair de la lune.
Cette même nuit, le jeune Raymondin galope dans la forêt . Droit devant lui, il ne fait rien pour éviter les branchages qui viennent lui déchirer le visage. Il a mal, la douleur le déchire car la fatalité a fait de lui un meurtrier. En effet, lors d’un terrible accident de chasse il a ôté la vie à son oncle Aimeri, le comte du Poitou.
Il galope pour oublier.
Si seulement il pouvait oublier !
Il galope sur sa monture hors d’haleine qui l’accompagne au bout de la folie...
La chevauchée maudite débouche dans une clairière où soudainement le cheval se met au pas. Raymondin pose pied à terre... et il s’approche de la fontaine, comme hypnotisé.
- Je t’attendais, lui dit la fée. Il n’y a pas de mots qui puissent te consoler, pas d’actes qui puissent revenir contre le temps passé. C’est le destin, nous devons y faire face car c’est le lot de toute créature qui pense et qui respire au monde.
Et Raymondin, en un clin d’œil, des profondeurs de la folie, des abîmes du désespoir, là où l’obscurité est si opaque que l’on s’y prend les pieds et que l’on tombe encore plus bas, et que l’on se relève pour tomber encore, et bien Raymondin est illuminé... par l’amour.
- Il faisait froid, dit-il. Mais cette étrange chaleur tout d’un coup... C’est vous ?
- Mais non, c’est toi !
- ...
- Je m’appelle Mélusine. Je vais t’accompagner et nous allons nous marier, Raymondin. Mais avant, tu dois promettre, tu dois me jurer que jamais que tu ne chercheras à me voir le samedi. A cette seule condition nous serons heureux.
Et Raymondin fait le serment attendu.
Mélusine lui conseille de retourner à la cour du nouveau comte du Poitou et de lui dire toute la vérité sur l’accident de chasse. Raymondin écoute son conseil, on lui pardonne, et il obtient même pour son mariage le fief de Lusignan.
Peut-être la fée a-t-elle tiré magiquement dans l’ombre les ficelles du destin en faveur de Raymondin... Qu’importe, les premières démonstrations au grand jour de ses pouvoirs sont spectaculaires : la nuit précédent les noces, elle bâtit une chapelle où a lieu la cérémonie et la forteresse de Lusignan dans laquelle le jeune couple s’installe.
Le bonheur est là, le pays est prospère.
Chaque nuit, Mélusine fait construire des châteaux, des abbayes et des chapelles, au petit peuple de la terre. Gnomes, lutins, farfadets, korrigans, à son service, de quelques pierres et d’un peu d’eau érigent les tours, clochers, dressent vers le ciel édifices et villes entières avant que le soleil ne reprenne sa course. Vouvant, Mervent, les forteresses de Tiffauge, Talmont et Partenay, la tour de Saint-Maixent, les tours de garde de La Rochelle et de Niort, l’église de Saint-Paul-en-Gâtine, et bien d’autres... Toutes ont eut le même architecte : Mélusine. Et si un curieux surprend la bâtisseuse au travail, elle s’arrête et laisse le chantier en l’état. C’est pour cette raison qu’il manque une fenêtre à Merrigoute ou la dernière pierre de la flèche de l’église de Parthenay.
Personne ne s’étonne ! Comme si c’était normal...
Parfois aussi on entend son rire enfantin qui soulage les peines les plus lourdes à porter.....
http://feeclochette.chez.com/Ailleurs/persine.htm
Seuls les hommes prétentieux ne croient pas au surnaturel.
En effet, notre pauvre intelligence humaine ne peut comprendre les mystères de toute la création divine, visible et invisible. Contentons-nous de faire acte d’humilité, d’admettre qu’il existe des choses surnaturelles qui nous échappent et de nous en émerveiller !
