Avez-vous déjà aimé au point de ne vouloir faire vraiment qu'un avec l'être aimé ? Pas simplement par l'acte d'amour, mais au point que les chairs fusionnent, ne fassent qu'une seule ? Avez-vous déjà été amoureux au point d'être à la fois certes très heureux mais aussi désespéré car ne vous sentant jamais assez près de l'élu.e, vous avez beau serrer, enlacer presque en l'écrasant ce corps vénéré, malgré ces élans, « son corps était toujours un corps à côté de mon corps, son cerveau, un cerveau à côté de mon cerveau, son coeur, un coeur à côté de mon coeur » ?
Avez-vous déjà aimé au point de devenir fou et de ne voir comme ultime solution à ces indépendances de corps et d'âme la mort, la mort du couple pour une union totale dans l'au-delà, libérant les âmes de la prison de la chair ?
Vous est-il déjà arrivé de vous demander ce qu'il y a derrière ce front adoré, quelles sont les pensées réelles qui se trament derrière, notamment la nuit ? Ces pensées sont-elles loin de vous, voire contre vous ? Cette boite en os qu'est le crâne vous séparant de la connaissance ultime de l'autre…au point de vouloir la faire voler en éclat cette boite, dernière rempart à la fusion des âmes ?
Voir au matin
L'aube se poser sur tes cils
Tout en filigrane –
Fait trembloter tes paupières
Un rêve érotique, sans moi
Est-ce aimer de penser ainsi ? Devrais-je le réveiller ou sourire de ma bêtise et admirer tendrement ces tremblements ? Les ignorer ? Lui soulever les paupières afin de voir ce que laissent transparaitre ces yeux, fenêtres de l'âme ? Lui faire un petit trou sur les paupières afin de toujours voir ce que je ne vois pas quand il a les yeux fermés ? Ou lui percer les yeux pour faire cesser cela ? Quand commence la folie, la folie d'amour ?
Sans doute dès le départ, lorsque l'amour se fait passion dévorante… « Tant de flamboiement autour de la naissance d'un amour est mauvais présage » nous dit
Antoinette Peské, la chute ne pouvant être que terrible…Jalousie, enfermement, violence sont parfois les fruits futurs d'un amour absolu qui éclot.
Voilà le thème de ce livre «
La boite en os » d'
Antoinette Peské, court livre qui s'apparente à une nouvelle, écrit en 1931, considéré par
Jean Cocteau comme l'une des productions les plus inouïes de ce siècle. Un livre gothique dans lequel les thèmes de la folie, de la mort et de la réincarnation se déploient avec noirceur dans un décor tout trouvé : dans les Highlands, en Écosse, où « ces monts, dont les sommets presque toujours perdus dans la brume font croire qu'ils touchent le ciel, ces lacs de plomb fondu, dont les eaux sont si profondes qu'elles semblent être les ouvertures de l'enfer, font subir tour à tour aux passions humaines des envolées et des descentes incroyables ».
Et c'est bien de ces envolées vertigineuses dont il s'agit ici. L'ambiance est surnaturelle, âmes tourmentées, hallucinations, cimetières brumeux hantés, fantômes, réincarnation, les ingrédients du roman gothique sont réunis et agencés avec élégance.
Si j'ai apprécié cette lecture, je suis restée un peu observatrice, n'arrivant pas à être touchée complètement par l'histoire. Pourtant, les multiples questionnements qu'il permet de développer sont passionnants. Aimer quelqu'un est-ce se l'assimiler, l'approprier à sa propre substance ? Jusqu'à quel point ? Comment ? (Ah ce comment me fait penser à tant de livres et de faits divers, n'en citons qu'en : Lune de fiel de
Pascal Bruckner dans lequel la passion et l'appropriation de l'autre se fait davantage par peur de la routine et de l'ennui…). Est-ce être extrême de penser cela alors qu'on est juste épris d'idéaux, de grandeur et d'absolu ?
L'écriture est très belle, certaines descriptions m'ont fait penser à des tableaux de Münch, ceux avec ce soleil à la trace oblongue sur l'eau, si symbolique : « le soleil couchant, ce jour-là, laissait traîner sur l'eau d'autant plus sombre qu'elle languissait au pied d'une montagne un rayon d'une couleur indéfinissable qui, dans ce pays de brumes, semblait tenir de la magie ». D'ailleurs la peinture est présente dans ce roman, et ce n'est pas étonnant lorsque l'on sait qu'
Antoinette Peské était fille de peintre.
Une lecture étonnante, atypique et troublante sur l'amour jusqu'à la folie absolue, une lecture dans laquelle j'aurais aimé pouvoir me plonger plus complètement, moi qui aime tous les ingrédients offerts : le gothique et le fantastique, les turpitudes de l'âme, les gouffres insondables et flous des sentiments. Et celui-ci n'en manque pas ! Merci à @mcd30 à qui je dois cette étrange et belle lecture !