Ce livre est un huis-clos entre Julia jeune institutrice qui se remet difficilement d'une rupture avec son grand amour et Papa homme recherché depuis des mois pour meurtres. Dans un village à défaut de la présence du maire, un groupe d'hommes armés vient chercher Julia. Ils ont capturé le terrible Papa, il est blessé et l'institutrice doit le soigner et le nourrir . Il est recroquevillé dans sa salle de classe, une classe envahie pour cet homme qui se vide de son sang et ses odeurs. Leur tête à tête ne dure qu'une nuit, les paroles sont rares entre les deux personnages.Le silence les enveloppe, l'attente est angoissante. Julia se livre peu à peu à cet homme qu'elle devrait détester, mais son regard l'hypnotise et lui renvoie sa propre image. Va t'elle grâce à ces quelques heures pouvoir enfin vivre ? L'angoisse est présente tout au long du roman, on attend la fin avec impatience pour s'en délivrer même si l'on devine la chute. Nena
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En attendant c’est un homme à terre et bien moins glorieux que sur les clichés de sa grande époque. N’a-t-il pas été
ministre dans son pays pendant un temps ? Julia n’est pas très sûre. À quoi ça tient une vie ? Avait-il besoin de jouer les héros, cet homme-là ? À terre pourtant, c’est toujours un chef, aucune ambiguïté. Julia repousse non la compassion mais l’étonnement qu’elle commence à ressentir depuis plusieurs minutes, et qui lui fait honte, au nom des victimes probables de Papa. Julia ne peut s’empêcher de trouver au prisonnier une certaine grandeur, exaspérante et bien palpable. Elle est consternée et énervée. Même dans la déchéance la plus totale, même dégradé à ce point, Papa ne semble pas tombé. Il n’est pas tombé. Contrairement aux apparences, c’est un homme debout. Beaucoup plus debout que tous les gars alentour qui conspirent à quelques mètres, derrière les murs de la classe, bombant le torse, attendant leur récompense.
Le regard du prisonnier est dur. Julia ne parvient pas à le soutenir. Pourvu qu’il soit bien attaché, songe-t-elle. Elle y est peut-être allée un peu fort, elle a outrepassé sa fonction, frappé un homme à terre. Peu importent les crimes qu’il a commis, s’il en a commis. Peu importe qu’elle exècre tout ce qu’il représente. C’est un homme à terre, ficelé, outragé. Il doit être jugé. Ce n’est pas à elle de le faire. Il faut qu’elle arrête de boire. L’alcool l’éteint avant l’heure, la désenchante. L’alcool la fait ressembler à sa mère. Julia était tellement sûre d’avoir fui au plus loin. Et maintenant tout la rattrape, elle plonge, se laisse entraîner par le fond et ses parents, s’ils savaient, diraient tu vois on t’avait pourtant prévenue, pourquoi donc t’as voulu faire la fière ? Quand on naît paysanne, on reste paysanne, y a pas de honte. Julia n’avait jamais ressenti de honte. Juste un étouffement indicible.
Une telle terreur. Julia est prise d’une peur de tous les diables, comme elle n’en a pas connu dans toute sa vie de dix-neuf ans, et c’est en relevant la tête doucement, en quittant malgré elle le périmètre de sa petite personne, attirée par un magnétisme hors du commun, qu’elle comprend ce qui l’a foudroyée, l’a projetée au sol encore plus fort que le mal causé par Abel. Ce regard avec une voix caverneuse à l’intérieur, le regard du prisonnier.
Papa, thème sacré, intouchable, trop gros pour eux, ce sont des gosses, des paysans, pour la plupart ils n’ont pas appris à lire. Ils obéissent aux ordres. Ils ploient sous l’ignorance et baissent les yeux devant elle, l’institutrice. Julia n’est guère plus âgée qu’eux et personne ne la regarde. Elle est la connaissance, le bien, le pur. Ils n’ont jamais fréquenté l’école, n’ont pas eu cette chance, à présent c’est trop tard, il faut nourrir la famille et écouter ceux qui savent, qui ordonnent, absents cette nuit, endormis sur leurs deux oreilles à des heures d’ici, bien sûr on va tâcher de les prévenir au plus vite
et ils diront, ils décideront, on fera comme ils voudront, mais en attendant Papa est là, touché, assoiffé, affamé, il refuse de parler et a foutu son pied dans la gueule à un des gars qui a fait mine, pour plaisanter, de lui raser la barbe.
Elle est l’institutrice. Elle a dix-neuf ans. C’est un sale coup, une affreuse plaisanterie. Elle était faite pour la beauté, la musique de Beethoven, la cuisine du terroir, les promenades dans les champs, pas dans les forêts, qui l’oppressent, Julia, il lui faut du vaste, du large, de l’étendu. Elle aimait la danse et les fleurs blanches, l’amour à la hâte, l’amour urgent, impératif et pressé, ça ne l’a jamais gênée qu’Abel la prenne debout ou sur un coin de table, à l’animal, les manières Julia les laisse aux dames des grandes villes. Et Abel n’avait rien contre. C’était un homme précieux dans ses manières, sa bonne éducation, le soin qu’il mettait à plaire le trahissaient à chaque mot. Maître de son langage. Son corps, en revanche, démasquait sa vraie nature de jouisseur, de possédé des sens. Son corps faisait de lui ce qu’il voulait.
Anne Plantagenet, la traductrice de « Feria » nous présente le premier roman d'Ana Iris Simón.
Considérée comme l'une des voix les plus prometteuses de son pays, Ana Iris Simón appartient à une nouvelle génération d'écrivains qui s'est politisée lors de la crise financière de 2008. Feria, son premier roman, est une brillante réflexion sur le sens de la vie doublée d'une magnifique déclaration d'amour à la famille et à la terre.
https://editions-globe.com/feria/
« Feria » d'Ana Iris Simón.
Traduit de l'espagnol par Anne Plantagenet
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