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Jean-Yves Tadié (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070754922
2408 pages
Gallimard (30/11/-1)
  Existe en édition audio
4.57/5   759 notes
Résumé :
«Que celui qui pourrait écrire un tel livre serait heureux, pensais-je, quel labeur devant lui ! Pour en donner une idée, c'est aux arts les plus élevés et les plus différents qu'il faudrait emprunter des comparaisons ; car cet écrivain, qui d'ailleurs pour chaque caractère en ferait apparaître les faces opposées, pour montrer son volume, devrait préparer son livre minutieusement, avec de perpétuels regroupements de forces, comme une offensive, le supporter comme un... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (59) Voir plus Ajouter une critique
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Parler de la Recherche, c'est tenter d'en comprendre la mécanique, de saisir les raisons qui poussèrent un homme mondain, snob, destiné à entrer à la Cour des Comptes à entreprendre un jour la rédaction de cette "épopée".

En 1896, à 25 ans, Proust publie Les Plaisirs et les Jours, l'insuccès est total. Puis vient Jean Santeuil, roman inachevé ... L'auteur souffre d'être reconnu pour sa préciosité élégante, son dilettantisme mais tenu pour un amateur en matière littéraire. Une large part de lui-même demeure insatisfaite.

Au-delà d'une forme de paresse et plus inhibitrice encore, il y a la certitude d'une insuffisance, d'une impuissance qui l'empêchent à tout jamais d'être un écrivain :
"Je sentis une fois de plus ma nullité intellectuelle et que je n'étais pas né pour la littérature."

La mort de sa mère, en 1905, provoque chez lui une véritable conflagration, il pense ne jamais pouvoir surmonter cette terrible douleur:
"Ma vie a désormais perdu son seul but, sa seule douceur, son seul amour, sa seule consolation."
Au-delà de cette empathie filiale, une espèce de travail de deuil lui fait prendre conscience d'un gaspillage de talent, d'une fêlure, de toute une érudition gâchée que ne saurait combler le vide existentiel de son parcours de dandy.
A ce moment, il réalise que l'objet de sa vie est d'en faire une oeuvre d'art, dont le besoin s'était en lui, lentement, inconsciemment inscrit.
La disparition de sa mère l'a exilé du paradis de l'enfance, il estime le moment venu d'essayer de le recréer.
Il va donc tenter par l'écriture de saisir cette réalité qui lui a toujours échappé, parce que, pense-t-il, par un travail de mémoire, l'oeuvre d'art arrêtera enfin le Temps, lui donnant une forme.
Il rentre donc en littérature, dans une quête de quelque chose d'important, d'immatériel. Il sait que le livre sera long, à l'idée de celui des Mille et une Nuits qu'il affectionne ; que son architecture "bâtie comme une robe ou une cathédrale" (cela m'évoque la Sagrada Família) s'établira sur plusieurs volumes, qu'il y sera question de temps passé, d'espace quitté, de sentiments perdus, d'une société en allée.

Proust rassemble ce que sera son esthétique : les matériaux de son oeuvre seront constitués par sa vie passée, mondanités, "la vie des autres" voyages, amitiés, amours.
Il se retire petit à petit du monde, se calfeutre, au sens propre, dans sa chambre tapissée de liège. Il remplit la nuit d'innombrables cahiers rafistolés de "paperoles" collées.
Son roman va se confondre avec sa vie, en une sorte de mise en abyme. le livre devra se terminer au moment où le Narrateur (un certain "Je", encore appelé parfois Marcel) commencera le sien, celui-là même que nous lisons... en une sorte de circularité du temps, de boucle achevée. La vie du héros va être rejetée dans le passé et son rappel organisé par le jeu de la mémoire. Celui qui raconte est le même ou plutôt serait le même que celui qui est raconté, s'il n'y avait le temps.
Proust entrevoit une conception du temps d'abord discontinu, considéré comme perdu, relégué dans un passé lointain, inutile. Il se sert pleinement de ses sens exacerbés, les ré-activant en quelque sorte, afin que le charnel devienne littéraire par l'élaboration de ce livre à écrire en une lutte (chronologique) contre le doute, le découragement , la maladie (l'asthme) et la mort.

