AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782020486132
425 pages
Seuil (28/08/2002)
3.83/5   9 notes
Résumé :
Dans un livre d’entretiens datant des années 30, un écrivain en herbe découvre une certaine Ana María Martínez Sagi, « poétesse, syndicaliste et vierge du stade », qui attire son attention, éveille en lui un intérêt croissant et devient peu à peu une véritable obsession. Aidé de Tabares, un libraire anarchiste et de Jimena, rencontrée à la foire du livre ancien de Madrid, le jeune écrivain se transforme en détective. L’apparition de documents tombés dans l’oubli, le... >Voir plus
Que lire après Les Lointains de l'air : A la recherche d'Ana María Martínez SagiVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Recherche Ana María Martínez Sagi désespérément…
C'est en ouvrant un livre de César González Ruano, prolifique journaliste et écrivain espagnol, chantre de la collaboration (qui fournissait entre autres des visas à des juifs puis les dénonçait à la Gestapo), que le romancier Juan Manuel de Prada découvre l'existence et l'oeuvre de celle qui va désormais le hanter.
Qui est la poétesse Ana María Martínez Sagi , née en 1902 à Barcelone, qui fut une athlète accomplie (javelot et disque), championne d'Espagne, membre de la direction du F.C. Barcelone, journaliste, fervente militante des droits des femmes, Républicaine exilée en France, où elle rejoint la Résistance, puis réfugiée aux Etats-Unis, amoureuse d'une autre femme et condamnée par sa famille à taire ses sentiments ?

La curiosité de Juan Manuel de Prada, piquée au vif, va se muer en une quête d'autant plus difficile que la poétesse semble s'être envolée sans laisser de trace, ni dans la littérature espagnole d'avant-guerre, ni dans les mémoires, alors qu'elle fut l'une des femmes les plus remarquables de son temps, de par ses talents, ses combats et ses actes.

Les lointains de l'air (vers tiré de l'un de ses poèmes « Voix perdue ») est une oeuvre hybride qui mêle biographie, enquête policière menée par l'auteur et deux acolytes (un libraire anarchiste et une femme rencontrée dans une foire du livre) et surtout autobiographie du romancier qui se laisse phagocyter par la quête de son Graal puisque qu'il finit par céder la parole à Ana María Martínez Sagi qui visiblement a enfin pris toute la place à l'intérieur de lui.

Juan Manuel de Prada enrichit son texte de lettres, de poêmes, et de photographies. On retrouve dans l'ouvrage la prose caractéristique de l'auteur, riche, qui sait se faire lyrique, et aussi caustique. Et surtout on redécouvre l'extraordinaire destin d'une catalane singulière, dans un pays où les femmes, dans leur grande majorité analphabètes, n'avaient guère de marge de manoeuvre.
Ana María Martínez Sagi est sortie de l'oubli.
Commenter  J’apprécie          460
Une jeune femme de 23 ans qui publie de la poésie, c'est quelque chose de relativement courant. Mais, si on sait qu'en plus il s'agit d'une athlète et skieuse de haut niveau, membre du conseil d'administration du FC Barcelone, journaliste reconnue et féministe convaincue, on se dit qu'il s'agit d'un personnage pour le moins intrigant. A fortiori s'il est né en 1907 en Catalogne!

C'est d'ailleurs cette apparente incongruité qui pousse le narrateur à partir sur les traces d'Ana Maria Martinez Sagi, une poétesse incroyablement en avance sur son temps. Avec la complicité de Tabares, son ami bouquiniste, il entame un véritable travail de limier pour essayer, avec soixante-dix ans de décalage (nous sommes en 1998) de reconstituer les morceaux du puzzle de la vie de cette comète appartenant à « une génération immolée par la Guerre civile, condamnée à finir dans la fosse où croupissent les utopies ».

Sans trop vouloir dévoiler l'intrigue et ses nombreuses ramifications, je confesse que cette enquête sur un personnage attachant ayant sillonné tout le vingtième siècle m'a tour à tour captivé, fait rire aux éclats et surtout beaucoup ému.

Il faut dire qu'avec son écriture dynamique et délibérément irrévérencieuse, Juan Manuel de Prada sait comme personne redonner vie à des figures historiques souvent totalement inconnues du lecteur francophone.

Heureusement, le romancier né en 1970 ne se limite pas à la « grande histoire ». Il nous immerge avec beaucoup de délicatesse dans la psyché de ce personnage tourmenté qui aura traversé plusieurs existences et enduré des souffrances qu'il faut probablement avoir expérimentées soi-même pour en mesurer les ravages.

