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Critique de CDemassieux


Le malentendu, tel aurait pu être le sous-titre d'Albertine disparue, qui devait initialement s'intituler La Fugitive. Albertine, plus que Gilberte Swann, est partie, première phrase du texte, rapportée par Françoise. « Ainsi ce que j'avais cru n'être rien pour moi, c'était tout simplement toute ma vie. Comme on s'ignore ! Il fallait faire cesser immédiatement ma souffrance. »
A partir de là, Marcel invente des stratagèmes pour recouvrer la pleine possession de sa Prisonnière, enchaînée jadis à ses obsessions au point de les avoir fuies. Elle n'est plus là et les obsessions demeurent, teintées d'une tristesse comme on en lit peut-être dix fois dans une vie de lecteur. La mécanique est en route et jusque dans la littérature le narrateur puise son espoir d'un possible retour de la femme aimée, car tout est matière à Albertine : « Puisque Manon revenait à Des Grieux, il me semblait que j'étais pour Albertine le seul amour de sa vie. »
Et alors qu'il se croyait lui-même prisonnier d'Albertine, du temps où elle occupait son espace, sa liberté désormais recouvrée, il n'a plus le goût de rien : il a perdu le « contenant » de ses désirs.
Lentement, et péniblement, Marcel s'essaie à l'indifférence. En vain. Même environné de Venise, en voyage avec sa mère, il ne peut révoquer l'objet aimé : « Parfois, au crépuscule, en rentrant à l'hôtel je sentais que l'Albertine d'autrefois, invisible à moi-même, était pourtant enfermée au fond de moi comme aux plombs d'une Venise intérieure, dont parfois un incident faisait glisser le couvercle durci jusqu'à me donner une ouverture sur ce passé. »
Puis, le couperet tombe. Albertine serait volontiers revenue à Marcel. Mais hélas…
La Prisonnière sonne comme un apprentissage au malheur amoureux : « Cet avenir indissoluble d'elle je n'avais pas su l'apercevoir, mais maintenant qu'il venait d'être descellé, je sentais la place qu'il tenait dans mon coeur béant. »
Rien que pour ce texte – admettant volontiers que d'autres volumes de la Recherche du temps perdu distillent un certain ennui –, il faut lire Proust, au moins pour goûter l'art si rare de la phrase écrite et silencieuse qui dit tellement de nous.
Tout est affaire de temps disséqué, c'est-à-dire observer la vie en détail et non plus la consommer en oubliant à chaque nouvelle bouchée la précédente. C'est bien sûr se confronter au regret de ce qui n'est plus, au chagrin même lorsque la perte est un corps étranger que l'on avait si puissamment intégré à soi dans le cas d'Albertine disparue.
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