New-York, dans le quartier de Brooklyn, en 1947,
Asher Lev est un petit garçon de quatre ans très choyé et entouré par ses parents. Sa famille, des juifs Hassidim Loubavitch, sont des gens très pieux qui s’investissent de corps et d’esprit dans leur religion. Leur communauté stimule la spiritualité à travers la prière et les traditions judaïques, les portant au paroxysme de leurs mitzvot, leurs commandements, pour plaire à Dieu.
Dès qu’il peut trouver un crayon, Asher s’applique à tracer des lignes, des courbes, à modeler sur le papier ce qu’il voit. Sa mère l’encourage à dessiner de belles choses, des fleurs, des papillons, et d’une voix très douce l’invite à crayonner le « beau ».
Un jour, la quiétude de sa famille se trouble en une agitation inhabituelle. On le confine dans sa chambre et il entend des cris et des pleurs. Ce sont ceux de sa mère et Asher est terrifié. On lui expliquera plus tard dans la soirée, que son oncle, le frère de sa mère, est mort dans un accident ; olov hasholom.
Les jours passent et Rivkeh, sa mère, se cloître dans sa chambre, n’étant plus qu’un fantôme, un être pathétique qui s’assèche. Sa dépression rompt l’unité familiale. Son père, Aryeh, devient sombre et se voue aux affaires ladovériennes sous l’égide du Rèbbe, leur chef charismatique, laissant Asher solitaire, seul avec ses peurs, ses angoisses et ses crayons.
Pour maintenir l’éveil de sa mère et pour qu’elle guérisse plus vite, Asher, dont la maturité est précoce, dessine des fragments de vie, mais ses esquisses sont trop anguleuses et noires. Il soumet ses œuvres à sa mère qui, lors de ses rares moments d’attention, lui dit avec bienveillance de faire « le monde joli ». A cela, son fils rétorque : « Ce n’est pas un monde joli ».
Pour ses six ans, Asher prend conscience que ses illustrations ont une envergure autre que du gribouillage. Son oncle Yitzchok le complimente et, dans un geste tendre, désire acheter l’un des premiers dessins de son neveu.
» – Un petit Chagall.
– Qui est Chagall.
– Un grand artiste.
– Le plus grand du monde ?
– Il est le plus grand artiste juif du monde.
– Je veux acheter un de ces dessins. Est-ce que tu me le vendrais pour ça ?
Il sortit une pièce de sa poche et me la montra. Il prit un des dessins et mit la pièce à sa place.
– Maintenant, je possède un des premiers Lev, dit-il en souriant. »
Malgré le regard réprobateur de son père qui l’exhorte à ne pas gaspiller son temps, Asher cherche des modèles et apprivoise les courbes, les ombres et la lumière. Il mélange les techniques et utilise toutes sortes de matériaux qui colorent. Avec ses doigts, il barbouille sa feuille et se sert du sable, de la cendre de cigarette… cherchant la couleur qui lui manque, celle des sentiments et des sensations. Il est frénétique dans son besoin de s’exprimer et cet état effraie son père qui ne le comprend pas.
Entre les prières du matin, Modeh Ani, et celles du soir, Krias Shema, chacun parle à Ribbono Shel Olom, le Maître de l’Univers, de ses rêves, de ses espoirs, de ses supplications, et Asher demande à Dieu pourquoi il laisse faire certaines choses.
Asher grandit, rentre à la yeshiva ladovérienne, s’arrête de dessiner et reste toujours d’une grande mélancolie. Son père est fatigué, peu loquace, quant à sa mère, elle arrive à surmonter difficilement son asthénie jusqu’au jour où elle décide de reprendre des études universitaires en mémoire de son frère.
« Ma mère me demanda, pourquoi je ne dessinai plus. Je haussai les épaules.
– C’est une réponse, Asher ?
– Je n’en ai plus envie, maman.
– Pourquoi n’en as-tu plus envie, Asher ?
– Je ne sais pas.