Cela dit, on ne ressort aucunement déprimé de ces quatre-cents pages, mais au contraire ébloui par le courage et la résilience hors du commun de cette femme décidément inclassable. Si j'en avais les moyens, je lui érigerais une statue sur les Ramblas de Barcelone. Pourtant, jusqu'à aujourd'hui, le féminisme ne m'interpelait pas spécialement. Comme quoi, il ne faut jamais dire jamais !

Pour terminer, je vous laisse en compagnie d'un poème d'Ana Maria Martinez Sagi qui m'a particulièrement plu. Il s'intitule « Imploration ».

Que la Mort
me laisse
près de l'eau claire
près de la pousse verte.
Que jusqu'à mes os
arrive
la lumière
des ponants
le murmure du fleuve
les douces aiguilles
de la pluie. Que le vent
des forêts sauvages
me comble de parfums
de pollen et de semences.
Que le coup ferme et dur
de la pioche résonne
dans mes entrailles incultes
dans mes seins de neige.
Que le soc de la charrue
dans les sillons ardents
ouvre des rigoles d'or
dans mon corps gisant.
Que la Mort
me laisse
transpercée de soleils
et de rumeurs chaudes.

(Jalons dans le brouillard, 1939-1967)
Lien : https://fr.wikipedia.org/wik..
Commenter  J’apprécie          163
Un choc, un des quelques livres qui m'ont le plus rée. Ecriture magnifique, sens de la métaphore. le meilleur de de Prada selon moi.
Commenter  J’apprécie          10

Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Le désir d'en apprendre davantage sur le compte d'Ana María Martínez Sagi n'était plus maintenant une simple affaire d'archéologie littéraire, mais, me semblait-il, une mission qui valait qu'on lui consacrât toute une vie, ou du moins à laquelle je pouvais vouer la mienne, trop mortifiée par le manque de perspectives et la stérilité qui me guettait. Je m'étais lancé dans ma recherche mû par une logique égoïste retorse, où le sauvetage d'une poétesse oubliée était supposé, en manière de récompense ou de compensation, pouvoir conjurer le danger d'être à jamais ignoré qui pesait sur moi. Depuis qu'Ana María Martínez Sagi était sortie du pays nébuleux que hantent les fantômes, grâce à la découverte fortuite de ses contributions à la revue Crónica cet intérêt égoïste s'était mué en une responsabilité exaltante.; Ana María Martínez Sagi avait acquis une dimension spécifiquement humaine; son image incluait, au-delà des traits anecdotiques ou pittoresques, les inquiétudes et les désirs d'une femme en avance sur son temps, soucieuse d'affranchir les autres femmes de l'opprobre séculaire et quotidien qui pesait sur elles. Ses campagnes en faveur du suffrage féminin, son rejet des privilèges de classe, sa défense exaltée du sport en tant que moyen d'émancipation féminine, son adhésion aux idéaux républicains (qui n'allaient cependant pas jusqu'au prosélytisme obtus), sa sympathie envers les défavorisés (d'autant plus méritoire que tout semblait indiquer qu'elle était issue d'un milieu aisé) et la sincérité ingénue et sans ambages, parfois d'une franche véhémence, avec laquelle elle affichait ses convictions, faisaient d'elle le symbole et le fer de lance d'une génération de femmes attachées à la modernité qui rejetaient les vieilles hiérarchies sur lesquelles reposait la suprématie du mâle.
Commenter  J’apprécie          150
Un tailleur de pierre charitable, habitant d'une cabane nichée entre les montagnes, me fit une petite place dans le coin de l'étable où il mettait sa mule, une bête criblée de puces qui partagea avec moi se hôtes, mais aussi un peu de sa chaleur presque humaine. La fatigue fut plus forte que les démangeaisons des piqures, et je m'endormis. A Cerbère, les douaniers français, sous prétexte de réprimer la contrebande, dépouillaient les exilés espagnols des quelques objets de valeur qui leur restaient. Personne ne me dépouilla car je ne portais rien, hormis mon manteau infesté de puces.
Je baisai la terre de France, au goût âcre et glacial, d'une humidité très antique qui semblait monter de je ne sais quelles catacombes. Les jambes engourdies, titubante et au bord de l'inanition, j'arrivai aux abords de Perpignan, où une famille de quakers avait arrêté sa charrette et attendait les réfugiés pour leur distribuer quelques paroles de consolation et un sandwich destiné à tromper les ventres creux. Je pris celui que me tendaient des mains gantées de lividité et d'engelures, c'était un simple quignon de pain étouffant une sardine à l'escabèche au goût rance et vinaigré, mais qui fut pour moi pure ambroisie. Je tournai une dernière fois mon visage du côté de l'Espagne, ce désert à peine visible entre les falaises de neige au sein desquelles mes illusions étaient demeurées captives, et je pleurai sa perte, et je pleurai de rage et de dépit, brusquement consciente de n'avoir plus de patrie. Trente ans allaient passer avent que je puisse à nouveau fouler le sol qui m'avait vue naitre.
Commenter  J’apprécie          110
PAR LE FLEUVE ARRIVAIT

