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A la recherche du temps perdu - ... tome 1.2 sur 7

Mireille Naturel (Scénariste)
EAN : 9782080711137
320 pages
Flammarion (13/09/2002)
  Existe en édition audio
4.01/5   791 notes
Résumé :
Dans le premier volume de la Recherche, " Un amour de Swann " constitue un récit singulier et autonome, celui de la passion amoureuse qui lie un esthète à une " cocotte ". Tous deux évoluent au sein de la société parisienne bourgeoise de la fin du XIXe siècle, dans un univers imprégné de peinture et de musique. Mais l'amour de Swann pour Odette, un temps volupté, connaît bientôt l'angoisse et la jalousie.
Que lire après A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du côté de chez Swan, un amour de Swan (2/2)Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (47) Voir plus Ajouter une critique
4,01

sur 791 notes
S'il ne fallait juger de Proust qu'à l'aune de cet Amour de Swann, le verdict serait cruel. le narrateur frivole et immature se perd dans des bavardages interminables alors que son histoire rivalise objectivement avec la moyenne de n'importe quelle autre bluette. Swann est un digne héritier du bovarysme, vivant son amour entre les sphères étroites de son crâne, et comme si cela ne suffisait pas, on le découvre également atteint par cette décadence qui lui fait désirer ce qu'il ne peut obtenir et rejeter ce qu'il reçoit.


« […] il appartenait à cette catégorie d'hommes intelligents qui ont vécu dans l'oisiveté et qui cherchent une consolation et peut-être une excuse dans l'idée que cette oisiveté offre à leur intelligence des objets aussi dignes d'intérêt que pourrait faire l'art ou l'étude, que la « Vie » contient des situations plus intéressantes, plus romanesques que tous les romans. »


L'écriture serrée ne laisse pas de répit au lecteur, coincé entre des phrases aux périodes interminables, soumis aux affirmations d'un Marcel Proust en quête de réponse aux questions qu'il se pose apparemment frénétiquement. Toute tentative d'analyse psychologique personnelle sera fortement empêchée par les assertions péremptoires d'un narrateur sans répit.


Si la lecture d'un Amour de Swann se termine avec soulagement, l'exploration du paysage imaginaire de Marcel Proust ne peut cependant pas commencer et se terminer là. Il est absurde d'extraire une partie seulement de la grande somme romanesque du Temps retrouvé si on cherche à comprendre la démarche globale d'écriture de Proust. Au-delà des démonstrations bavardes et appuyées qui remplissaient un Amour de Swann se dégage une appréhension inquiète de l'existence qui mérite certainement un regard plus ample que cette seule partie. Comme s'il se suffisait à lui-même, les éditeurs n'ont pas fait un cadeau à Marcel Proust en extrayant ce chapitre de son ensemble.
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C'est avec plaisir que j'exhume mes notes de lectures sur Un Amour de Swann de Marcel Proust. C'est par ce roman que j'ai découvert La Recherche du temps perdu il y a déjà quelques années…
Ce livre est particulier dans la série car c'est le seul qui n'est pas écrit à la première personne ; c'est une sorte de parenthèse qui raconte la relation entre Swann, un dilettante mondain, cultivé, amateur d'art et Odette de Crécy, une jeune femme peu farouche au passé déjà lourd, une " cocotte ", leur amour puis leur mariage. Ces évènements ont lieu avant même la naissance du héros principal.

L'amour, cité dès le titre, est un des noeuds thématiques du récit. À ce propos, l'article indéfini du titre me questionne car il donne à penser qu'il s'agit d'un amour parmi d'autres et non d'un grand amour.
La trame narrative ne suit pas les codes mais les revisite. Ainsi, la rencontre est escamotée, l'effet produit par Odette sur Swann est à l'opposé de l'effet habituel d'un amour naissant ; il faudra le prisme du rêve et de l'imaginaire pour donner réalité à la relation. Par la suite, il n'y a pas vraiment d'action à proprement parler : nous sommes chez Proust et c'est la psychologie qui prime et donc, la vie intérieure de Swann. L'amour devient une abstraction, une " chose mentale ". Chez tout autre que Proust, ce livre serait l'histoire d'une cocotte et d'un grand bourgeois, un roman de moeurs à la belle époque ; ici, c'est une invention de Swann, une histoire qu'il se raconte à lui-même. En effet, on ne sait rien des sentiments d'Odette.
L'amour est toujours une souffrance, causée par le manque de communication, l'incompréhension de l'autre. Proust renouvelle la métaphore de la maladie d'amour ; chez lui, la blessure classique devient un cas médical non " opérable ", une contamination. Paradoxalement, le mariage concrétise la fin de l'amour.
Dans mon souvenir, j'associe ce roman à la musique de Vinteuil, inspirée par celle de Saint-Saëns et de César Franck. Elle structure le récit et symbolise la rencontre puis le développement de l'amour par la petite phrase entêtante qui traduit successivement l'émoi, le dépit, la consolation. Quand la jalousie apparaît, Wagner remplace Vinteuil ; quand il n'y a plus d'amour, le silence se fait.