– Tu dessines vraiment très bien, Asher.
– Je déteste ça. C’est perdre son temps. Ca vient du sitra ashra. Comme Staline. »
Asher s’autopunit et veut retrouver l’approbation de son père qui blâme cet élan artistique, ce don qui est un artifice du malin.
1951, cette époque est le temps de l’après-guerre et des conflits en Russie. Staline dirige les Républiques Soviétiques dans une dictature absolue. C’est la terreur pour des millions de personnes, des minorités nationales et le peuple juif.
Le Rèbbe demande au père d’Asher de partir en mission à Vienne et d’établir des centres d’études talmudiques, des yeshivot un peu partout en Europe. Cette responsabilité est un honneur, mais elle est aussi une justification, un alibi, pour sauver et évacuer les juifs persécutés. La famille se scinde car Asher ne veut pas s’exiler et sa mère sacrifie son couple pour rester avec lui.
Asher a dix ans… treize ans… et s’aperçoit, dans une évidence spontanée, que des gens peuvent être heureux. Il dessine, il peint, il se documente, visite des musées en cachette du Rèbbe et du père, découvre Picasso, sa mère lui offre un coffret de peinture… « Qu’allons-nous faire de toi Asherel ? » Rencontre des artistes, des mécènes… On lui parle de Modigliani, de Soutine et de Pascin, des peintres juifs. Il admire des tableaux illustrant la bible des chrétiens, des crucifixions et des Pietas.
Cependant, lors des retours de son père, Asher est écartelé entre sa passion, sa vie et celle des juifs observants orthodoxes où l’art est une œuvre païenne, une valeur des goyim, un vice.
« – Je ne veux pas d’un tel fils.
– Je t’en prie, papa, je t’en prie ! Ne sois pas fâché avec moi. Je ne peux pas m’en empêcher.
– Ce sont les animaux qui n’arrivent pas à se contrôler. Pas les êtres humains.
– Je n’arrive pas.
– L’homme a de la volonté. Est-ce que tu comprends ce que je dis Asher ? Le Ribbono Shel Olom a donné à l’homme de la volonté. Tout homme est responsable de ses actions à cause de cette volonté ; il a la possibilité de diriger sa vie. Il n’existe rien que l’homme ne puisse contrôler. Ou alors, c’est qu’il est malade.
– Ma volonté me pousse à dessiner, papa. Je ne peux pas lutter contre elle. »
Asher a cette force, cette volonté, que Dieu donne à l’homme. Un entêtement qui bouleversera sa destinée et qui le maintiendra entre deux mondes. Le choix est douloureux, mais le don qu’il a reçu ne peut être ignoré. Le contraire, ne serait-il pas un sacrilège ?
J’ai beaucoup aimé ce livre et je remercie Cécile de me l’avoir fait découvrir. Asher nous raconte sa vie de ses quatre ans à sa majorité. C’est une histoire qui inspire de l’émotion, de la compassion et une certaine fierté pour ce petit garçon qui s’obstine dans sa vocation contre sa religion, ses racines, sa communauté et son père qu’il chérit et qu’il révère. Sa résolution s’établit avec la maturité de son art. J’ai été sensible au personnage de la mère, une femme qui contre certains principes et qui n’hésite pas à conforter son fils dans sa voie, cherchant à apaiser les relations père-fils avec douceur et sensibilité. J’ai aussi eu de la miséricorde pour ce père déchiré entre son devoir, son abnégation pour son peuple, l’abandon de sa famille et l’incompréhension qui le distance de son fils. Un enfant qu’il n’aura pas vu grandir. L’écriture est simple, les mots sont beaux. On alterne avec deux ambiances, celle de la réserve, de la modération, des prières et celle de la création, de la pétulance, de l’exubérance. Malgré l’amour qui unit les personnages, il n’y a aucune communion. J’espère seulement que dans le second volume « Le don d’Asher Lev », ils trouveront tous la paix.
A suivre…
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