Ton corps brun arrivait,
dans l'eau rosée du fleuve.
Un vent, muet de chagrin,
tordait les oliviers gris.
Ton corps brun arrivait,
immobile et froid.
L'eau, en chantant, passait
entre tes doigts rigides.
Tu arrivais, si pâle,
soldat, dans le fleuve!
La bouche fermée, les mains glacées,
La peau pareille au lys;
et une plaie rouge, sur le front blanc,
et une lumière d'aurore, dans les yeux purs...
Quelle mort que la tienne, soldat du peuple,
courageux milicien, coeur ami;
quelle mort si douce, cent bras d'eau
noués autour de ton visage livide!
Tu n'arrivais pas mort sur l'eau claire;
sur l'eau claire, tu arrivais endormi:
un oeillet grenat, sur la tempe de neige,
et dans les yeux tranquilles, deux astres vifs.
Qu'il est pâle et froid,
ton corps brun qui arrivait
sur l'eau rosée du fleuve!

(Inédit. Ecrit pendant la Guerre civile.)
Commenter  J’apprécie          192
Ces sbires maudits savaient que Durruti était beaucoup plus qu'un homme et beaucoup plus qu'un mythe: il avait le désir intransigeant de liberté, cette nostalgie de rébellion qui nous rend immortels et purs. Tout ce qu'il laissa à sa mort, ce fut une mallette en cuir de Cordoue crasseux avec quelques vêtements sales et un nécessaire de rasage: un morceau de savon à barbe, un rasoir Gillette édenté qui venait difficilement à bout de sa barbe drue et un blaireau qui perdait ses poils. Existe-t-il un plus grand exemple de pauvreté? Mais son héritage s'adressait à l'esprit, et il demeure dans le mien.
Je me rendis à Barcelone pour écrire la chronique de son enterrement. Le drapeau rouge et noir couvrait son cercueil qui défila dans les rues de ma ville, bondées de centaines de milliers de personnes indifférentes à l'inclément ciel pluvieux, psalmodie liquide qui nous trempait jusqu'aux os, mais ne parvenait pas à ramollir notre ardeur.
Commenter  J’apprécie          160
Ana Maria Martinez Sagi avait acquis une dimension spécifiquement humaine ; son image incluait, au-delà des traits anecdotiques ou pittoresques, les inquiétudes et les désirs d’une femme en avance sur son temps, soucieuse d’affranchir les autres femmes de l’opprobre séculaire et quotidien qui pesait sur elles. Ses campagnes en faveur du suffrage féminin, son rejet des privilèges de classe, sa défense exaltée du sport en tant que moyen d’émancipation féminine, son adhésion aux idéaux républicains (qui n’allait cependant pas jusqu’au prosélytisme obtus), sa sympathie envers les défavorisés (d’autant plus méritoire que tout semblait indiquer qu’elle était issue d’un milieu aisé) et la sincérité ingénue et sans ambages, parfois d’une franche véhémence, avec laquelle elle affichait ses convictions faisaient d’elle le symbole et le fer de lance d’une génération de femmes attachées à la modernité qui rejetaient les vieilles hiérarchies sur lesquelles reposait la suprématie du mâle. Une génération immolée par la Guerre civile, condamnée à finir dans la fosse où croupissent les utopies. Cet échec prévisible rendait son sacrifice plus héroïque et généreux.
Commenter  J’apprécie          20

Videos de Juan Manuel de Prada (4) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Juan Manuel de  Prada
Le septième voile de Juan Manuel De Prada présenté en français par l'auteur
autres livres classés : sport fémininVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (12) Voir plus



Quiz Voir plus

Littérature espagnole au cinéma

Qui est le fameux Capitan Alatriste d'Arturo Pérez-Reverte, dans un film d'Agustín Díaz Yanes sorti en 2006?

Vincent Perez
Olivier Martinez
Viggo Mortensen

10 questions
95 lecteurs ont répondu
Thèmes : cinema , espagne , littérature espagnoleCréer un quiz sur ce livre

{* *}