Une magnifique histoire d'amour rognée par le temmps et la différence d'âge. un livre sur l'attente et l'espérance
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Parce que l’auteur, Grégoire Polet, est un romancier concret aux longues phrases équilibrées, Ariana a les pieds sur terre. Elle va où ils la mènent. Et elle marche à côté de ses pompes, son existence flottant au-dessus d’elle comme un ballon gonflé à l’hélium.
Lire la critique sur le site : Liberation
l’esprit est ce qui guide l’hélium et pousse les éléments à s’associer, à aller non pas vers plus de chaos ou de désordre, mais vers plus d’ordre et de sophistication, c’est l’esprit depuis le dedans de la matière, depuis le dedans de l’hydrogène et depuis le dedans de l’oxygène qui les attire l’un vers l’autre et les décide à ne faire plus qu’un, à former une molécule, et ces molécules à se chercher, se désirer, se vouloir, s’assembler, essayer tout en tout sens et parvenir au bout de patiences quasiment infinies à former une cellule, triomphe, la vie, communion de la matière dans l’esprit, communion de l’esprit dans la matière, et l’esprit renforcé, plus puissant que jamais, se jetant en avant avec plus de résolution encore, comme l’avion qui a décollé du sol augmente, et ne diminue pas, augmente énormément sa force de propulsion, pousse plus à fond la manette des gaz.
La réalité est tellement à l’opposé de ce qu’on appelle la réalité qu’il suffit de prendre le contre-pied de tous les instincts sociaux pour progresser dans le sens de la réalité véritable. Chercher le plaisir, chercher le déplaisir. Manger, ne pas manger. Dormir, ne pas dormir. Réussir sa vie, la rater. Gagner sa vie, la perdre. Se réjouir, pleurer. Se protéger, se mettre en danger. Craindre, ne pas craindre. Se croire quelqu’un, quelque part, se croire personne, nulle part. Se croire ici, ne pas se croire ici. Se croire maintenant, ne pas se croire maintenant. Se croire un je, se croire un tu. Et une sorte de félicité qu’on a d’autant moins recherchée qu’on ne la connaissait absolument pas commence à flotter vaguement, comme le résidu extrêmement lointain et affaibli d’un rayonnement.
La réalité était une sorte de rêve, qui parlait, au titre qu’un rêve est un dormeur se parlant à soi-même un langage incohérent, discontinu, mais urgent. La réalité était tantôt ce rêve sous forme de rêve ou sous forme de cauchemar.
Elle avait remarqué que la faim aidait, ou du moins que manger éteignait la rêverie. Par raisonnement inverse, sachant qu’en satiété elle ne parviendrait pas à penser, car c’est ce qu’elle appelait penser, elle s’efforçait de se tenir sans manger. Ce qui au début n’était ni facile, ni concluant, et singulièrement exaspérant pour les nerfs.
Il n’y a pas moins de mensonge chez les petites gens que dans les grandes familles, mais que chez les petites gens, ce ne sont pas des mensonges oraux, totalement déclarés, mais des mensonges par le silence, des façons de ne jamais rien dire d’une chose qui s’est passée, une façon d’oublier complètement, même soi-même, quelque chose qui s’est passé, d’enterrer ça dans le fond, de ne jamais en parler à personne, de souffrir en silence, ce ne sont pas des secrets, ce sont carrément des oublis volontaires, des choses qui pourrissent, qui se transmettent quand même, mais c’est sourd, c’est aveugle, c’est sournois. On ne dit pas. On se tait.
L'Europe et la place des langues : Grégoire POLET, Laurent GAUDÉ, BESSORA