Ainsi je suis convaincu que certains prodiges, comme par exemple ceux qu’on attribue aux fées, sont bien réels. D’ailleurs, récits populaires et livres savants en portent témoignage et nos anciens nous ont souvent rapporté des rencontres avec ces créatures nocturnes qu’on appelle « lutins », « enchanteurs » ou « bonnes dames ». Aujourd’hui encore on dit en avoir vues ici ou ailleurs.
On raconte que les lutins entrent la nuit dans les maisons sans ouvrir les portes, enlèvent les bébés, les estropient ou les jettent dans le feu, et qu’à leur départ, ils les rétablissent en aussi bonne santé que si rien ne s’était passé[…]
On voit aussi parfois, la nuit, au coin du feu, des femmes qui ont l’air de petites vieilles ridées et rabougries. Elles accomplissent complaisamment les tâches ménagères et disparaissent au matin.
On dit qu’il arrive que ces êtres fantastiques prennent l’apparence de très belles femmes, et que plusieurs hommes en ont épousé. Elles leur font jurer de respecter certaines conditions : de ne jamais les voir nues ou de ne jamais chercher à savoir ce qu’elles font le samedi ou encore de ne jamais chercher à les voir pendants leur couches si elles ont des enfants. Tant qu’ils observent ces conditions, ils jouissent d’une situation élevée et d’une grande prospérité […]
Mais trêve d’anecdotes. Je ne les ai proposées, moi Jean d’Arras, qui commence cet ouvrage le mercredi avant la saint Clément, en l’an de grâce 1392, que parce que mon récit à pour objet l’histoire de la fondation de la noble forteresse de Lusignan en Poitou par une créature surnaturelle, par une fée. Et cette histoire est la pure vérité, tirée de chroniques authentiques, sans y ajouter d’inventions ou de digressions.[..]
Préface de JEAN d’ARRAS (Novembre 1392)
Le lendemain, les festivités recommencèrent et durèrent quinze jours. Mélusine combla de joyaux de prix les dames et les demoiselles, les chevaliers et les écuyers. Et tous reconnurent que Raymondin avait fait un noble et puissant mariage.
- Mais dites-moi, demanda encore une fois le Comte de Poitiers, à quel lignage appartient votre femme. Lorsque le vieux chevalier nous a accueillis, il nous a indiqué que sa maîtresse s'appelait Mélusine d'Albanie. Je vous prie donc de nous dire quel est ce lignage ? Elle doit être de très noble origine.
Les frères de Raymondin manifestèrent la même curiosité. Mais le jeune homme leur répondit :
- Jamais je ne me suis posé sur ma femme autant de questions que vous venez de le faire. Mais je peux vous assurer qu'elle est la fille d'un grand roi.
La parenté de Raymondin dut se satisfaire de cette réponse.
Quant à la légende, elle est toujours vivace : allez en terre poitevine et vous verrez la haute falaise sur laquelle s’élevait la forteresse aujourd’hui détruite, vous verrez les ruines de la puissante abbaye de Maillezais, vous verrez des dizaines de châteaux dont on vous dira qu’ils ont été construits par la bonne dame qui transportait, la nuit, les pierres dans son tablier, et sur le bord de la fenêtre de l’un d’entre eux, on vous montrera même l’empreinte qu’elle laissa de son pied, le jour où elle s’envola pour ne plus jamais revenir.
- Mon cher frère, je ne dois pas vous cacher votre déshonneur. Le bruit court partout que votre femme se livre à la débauche tous les samedis. Et vous, vous êtes si aveugle à son égard que vous n'osez pas chercher à savoir où elle va ! D'autres soutiennent que votre femme est un esprit enchanté qui fait sa pénitence le samedi. Je ne sais que croire, mais je ne puis tolérer ces murmures et je suis venu ici pour vous en informer.
À ces mots, ivre de colère, Raymondin repoussa la table, se précipita dans sa chambre pour chercher son épée et courut vers l'endroit où il savait que Mélusine se retirait tous les samedis.
Chapitre 11.