Comme dans "
La Marche des Dix Mille" de
Michael Curtis Ford, précédemment éditée dans la même collection Invicta, on nous montre une campagne militaire historique vue du bas, racontée par un troufion qui tombe amoureux d'une belle indigène orientale malgré les barrières culturelles. On voit ainsi d'assez loin les héros de l'épopée d'Alexandre : Parménion et Philotas, Antigone et Hephaestion, Cratère et Ptolémée, Perdiccas et Attale, Méléagre et Polyperchon…
Mais on passe du peplum old school ou roman de guerre moderne. On suit ainsi le voyage au bout de l'enfer de Matthias, un jeune Macédonien qui veut rejoindre ses frères Philippe et Elias aux côtés d'Alexandre le Grand, malgré les recommandations et les supplications de sa mère bien-aimée. Il va vite être confronté à la dure réalité de l'existence, les discours sur la gloire et sur l'honneur laissant la place à une sale guerre qui n'est qu'une longue suite d'attentats et de représailles, où la pitié a déserté les deux camps et où on ne fait plus de prisonniers depuis longtemps…
Poursuite / capture / torture… Il n'y a pas de non-belligérants, pas de civils, juste des amicaux ou des hostiles… Et il y a si peu d'amicaux pour tellement d'hostiles (tiens on dirait les discours américains sur « vous êtes avec nous ou contre nous » ^^). Toutefois, et c'est tout à l'honneur de l'auteur, on ne tombe pas dans les insupportables poncifs manichéens du « War Against Terror » néo-cons : il renvoie dos à dos la violence des uns et des autres, la haine qu'on se porte les uns aux autres étant la véritable cible de l'auteur, la haine et la violence qui brutalisent et déshumanisent, ravalant hommes, femmes et enfants au rang d'animaux sauvages. C'est assez beaucoup d'humanité que
Steven Pressfield dépeint la fraternité qui unit les hommes de troupes, ses personnages glissant subtilement de rookies pleins de rêve et d'espoirs à vétérans blasés et désabusés bien conscients de ce qu'ils ont fait et de ce qu'ils sont devenus : des bêtes de guerre s'oubliant dans toutes les formes d'addiction, tout en faisant semblant de croire à un impossible retour aux pays véritable miroir aux alouettes (remember le premier opus de la saga cinématographique "Rambo").
Et si on fait parfois écho aux clichés occidentaux sur les orientaux, très clairement l'auteur ne partage pas du tout !
Livre 1 : Un simple soldat
Les choses commencent mal pour Matthias et Lucas son ami d'enfance : ils sont originaire d'Apollonie, une région qui traditionnellement fournit des régiments de cavaliers à l'armée macédonienne, or Alexandre ne recrute plus de cavaliers depuis qu'il peut piocher dans les ressources humaines sans limite de l'Empire perse achéménide. Ils doivent s'engager comme mercenaire dans l'infanterie, où il font la rencontre de Terrès, dit Chiffon, de Peithon, dit La Puce, de Drapeau le sous-off sans nom, de Tolmidès, dit Tollo, le sergent fort en gueule, de Stephanos d'Egée le héros de guerre, de Costas le correspondant de guerre… Et durant la traversée du Moyen-Orient pour rejoindre sur théâtre d'opération extérieur oriental, tout ce beau monde fait la connaissance des us et coutumes des prostitués locales, du casse-patte et de la pisse d'âne, du bhang du kanna et haschisch avant même d'avoir aperçu le moindre ennemi…
Livre 2 : Un nouveau genre de guerre
Les nouveaux officiers insistent sur le fait qu'il s'agit d'une guerre non conventionnelle qu'il faut mener de manière non conventionnelle pour espérer l'emporter. Matthias retrouve son frère Elias va tenter de le persuader de rentre au pays avant de le prend sous sn aile pour lui éviter les affectations les plus dangereuse.