C'est la recherche d'un absolu, hors du monde, du temps arrêté et pourtant contre lui.
J'étais décidé dit Marcel Proust à consacrer à cette oeuvre toutes mes forces qui s'en allaient comme à regret.
Ce roman épousera tous les genres littéraires : la fois comique, tragique, érotique, poétique, onirique (la place du rêve est souvent évoquée).
Il prend conscience que ce n'est pas par des reconstitutions intellectuelles qu'il parviendra à rendre l'impression vraie du temps et à ranimer le passé :
"Le passé est caché hors du domaine de l'intelligence et de sa portée, en quelque objet matériel que nous ne soupçonnons pas. Cet objet, il dépend du hasard que nous le rencontrions avant de mourir ou que nous ne le rencontrions pas."
Ce sera l'épisode fameux de la madeleine ("son plissage sévère et dévot") ou des pavés disjoints, qui sera le signe, qui ouvre une vision perspective de l'espace et du temps. Proust fait ainsi l'expérience de la mémoire sensitive, involontaire, fonctionnant parce que les images du souvenir, fugitives trouvent le support de la sensation présente.
Dès lors, ces régressions seront les thèmes de sa pensée, selon laquelle nous vivons plusieurs époques à la fois (liées par plusieurs moi), de sorte que le passé nous est souvent plus présent que le présent même.
La mémoire se fait action et non réservoir de souvenirs figés mais plutôt recueil de sensations "engrammées".
"Des minutes affranchies de l'ordre du temps où un passé perdu se réveille".
Il s'attache ainsi à trouver ce qu'il appelle "la vraie réalité" (ou "les réalités invisibles"), à la manière, me semble-t-il de ces peintres impressionnistes (ou pointillistes) : patiemment, méticuleusement, touche par touche, comme s'il élaborait sa composition avec nombre d'aplats, de réserves, de repentirs, de jeux de couleurs et de matière, dans une progression appliquée où l'ensemble va finir par s'ordonner en une "clé finale révélée" :
"Ce travail de l'artiste, de chercher à apercevoir sous de la matière, sous de l'expérience, sous des mots quelque chose de différent, c'est exactement le travail inverse de celui que, à chaque minute, quand nous vivons détourné de nous-même, l'amour-propre, la passion, l'intelligence, et l'habitude aussi accomplissent en nous, quand elles amassent au-dessus de nos impressions vraies, pour nous les cacher entièrement, les nomenclatures, les buts pratiques que nous appelons faussement la vie."
A cette forme d'esthétique d'un inconscient pressenti - certes le narrateur n'est pas en analyse et ses réflexions ne s'apparentent pas à celles d'un analysant en cure, il n'en demeure pas moins qu'il s'abandonne parfois à un même lâcher prise, aux mêmes libres associations amenant alors à une sorte d'abréaction prodigue - à ces sensations, cette intuition préférées à l'intelligence (Proust est le contemporain de Freud et le cousin de Bergson) répondent aussi les vertus de l'oubli :
"Aux troubles de la mémoire, sont liées Les intermittences du coeur" (les amours perdues de Gilberte, de la duchesse de Guermantes, d'Albertine).
Ce qui appelle le réflexion de Jankélévitch :
"Le temps est le grand pacificateur de la contradiction"

"Ce qui est beau à Guermantes, c'est que les siècles qui n'y sont plus y essaient d'être encore ; le temps y a pris la forme de l'espace, mais on le reconnaît bien."
Ainsi, dans cette abolition de l'intervalle entre ce qui fut et le présent, l'écrivain nous rend le temps réversible comme l'espace et même parfois, grâce à ce médium, il apporte la conjonction de ces deux entités.
C'est en ce sens qu'il rend l'homme plus contemporain de lui-même, tente, en dépit de ses fractures mnésiques, de le faire davantage coïncider avec les occurrences de son présent, l'homme, "cet être des lointains"...

"Les lieux que nous avons connus n'appartiennent pas qu'au monde de l'espace où nous les situons pour plus de facilité. Ils n'étaient qu'une mince tranche au milieu d'impressions contigües qui formaient notre vie d'alors ; le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant ; et les maisons, les routes, les avenues sont fugitives, hélas ! comme les années."

En ce sens, peut-être n'est-il pas vain de considérer la mise en garde du Hussard bleu de Roger Nimier :
"Charmes du souvenir, qui ne sait vous prévoir ne sait pas son bonheur."

Un bonheur épiphanique qui convierait l'image de Claude Monet, ces Impression(s), soleil levant d'un Temps, en son essence, retrouvé.









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« Longtemps, je me suis couché de bonne heure. »

La première phrase de La Recherche, l’ « incipit de l’incipit» comme aurait pu dire Bloch, le pédant de la Recherche, s’il avait été initié au jargon stylistique contemporain, usant ainsi d’un génitif hébraïque (exemple : la fête des fêtes, le sabbat des sabbats, etc…) qui aurait trahi ses origines, pourtant bien dissimulées par cet arriviste...

Première phrase en trompe-l’œil : Proust n’en a jamais écrit de plus courte. Et il ne s’est pas souvent couché de bonne heure, une fois son enfance passée, lui, l’oiseau de nuit qui venait hanter les soirées mondaines du faubourg Saint Germain ou les soirées crapuleuses des Jupien de la réalité, l’œil aux aguets derrière son monocle…

longtemps, il s'était planqué , ce voyeur...