Après l'amour, vient le thème de l'art qui permet de s'élever dans la société, d'y prendre un certain pouvoir. L'art devient un marqueur social et culturel.
Swann a raté sa vocation d'artiste : il se contente de cultiver l'art, de vivre de ses critiques.
Les Verdurin sont des consommateurs d'art, des amateurs qui en font un usage vaniteux et y voient un signe extérieur de richesse et de noblesse. Dans leur clan, l'art est un rituel, une arme de guerre contre les autres salons ou coteries. Chez eux, l'art est une comédie où le goût n'a rien à voir ; au contraire, c'est un révélateur de leur sottise et de leur ostentation.
Odette ne comprend rien à l'art mais elle sait s'en servir comme moyen de pression pour faire souffrir son amant, par exemple. Si Swann tombe amoureux d'elle, c'est parce qu'elle ressemble à un tableau de Botticelli. L'Odette imaginée et sublimée supplante la véritable Odette dans son esprit. Elle devient une oeuvre d'art puisque Swann a simplement reporté sur elle son désir artistique.

Les thèmes de l'écriture et du langage, omniprésents dans tout le cycle de la Recherche sont aussi mis en lumière. Il ne s'agit pas de relater des faits, mais des sensations. L'écriture proustienne est en ce sens particulière et intéressante même si cela conduit à des romans où il ne se passe rien, où tout est métaphore.
Le personnage de Cottard avec ses mauvais calembours, ses temps de réactions, ses maladresses, son ignorance des usages mondains, son ridicule est un révélateur de l'importance du langage. L'approche volontairement caricaturale de Proust se veut satirique du monde des gens ordinaires.
Marcel Proust se met lui-même en scène à travers Swann qui lui ressemble assez ; c'est une façon de se représenter comme face à un miroir, de s'analyser et surtout d'affirmer sa présence au coeur du récit.

Un Amour de Swann peut se lire séparément, même si sa lecture est utile pour situer les parents de Gilberte, dont le héros tombera amoureux plus tard. Cette manière de remonter le temps permet de relier les deux histoires, de placer les deux jeunes gens sur des trajectoires parallèles.
Personnellement, j'ai du mal à cerner les personnages proustiens pourtant dotés d'une inoubliable présence. Sur la toile de fond d'une société superficielle, sans souci matériel et sans questionnement sur l'ordre social, je les vois comme des curiosités littéraires à connaître.
À lire, une fois dans sa vie.
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C'est bien ce dont je me souvenais. Proust m'ennuie profondément.
Désolée pour les amateurs, voire les inconditionnels.
Cette lecture confirme mon souvenir. Des phrases interminables pour raconter pas grand-chose.
Swann passe du désir à la jalousie , puis à l'ennui pour Odette, femme de peu de cervelle.
De dîners en soirées mondaines, c'est l'analyse psychologique d'une société oisive et superficielle.
D'aucuns admirent ce style ampoulé et tarabiscoté, ces phrases de parfois une page, où l'on ne sait plus de quoi on parle, ces conversations futiles….
Personnellement, je n'y ai pas trouvé de plaisir.
J'espère que Mickaël Uras me pardonnera.
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Ce deuxième tome est consacré à la vie amoureuse de Swann, un amour paisible mais très perturbateur d'autant plus qu'il est vécu de l'intérieur plutôt que de l'extérieur ainsi toute action est exclue dans cette lecture, on a l'impression qu'il ne se passe rien même les dialogues ne nous présentent les faits qu'à sens unique au points qu'ils ne sont que des instants d'interrogations auxquels se livre sans cesse notre monsieur Swann....