C'est durant la traversée de l'Hindu Kush qu'il fait la connaissance de Shinar, alias Biscotte, une téméraire porteuse afghane dont il va tomber amoureux. Comme les Dix Mille traversant les montagnes d'Anatolie, les Macédoniens meurt connement d'hypothermie et d'engelures parce qu'ils ont joué les kakou en refusant de s'emmitoufler comme les indigènes... le sergent Tollo meurt dans une avalanche, et Matthias et Drapeau l'auraient suivi dans la mort sans l'intervention de la fidèle Shinar…
Livre 3 : La plaine bactrienne
Bessos et Spitaménes se replient au-delà de l'Oxus et les Macédoniens se lancent à la chasse aux lapins, en rouspétant contre les indigènes qui refusent de livrer des renseignements (sans se rendre compte qu'il est totalement stupide d'interroger en grec des gens qui ne parlent pas grec…). Mais l'armée doit se remobiliser devant la Blitz Krieg ennemie menée sur les Sept Forteresses qui permettent de tenir la région située entre les fleuves Oxus et Jaxartes !
Livre 4 : le loup du désert
Après des épisodes consacrés à la guerre de siège et à la revente comme esclaves des survivants, la compagnie de Matthias se fait prend en embuscade aux abords de la rivière nommé « les Maintes-Bénédictions »… Matthias et Lucas vont partie des rares rescapés, et subissent un calvaire aux mains de leurs tortionnaires Massagètes… Mais les prisonniers macédoniens sont finalement sauvés par la victoire d'Alexandre sur son alter ego Spitaménes aux abords du fleuve Jaxartes…
Livre 5 : Les quartiers d'hiver
L'armée fait relâche à Bactres en attendant de repartir à l'assaut au printemps prochain, et Matthias apprend que son amante Shinar a décidé d'avorter en apprenant que son frère et ses cousins l'avaient retrouvée.
Livre 6 : La grande poussée
Reconnaissance en force, pénétration, perquisition… Les troupes d'Hephaestion, Ptolémée, Perdiccas, Coanus et Artabazos quadrillent le terrain pour débusquer Spitaménes le loup du désert et on s'engonce dans la sale guerre, mais aussi et surtout dans l'alcool et dans la drogue comme durant la Guerre du Vietnam… Matthias apprend simultanément la naissance du fils de son ami Lucas avec Ghilla sa compagne indigène, et la mort de son frère Elias, empoisonné par sa concubine orientale Daria. Matthias est perdu, ne sachant plus s'il existe encore un avenir pour lui et Shinar…
Livre 7 : le pays du loup
Les Macédoniens ne réussissant pas à remporte de victoire décisive, 47 forteresses sont construites pour empêcher Siptaménes de manoeuvre de part et d'autre du fleuve Jaxartes. Et c'est au cours d'une énième escarmouche qu'est fait prisonnier Derdas, le fils du généralissime adverse âgé de 14 ans… Lucas et Costas se portent volontaire pour accompagner l'officier de renseignement Agathoclès et son trophée au Quartier Général. On ne le reverra plus jamais…
Acculé, le Loup du Désert tente le tout pour le tout dans une ultime bataille rangée !
Après la bataille et la victoire macédonienne, on tente de faire signer à Matthias et ses camarades de régiment un compte-rendu bidon de la mort de Lucas et Costas… Matthias refuse, et c'est tout la chaîne hiérarchique jusqu'à Alexandre lui-même qui intervient auprès de Matthias pour qu'il ne fasse pas d'esclandre ! (on ne saura jamais si Agathoclès était un traitre, un négociateur en mission secrète, ou un appât destiné à attirer le chef adverse dans un piège : le mystère restera entier, et c'est ce qui hante Matthias…)
Quelques jours plus tard, Spitaménes est trahi par les Massagètes qui ramènent sa tête à Alexandre en guise pour entamer les pourparlers de paix (l'alliance à revers avec les nomades scythes ayant porté ses fruits). L'histoire du Loup du Désert s'arrêterait là si sa fille Apama n'avait pas ensuite épousé Séleucos, donnant ainsi naissance à la dynastie des métisse des Séleucides qui vont régner plus de 2 siècles sur les restes de l'empire achéménide…
Livre 8 : La fin des hostilités
Les opérations militaires sont terminées : en épousant Roxane, la fille du plus puissant chef de la région, il coupe l'herbe sous le pied à tous ses opposants. Pour fêter l'événement, il offre de fortes récompenses à tous ceux qui suivront son exemple en épousant une indigène. Matthias parvient à convaincre Shinar de devenir sa femme. Tout le monde lui conseille d'assassiner son frère et ses cousins pour éviter des vendettas ultérieures, mais Matthias préfère négocier le prix du sang quitte à s'endetter et à céder sa jument niséenne Neige… Il chevauche vers le point de rendez-vous de la transaction quand survient la terrible tragédie…
Epilogue : Dieu des Afghans
Matthias a perdu l'amour de sa vie en même que son fils nouveau né. Sa fiancée au pays en a épousé un autre. La plupart de ses camarades sont tombés au combat et il sait qu'il a tellement changé qu'il ne peut ni rentrer en Macédoine ni s'installer en pays conquis… Malgré les supplications de son frère aîné Philippe, il décide donc de rempiler dans la compagnie de Stephanos le soldats-poète pour la campagne indienne, tout en prenant sous sa protection la veuve et l'orphelin de son vieil ami Lucas, mort en de troubles circonstances...