Parler de La Recherche, quelle entreprise ! Depuis 6 mois que je « babeliote » avec vous, et bien que ce soit mon livre de chevet, je n’ai encore osé m’y lancer... Allons-y pourtant, courage !

Longtemps, j'ai hésité, quel malheur…

Une certitude d’abord : s’il est un seul de tous les livres à emmener sur une île déserte, je crois que, pour moi, ce serait La Recherche car il les contient tous. J’ai mis du temps à pénétrer dans ce sanctuaire, cette cathédrale de sens et de signes – en fac’, enfin, j’y mettais le premier pas et pendant un an, je n’exagère pas, je n’ai rien pu lire d’autre que La Recherche, les « brouillons » de La Recherche, les exégèses de la Recherche, les biographies sur l’auteur de La Recherche : tout le reste me tombait des mains…comme devenu brusquement creux et vain. Inessentiel.

longtemps il les a éclipsés, sans saveur...

Il y a tant à dire que je me propose de faire ma critique comme un feuilleton : je choisirai quelques angles d’attaque, puis je poserai mon crayon. L’esquisse sera incomplète, mais peu à peu, les petits morceaux du puzzle feront peut-être émerger une tour médiévale, une haie d’aubépine, une digue normande, des clochers en vadrouille, la cour d’un vieil hôtel aux pavés inégaux…et peut-être alors verra-t-on une image plus complète de ce que je tente péniblement de dire.

Longtemps, j’ai bricolé sans ardeur…

A suivre !

Chapitre deux:
La Recherche est une quête du temps spatialisé.

Qui n’a pas entendu parler de la mémoire involontaire, olfactive , gustative, visuelle ou sonore, sensorielle en tous les cas, qui à un moment de lâcher-prise, de fatigue, ou de dépression saisit soudain le Narrateur et fait remonter en lui un souvenir très ancien, oublié, avec la précision et la fraîcheur d’une expérience récente ?

Ainsi la madeleine trempée dans le thé fait-elle soudain renaître le village de Combray cher à l’enfance du Narrateur dont les rues brusquement lui traversent la poitrine, dont le clocher pointu lui perce l’abdomen, tandis que tintent à ses oreilles les cloches du souvenir : une véritable expansion comparable à celle de ces fleurs japonaises qui se déploient dans l’eau. Le temps est devenu espace. Mais plus le Narrateur s’applique à retrouver intellectuellement le souvenir, plus celui-ci le fuit, plus l’espace reconquis se dissipe.

Comment sauver le passé de l’oubli, et surtout cette enfance bénie, tendrement protégée par une mère – et une grand’mère- adorée(s) ? Les expériences de mémoire involontaire sont trop rares, hasardeuses, fugaces, capricieuses : on ne peut compter sur elles pour retrouver littéralement le Temps perdu.

Les seuls qui échappent au massacre du Temps, quelle que soit la pauvreté de leur existence individuelle, la grossièreté de leur apparence terrestre, l’obscénité de leurs amours, ce sont les artistes.

Vinteuil est musicien, c’est un humilié, dont la fille profane le souvenir avec sadisme, mais sa sonate est une petite flamme pure qui revient dans le roman comme un leit-motiv, un puissant dictame : elle lui survivra, elle lui assurera une immortalité, une sorte de grâce.

Bergotte est un écrivain connu, patenté, encensé mais il meurt littéralement d’extase devant un petit pan de mur jaune peint par Vermeer qu’il a tenu à aller voir au musée du jeu de Paume, contre l’avis des médecins, alors que sa vie ne tenait plus qu’à un fil : le dialogue du peintre flamand et du vieil écrivain, au seuil de la mort, se fait dans cette perception aiguë d’un détail parfait, idéal. Sauvé du chaos par une touche lumineuse de quinacridone sur un mur.

Morel est un goujat qui fréquente les mauvais lieux, sadique et pédophile, il exerce une puissante attraction de bad boy sur les hommes de la plus haute sociéte, lui qui n’est qu’un valet, un prostitué, mais quand il joue du violon il tutoie les anges.

Elstir est vulgaire : il a été l’amant d’Odette, une cocotte que Swann épousera alors qu’elle n’est pas son genre, juste parce qu’elle lui rappelle certain tableau italien –l’art, toujours !- il est la vedette du salon bourgeois et ridicule des Verdurin, on l’appelle « Monsieur Biche » mais c’est un peintre exquis, à la palette raffinée, au toucher délicat …une sorte de Whistler !