En entamant ce tome, on se pose la même question de savoir comment le lire, je pense que l'auteur nous met tellement en difficulté qu'on essaie plusieurs méthodes, ce n'est qu'au bout d'un long moment qu'on parvient à en retenir une, mais cela n'empêche, de temps en temps, qu'on se dise c'en est un peu trop avec ce Swann et cette Odette, de cette jalousie naïve et même participative, de cet amour qui ne dit pas clairement son nom, de ces incertitudes ou de ces peurs de découvrir la vérité et de dire on le sait maintenant, ce qui apparaît alors comme un vrai préjudice...mais quand on s'y met, on se rend compte Swann est rongé par tous les sentiments qui couvrent l'amour si bien qu'on sillonne chaque partie de ces sentiments comme si on suivait des courbes qui montent et qui descendent dans son coeur pour nous faire partager les vibrations de ses sentiments...parfois, pour ne pas trop se lasser, on voudrait s'engager dans une lecture diagonale mais dommage, on se rend compte après qu'on a loupé quelque chose quelque part qu'on aimerait bien rattraper...chaque longue phrase est une vie, on la lit comme si on était en train de façonner un personnage en papier...c'est lourd, c'est complexe, mais c'est beau!
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Quand j'ai lu pour la première fois La Recherche, j'étais étudiante, et j'avais éprouvé une certaine fascination pour cette oeuvre, exceptionnelle par son style, par son ampleur, par l'originalité de son projet « autobiographique », par son approche du rôle de l'art en général et de la littérature en particulier. Cela avait été une lecture ardue mais intéressante.

Aujourd'hui (40 ans plus tard… !) mon ressenti est tout autre : en relisant Un amour de Swann, je n'ai guère éprouvé que lassitude, et parfois même exaspération.

CERTES …

· L'intérêt psychologique est indéniable. Il s'agit d'une analyse minutieuse, très approfondie et très juste,

o de la passion amoureuse lorsqu'elle confine à la « maladie »,

o mais aussi de la jalousie qui alimente la mauvaise foi et les conduites ridicules,

o des « intermittences du coeur »,

o de la mémoire involontaire, notamment de l'effet produit parfois par la musique. (Cette petite phrase de la sonate de Vinteuil, comme on l'entend bien !).

o Charles Swann est un personnage plutôt sympathique, un esthète raffiné et spirituel, un homme intelligent dont on a pitié quand on le voit souffrir, manipulé par une cocotte qui lui ment effrontément.

· L'intérêt sociologique est tout aussi flagrant :
o c'est la peinture saisissante et souvent acerbe des moeurs des classes aisées de la Belle Epoque,
o des mentalités snob ou mesquines,
o des femmes entretenues et de leurs amants,
o des conversations de salon (aussi affligeantes et méchantes chez les Verdurin que chez Mme de Saint-Euverte : « Ce M. Swann, c'est quelqu'un qu'on ne peut pas recevoir chez soi, est-ce vrai ?
– Mais... tu dois bien savoir que c'est vrai, répondit la princesse des Laumes, puisque tu l'as invité cinquante fois et qu'il n'est jamais venu… ».) …
· Enfin l'écriture est saisissante.
o Il y a de magnifiques descriptions,
o des comparaisons innombrables,
o une richesse de vocabulaire témoignant d'une immense culture,
o un style collant parfaitement à l'expression des méandres des états d'âme du héros (remarquable mélange des styles direct et indirect libre, par ex dans les pages où Swann a envie de retrouver Odette à Compiègne et dialogue avec lui-même : « Alors, je n'ai plus le droit de voyager ! » lui dirait-elle au retour, tandis qu'en somme c'était lui qui n'avait plus le droit de voyager ! ).
o de l'humour aussi, surtout dans les dialogues rapportés (ex : les traits d'esprit féroces de la princesse des Launes : « ces Cambremer ont un nom bien étonnant. Il finit juste à temps, mais il finit mal ! dit-elle en riant.
– Il ne commence pas mieux, répondit Swann.»…)

MAIS….
· L'analyse psychologique est si poussée, si minutieuse, qu'elle en devient insupportable, assommante.

o Cette introspection permanente devient de l'égocentrisme, pour ne pas dire du nombrilisme !

o Il n'y a pratiquement aucune action pour soutenir l'attention…

o Et la très intéressante réflexion philosophique sur la mémoire et le temps, qui fonde l'ensemble de la Recherche, est malheureusement pratiquement absente dans ce tome, ainsi que le rôle de l'écriture !

