Quand un PDG d'entreprise se retrouve à palabrer avec un poète nihiliste présent sur une minuscule île déserte depuis 7 ans, au beau milieu de la mer, c'est
Carlos Ghosn en fuite qui se confine avec
Samuel Beckett en short. Variations autour d'un thème, choc des visions, les réflexions de ces deux naufragés sont courtes (une à trois pages maxi), sous forme de gags existentiels, où l'absurde se mêle au loufoque, le cynisme à la légèreté, la prison aux vacances. Tantôt brillant, tantôt con (c'est une qualité dans ma bouche), on aimerait que le fil de l'histoire s'étire à l'infini, ne plus quitter ces personnages, leur connaître des intrigues sur la longueur. L'hilarant côtoie parfois le convenu (surtout dans la première partie), mais quand c'est bon, c'est bon !
Fétichiste des albums de
Nicolas Poupon (je lis tout du zigoto), cet album partait sur une idée forte, prometteuse, présageant des sommets d'humour et de philosophie. Certains passages sont merveilleux (en témoignent quelques citations), il y a du fond et de la forme, des thèmes d'actualité, du sens et du non-sens, du contre-sens et des palmiers qui imitent des platanes enroués. Bref, il y en a vraiment pour tous les goûts dans ces pages.
Je pense cependant que le format court (ces gags ont été édités dans les revues "Mauvais esprit" et "AAARG!") a un peu dilapidé l'excellente idée de base. Les dialogues de certains gags n'atteignent pas toujours l'excellence que je connais de cet auteur, quelques gags sont trop brefs, fréquents, cassent l'homogénéité d'ensemble, j'ai le sentiment que l'ouvrage méritait un traitement au long cours pour crier au chef-d'oeuvre. Pour autant, Poupon la peste rattrape très bien l'affaire dans la deuxième partie du livre, fameuse leçon d'absurde. J'aime tellement de choses là-dedans, qu'elles font vraiment oublier les rares faiblesses du livre.
Reste une très bonne BD, intelligente et divertissante, qui nous plonge avec les protagonistes, au milieu de nulle part, à réfléchir sur le monde. C'est déjà pas si mal, non ? Saura-t-on un jour de quoi se nourrissent ces doux rêveurs ? D'où viennent les autres naufragés ? A qui appartient le trésor ? Tellement d'axes encore à creuser... Eh, les gars de "6 pieds sous Terre", on ne cracherait vraiment pas sur un tome 2 !