Ce n'est même pas la peine de compter les anachronismes car il y en a à chaque page, ce livre transposant allègrement l'intervention américaine en Afghanistan dans l'Antiquité, quand il ne pioche pas dans les souvenirs de guerres des ceux qui ont subi la Guerre du Vietnam (« Baz » l'Afghan » remplaçant ici « Charlie » le Viet Cong ^^). L'histoire du Macédonien Matthias pourrait ainsi être celle de la n'importe quel jeune GI's envoyé en OpEx :
- l'auteur parle des Afghans à une époque où les Afghans n'existaient pas…
Il met dans le même sac Arachosiens, Sattagydiens, Bactriens, Sogdiens, Saces, Dahae, Massagètes… Dont les descendants se fondront effectivement en un peuple unique, mais cela sera des siècles plus tard sous la menace des peuples turcs.
- la campagne afghane d'Alexandre ne se déroule pas sur les territoires recouverts par l'Afghanistan actuel : voilà c'est dit ! L'auteur parle d'Afghanistan à une époque où l'Afghanistan n'existait pas… le mot signifie d'ailleurs « Pays des Afghans » en turc, or les tucs n'existent pas non plus à l'époque… C'est d'ailleurs la poussée des peuples turcs qui vont obliger les peuples indo-européens d'Asie Centrale à se réfugier en deçà de l'Hindu Kush et de fusionner en un peuple unique.
- on se retrouve moult fois avec des Afghans citant le Coran… L'auteur se garde bien de les qualifier de musulmans, mais fabrique toute une histoire capillotractée autour d'un syncrétisme entre des colons juifs installés par le shahanshah Cyrus et les indigènes zoroastriens pour expliquer l'omniprésence d'un monothéisme fataliste et intégriste…
- l'auteur insiste sur le caractère nationaliste de la résistance afghane… or ce que nous raconte les documents historiques, c'est l'affrontement entre le conquérant Alexandre et l'usurpateur Bessos qui s'était réfugié dans les provinces orientales de l'Empire perse achéménide pour recruter de nouvelles troupes dans l'espoir de vaincre Alexandre… Bessos est livré à Alexandre par Spitaménes qui prend sa place et ses ambitions, mais il s'agit d'un noble perse et pas d'un seigneur de la guerre afghan et encore moins un ancêtre de Massoud le Lion du Pandjchir (l'auteur fait le parallèle entre les deux personnages) ! C'est donc une lutte de pouvoir entre prétendants au trône de l'Empire achéménide, pas une guerre de résistance nationale afghane.
- L'auteur insiste beaucoup sur la pauvreté des régions traversées, les miséreux étant obligés de travailler pour l'occupant occidental, comme soldats ou guides pour les hommes, comme porteuses ou servantes pour les femmes… Alors que tous les documents historiques, qu'ils soient écrits ou archéologiques, nous disent au contraire que la région était alors très prospères en raison d'un climat bien plus favorable à l'agriculture qu'il l'est aujourd'hui…
- l'armée d'Alexandre ressemble un peu beaucoup à celle des Etats-Unis d'Amérique… ^^
On retrouve les grades de caporal, sergent et de lieutenant, les sous-off obligés d'écrire leurs rapports à l'Etat-major, les officiers obligés d'écrire des lettres de condoléances aux familles des soldats mort sous les coups de l'ennemi ou de l'alcool (ce dernier cas de figure demandant beaucoup d'imagination pour masquer les vérités peu reluisantes), les remises de médailles qui viennent alimenter des placards de décorations militaires, les dépêches et les correspondants de guerres.