· Dans le domaine sociologique, déception aussi :

o dans ce tome, je note l'absence de tout cadre politico-historico-économique. Il n'y a aucune date, aucun contexte, aucune précision. de quoi vivent, par exemple, ces personnages, riches et oisifs, capables d'offrir voyages et rivières de diamants à leur maitresse, et allant de soirées en opéras ? Où est le reste de la société ?

o Aux antipodes du réalisme, Proust prend le parti de faire passer toute réalité à travers le prisme d'une vision personnelle, ici celle de Swann. Mais cette approche est du coup, à mes yeux, très réductrice…

· Quant à l'écriture…

o Pour une belle page, où une belle sensibilité s'exprime, combien de longueurs, de lourdeurs, de pages de trop !

o Combien de phrases qu'il faut relire 2 fois, et qui restent parfois incompréhensibles ! Moi, je suis adepte du « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement… » de Boileau, et j'ai toujours refusé de penser que complexité et obscurité étaient synonymes de profondeur !

Bon, j'ai vieilli… (L'oeuvre aussi, peut-être ?... !) Pardonnez ma franchise, mais je n'ai plus de temps à consacrer à ce type de lecture, qui ne m'intéresse plus que médiocrement, car trop coupé de mes centres d'intérêt. J'ai l'impression de perdre mon temps, et d'avoir tant d'autres choses à faire et à lire, plus importantes et plus urgentes… !

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Citations et extraits (66) Voir plus Ajouter une citation
Il y avait bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse: ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle? Que signifiait-elle? Où l’appréhender? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité; Mais comment? Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher? pas seulement: créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière.
Et je recommence à me demander quel pouvait être cet état inconnu, qui n’apportait aucune preuve logique, mais l’évidence, de sa félicité, de sa réalité devant laquelle les autres s’évanouissaient. Je veux essayer de le faire réapparaître. Je rétrograde par la pensée au moment où je pris la première cuillerée de thé. Je retrouve le même état, sans une clarté nouvelle. Je demande à mon esprit un effort de plus, de ramener encore une fois la sensation qui s’enfuit. Et pour que rien ne brise l’élan dont il va tâcher de la resssaisir, j’écarte tout obstacle, toute idée étrangère, j’abrite mes oreilles et mon attention contre les bruits de la chambre voisine. Mais sentant mon esprit qui se fatigue sans réussir, je le force au contraire à prendre cette distraction que je lui refusais, à penser à autre chose, à se refaire, avant une tentative suprême. Puis une deuxième fois, je fais le vide devant lui, je remets en face de lui la saveur encore récente de cette première gorgée et je sens tressaillir en moi quelque chose qui se déplace, voudrait s’élever, quelque chose qu’on aurait désancré, à une grande profondeur ; je ne sais ce que c’est, mais cela monte lentement; j’éprouve la résistance et j’entends la rumeur des distances traversées.
Certes, ce qui palpite ainsi au fond de moi, ce doit être l'image, le souvenir visuel, qui, lié à cette saveur, tente de la suivre jusqu'à moi. Mais il se débat trop loin, trop confusément; à peine si je perçois le reflet neutre où se confond l'insaisissable tourbillon des couleurs remuées ; mais je ne peux distinguer la forme, lui demander, comme au seul interprète possible, de me traduire le témoignage de sa contemporaine, de son inséparable compagne, la saveur, lui demander de m'apprendre de quelle circonstance particulière, de quelle époque du passé il s'agit.
Arrivera-t-il jusqu'à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l'instant ancien que l'attraction d'un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi? Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peut-être; qui sait s'il remontera jamais de sa nuit? Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui. Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile, de toute œuvre importante, m'a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d'aujourd'hui, à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine.
Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés depuis si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot - s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des autres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.
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À ce moment-là, il satisfaisait une curiosité voluptueuse en connaissant les plaisirs des gens qui vivent par l’amour. Il avait cru qu’il pourrait s’en tenir là, qu’il ne serait pas obligé d’en apprendre les douleurs ; comme maintenant le charme d’Odette lui était peu de chose auprès de cette formidable terreur qui le prolongeait comme un trouble halo, cette immense angoisse de ne pas savoir à tous moments ce qu’elle avait fait, de ne pas la posséder partout et toujours ! Hélas, il se rappela l’accent dont elle s’était écriée : « Mais je pourrai toujours vous voir, je suis toujours libre ! » elle qui ne l’était plus jamais ! l’intérêt, la curiosité qu’elle avait eus pour sa vie à lui, le désir passionné qu’il lui fît la faveur — redoutée au contraire par lui en ce temps-là comme une cause d’ennuyeux dérangements — de l’y laisser pénétrer ; comme elle avait été obligée de le prier pour qu’il se laissât mener chez les Verdurin ; et, quand il la faisait venir chez lui une fois par mois, comme il avait fallu, avant qu’il se laissât fléchir, qu’elle lui répétât le délice que serait cette habitude de se voir tous les jours dont elle rêvait alors qu’elle ne lui semblait à lui qu’un fastidieux tracas, puis qu’elle avait prise en dégoût et définitivement rompue, pendant qu’elle était devenue pour lui un si invincible et si douloureux besoin !
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L’année précédente, dans une soirée, il avait entendu une œuvre musicale exécutée au piano et au violon. D’abord, il n’avait goûté que la qualité matérielle des sons sécrétés par les instruments. Et ç’avait déjà été un grand plaisir quand au-dessous de la petite ligne du violon mince, résistante, dense et directrice, il avait vu tout d’un coup chercher à s’élever en un clapotement liquide, la masse de la partie de piano, multiforme, indivise, plane et entrechoquée comme la mauve agitation des flots que charme et bémolise le clair de lune. Mais à un moment donné, sans pouvoir nettement distinguer un contour, donner un nom à ce qui lui plaisait, charmé tout d’un coup, il avait cherché à recueillir la phrase ou l’harmonie — il ne savait lui-même — qui passait et lui avait ouvert plus largement l’âme, comme certaines odeurs de roses circulant dans l’air humide du soir ont la propriété de dilater nos narines. Peut-être est-ce parce qu’il ne savait pas la musique qu’il avait pu éprouver une impression aussi confuse, une de ces impressions qui sont peut-être pourtant les seules purement musicales, inétendues, entièrement originales, irréductibles à tout autre ordre d’impressions. Une impression de ce genre, pendant un instant, est pour ainsi dire sine materia. Sans doute les notes que nous entendons alors tendent déjà, selon leur hauteur et leur quantité, à couvrir devant nos yeux des surfaces de dimensions variées, à tracer des arabesques, à nous donner des sensations de largeur, de ténuité, de stabilité, de caprice. Mais les notes sont évanouies avant que ces sensations soient assez formées en nous pour ne pas être submergées par celles qu’éveillent déjà les notes suivantes ou même simultanées. Et cette impression continuerait à envelopper de sa liquidité et de son « fondu » les motifs qui par instants en émergent, à peine discernables, pour plonger aussitôt et disparaître, connus seulement par le plaisir particulier qu’ils donnent, impossibles à décrire, à se rappeler, à nommer, ineffables — si la mémoire, comme un ouvrier qui travaille à établir des fondations durables au milieu des flots, en fabriquant pour nous des fac-similés de ces phrases fugitives, ne nous permettait de les comparer à celles qui leur succèdent et de les différencier. Ainsi à peine la sensation délicieuse que Swann avait ressentie était-elle expirée, que sa mémoire lui en avait fourni séance tenante une transcription sommaire et provisoire, mais sur laquelle il avait jeté les yeux tandis que le morceau continuait, si bien que, quand la même impression était tout d’un coup revenue, elle n’était déjà plus insaisissable. Il s’en représentait l’étendue, les groupements symétriques, la graphie, la valeur expressive ; il avait devant lui cette chose qui n’est plus de la musique pure, qui est du dessin, de l’architecture, de la pensée, et qui permet de se rappeler la musique. Cette fois il avait distingué nettement une phrase s’élevant pendant quelques instants au-dessus des ondes sonores. Elle lui avait proposé aussitôt des voluptés particulières, dont il n’avait jamais eu l’idée avant de l’entendre, dont il sentait que rien autre qu’elle ne pourrait les lui faire connaître, et il avait éprouvé pour elle comme un amour inconnu.