Quand l'auteur par des afghan effrayé par les bombardements, et de la puissance de feu de l'artillerie américaine, euh pardon macédonienne, j'ai failli éclater de rire, l'auteur ayant failli s'oublier… ^^ Car dans le même genre, on aussi les commandos masses qui doivent nettoyer les villages indigènes en défonçant les portes des casemates à coup de bottes avant d'effectuer des 360° pour sécuriser le périmètre… ^^
Il y a aussi les blessés qui sont soignés par les infirmières à l'hôpital, qui écrivent à leur famille restée au pays, avant de se bourreur la gueule ou de se défoncer à l'opium et de retourner au front (hôpitaux militaires qui seront officialisés sous Jules César et institutionnalisés sous Louis XIV, mais on n'est plus à un anachronisme près ^^). Il y a aussi les séquences judiciaires des tribunaux militaires et aux officiers de renseignements du Quartier Général qui ressemblent fort à des barbouzes de la CIA. Il y a aussi les C.E. (les Contingent Embarqués), les B.C. (les Bons de Compensation), les M.A.G. (les Missions d'Avant-Garde)… la prose use voire abuse d'un argot militaire plus proche de l'époque contemporaine que de l'antiquité. ^^
Passé un cap on est plus dans un mix entre les séries télévisées "L'Enfer du devoir" et "The Unit : Commando d'élite" que dans roman qui veut faire la part belle à l'antiquité.
Mais ce n'est pas forcément déplaisant pour autant car si on accepte les partis pris de l'auteur, qui certes se rappelle un trop à son passage dans le corps des Marines, c'est un bon mélange entre histoire de guerre et histoire d'amour. le jeune Matthias vivre une romance pleine d'incompréhension avec Shinar la jeune afghane proscrite. Autant la narration à la 1ère personne, très immersive, nous fait partager les joies et les peines de Matthias, ainsi que sa lente transfiguration, autant la rareté des dialogues ne nous permet pas de suivre la personnalité et les sentiments des autres personnages qui présentent vraiment des difficultés à prendre vie. Outre cette lacune de caractérisation, j'ai aussi regretté qu'on mentionne certains figures récurrentes sans les avoir présentés ou même introduits dans le récites, mais ce n'est pas bien grave (même si un effort de relecture plus poussé aurait été le bienvenu).
Dans le live de
Michael Curtis Ford, on racontait l'histoire de Théo, miroir celle de
Xénophon, qui est était celle de tous leurs camarades grecs. Ici en raconte l'histoire de Matthias, miroir de celle d'Alexandre, qui est celle de tous leurs compagnons macédoniens. J'ai longtemps hésité entre 3 et 4 étoiles, et on ne peut pas mettre 3,5/5 sur babelio... Malgré mes réserves et quelques soupirs, j'ai passé un bon moment. La prose, accessible à tous les lecteurs, est fluide et efficace, les chapitres courts se lisant vite et bien. On peut en remercier l'auteur, mais également son traducteur du jour
Christophe Cuq.
PS : pourquoi certains prescripteurs d'opinion ayant pignon sur rue ont été jusqu'à traquer le moindre soupçon d'anachronisme dans certains livres de fantasy historique, qui n'ont pas vocation à être historiquement précis, allant jusqu'à rager contre la présence d'éléments dont aucun historien ne peut prouver avec certitude l'inexistence, alors qu'on laisse passer tout et n'importe quoi chez nombre d'auteurs de romans historiques parfois bien côtés ? Parce que la fantasy c'est obligatoirement de la merde alors que les romans historiques sont pardonnés d'office parce que génétiquement plus proches de la « vraie littérature » ? GROS SOUPIRS…