D’un rythme lent elle le dirigeait ici d’abord, puis là, puis ailleurs, vers un bonheur noble, inintelligible et précis. Et tout d’un coup, au point où elle était arrivée et d’où il se préparait à la suivre, après une pause d’un instant, brusquement elle changeait de direction, et d’un mouvement nouveau, plus rapide, menu, mélancolique, incessant et doux, elle l’entraînait avec elle vers des perspectives inconnues. Puis elle disparut. Il souhaita passionnément la revoir une troisième fois. Et elle reparut en effet, mais sans lui parler plus clairement, en lui causant même une volupté moins profonde. Mais rentré chez lui il eut besoin d’elle, il était comme un homme dans la vie de qui une passante qu’il a aperçue un moment vient de faire entrer l’image d’une beauté nouvelle qui donne à sa propre sensibilité une valeur plus grande, sans qu’il sache seulement s’il pourra revoir jamais celle qu’il aime déjà et dont il ignore jusqu’au nom.
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L’année précédente, dans une soirée, il avait entendu une œuvre musicale exécutée au piano et au violon. D’abord, il n’avait goûté que la qualité matérielle des sons sécrétés par les instruments. Et ç’avait déjà été un grand plaisir quand au-dessous de la petite ligne du violon mince, résistante, dense et directrice, il avait vu tout d’un coup chercher à s’élever en un clapotement liquide, la masse de la partie de piano, multiforme, indivise, plane et entrechoquée comme la mauve agitation des flots que charme et bémolise le clair de lune. Mais à un moment donné, sans pouvoir nettement distinguer un contour, donner un nom à ce qui lui plaisait, charmé tout d’un coup, il avait cherché à recueillir la phrase ou l’harmonie — il ne savait lui-même — qui passait et lui avait ouvert plus largement l’âme, comme certaines odeurs de roses circulant dans l’air humide du soir ont la propriété de dilater nos narines. Peut-être est-ce parce qu’il ne savait pas la musique qu’il avait pu éprouver une impression aussi confuse, une de ces impressions qui sont peut-être pourtant les seules purement musicales, inétendues, entièrement originales, irréductibles à tout autre ordre d’impressions.[…]
Ainsi à peine la sensation délicieuse que Swann avait ressentie était-elle expirée, que sa mémoire lui en avait fourni séance tenante une transcription sommaire et provisoire, mais sur laquelle il avait jeté les yeux tandis que le morceau continuait, si bien que, quand la même impression était tout d’un coup revenue, elle n’était déjà plus insaisissable. Il s’en représentait l’étendue, les groupements symétriques, la graphie, la valeur expressive ; il avait devant lui cette chose qui n’est plus de la musique pure, qui est du dessin, de l’architecture, de la pensée, et qui permet de se rappeler la musique. […]
D’un rythme lent elle le dirigeait ici d’abord, puis là, puis ailleurs, vers un bonheur noble, inintelligible et précis. Et tout d’un coup, au point où elle était arrivée et d’où il se préparait à la suivre, après une pause d’un instant, brusquement elle changeait de direction, et d’un mouvement nouveau, plus rapide, menu, mélancolique, incessant et doux, elle l’entraînait avec elle vers des perspectives inconnues. Puis elle disparut. Il souhaita passionnément la revoir une troisième fois. Et elle reparut en effet, mais sans lui parler plus clairement, en lui causant même une volupté moins profonde. Mais rentré chez lui il eut besoin d’elle, il était comme un homme dans la vie de qui une passante qu’il a aperçue un moment vient de faire entrer l’image d’une beauté nouvelle qui donne à sa propre sensibilité une valeur plus grande, sans qu’il sache seulement s’il pourra revoir jamais celle qu’il aime déjà et dont il ignore jusqu’au nom.
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« Vraiment il y a progrès sensible, se disait-il le lendemain ; à voir exactement les choses, je n’avais presque aucun plaisir hier à être dans son lit ; c’est curieux, je la trouvais même laide. » Et certes, il était sincère, mais son amour s’étendait bien au-delà des régions du désir physique. La personne même d’Odette n’y tenait plus une grande place. Quand du regard il rencontrait sur sa table la photographie d’Odette, ou quand elle venait le voir, il avait peine à identifier la figure de chair ou de bristol avec le trouble douloureux et constant qui habitait en lui. Il se disait presque avec étonnement : « C’est elle », comme si tout d’un coup on nous montrait extériorisée devant nous une de nos maladies et que nous ne la trouvions pas ressemblante à ce que nous souffrons.
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