A contrario, Charles Swann est un dilettante, un raffiné , un membre de la meilleure société, un esthète au goût très sûr …mais il ne franchit pas le pas, il ne sera jamais un créateur, il reste un collectionneur, un mondain : il sera le double déchu du Narrateur, le modèle à ne pas suivre...Il disparaîtra dans le maelström qui emporte les vies sans qualités…

Le Narrateur est un riche oisif, malade, obsessionnel, jaloux, malheureux, il paraît bien plus handicapé que son élégant modèle, Charles Swann, mais dès l’enfance il connaît une brève expérience de création qui le transporte dans une autre dimension : les clochers de Martinville dansent pour lui un ballet magique lors d’une promenade en calèche dans la campagne normande. Il jette cette expérience cinétique sur son papier d’écolier…et se sent aussitôt invincible ! Il chante comme une poule qui aurait pondu un œuf !

Devenu vieux, détruit par la maladie, revenu dans un Paris méconnaissable après la première guerre et dans une société où toutes les barrières sociales semblent s’être effondrées, tous les codes bouleversés, le Narrateur comprend à une succession de signes donné par ses sens- les cuillers qui tintent comme des cloches, les pavés inégaux d’une cour parisienne qui le ramènent soudain à Venise que le Temps presse, qu’il ne faut plus différer : pour être à jamais sauvé de la mort, il lui faut écrire. Vite.

La Recherche s’achève sur le roman à écrire, sur l’œuvre à naître. La boucle est bouclée.

A suivre….



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Cette oeuvre grandiose est longue, très longue à lire, non seulement pour les 7 tomes qu'elle comporte mais surtout parce que chaque phrase, ou presque, est comme un coquillage dans lequel on peut s'engouffrer et suivre les sinueuses courbes qui s'enroulent sur elles-mêmes. Ou encore comme un fleuve qui, au lieu de se jeter dans la mer, remonterait ses affluents et prendrait de multiples directions, imprévues, qui le ramènerait aux origines de ce qui le compose et de tout ce qu'il a récupéré, emmagasiné sur sa route.

La Recherche est une mine inépuisable, une oeuvre qu'on pourrait ouvrir tous les jours pour y trouver à nouveau matière à réflexion, à rêvasserie. Une mine mais aussi une grotte dont on ne pourrait qu'éclairer les pans de murs les uns après les autres, pour y découvrir des fragments qui bout à bout forment un tout signifiant.

Pour cette oeuvre, mon intérêt a été plutôt inégal. Si j'ai découvert et adoré du Côté de Chez Swann, comme beaucoup, au cours de mes études, à plusieurs reprises, je me suis également plongée avec délices dans l'écriture fraîche, concise et un brin nostalgique de A l'Ombre des Jeunes Filles en Fleur, le tome dans lequel je me suis le plus retrouvée à l'époque de la lecture. Période de l'adolescence du narrateur, de la découverte de lui-même et des autres, du monde autour de lui; premières analyses sur le comportement, et puis ces images de Balbec, bord de mer à la fois bourgeois et impressionniste.
Le Temps Retrouvé est, bien sûr, le plus majestueux, celui qui présente l'édifice du Temps dans sa splendeur et dont chaque phrase devient une source philosophique.
Par contre, qu'est-ce que j'ai baillé à la lecture de du Côté des Guermantes et de tout ce petit monde bourgeois ou aristocratique dans leurs beaux appartements et leurs soirées mondaines, et comme Proust a dû bailler lui aussi, à se remémorer tout ce monde factice et hypocrite!

Aurais-je le courage de relire la Recherche un jour? Il me semble que malgré une lecture aussi attentive que possible, une immense foule d'idées m'a échappée.
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Une seule critique ne peut rendre compte des différents plans traités dans la recherche. Il y a des perspectives interminables, des zooms, des travellings, des flash back, des gros plans, des paysages , on glose sur une note de musique pendant six pages, puis c'est le récit désinvolte d'un dîner de snobs, plus loin on lira la description clinique de l'attaque cérébrale de sa grand mère par le Narrateur, en bien plus loin encore l'effondrement émotionnel du même,très à distance de l'événement.… Plans de coupes, plongées, contre plongées, fondus enchaînés.. Cette oeuvre tellement cinématographique n'a encore eu aucune adaptation écran vraiment satisfaisante. Etonnant?
C'est que l'écriture proustienne est en soi comme un palimpseste où différents plans ou niveaux sont traités simultanément. Si bien que dans une même année, que dis-je dans une même journée, que dis-je dans une même heure, on peut apercevoir dix profondeurs différentes dans un même chapitre. Ajoutons à cela la construction difficile à entrapercevoir tant qu'on n'a pas lu les deux premiers volumes (Pléiade), la longueur légendaire des phrases et l'équilibre de celles-ci, le génie de Proust sera encore à peine effleuré. Chaque lecteur de Proust étant un éxégète original en puissance, comme on dit en Normandie, on n'est pas rendus.
Je suis de ceux qui s'en réjouissent , puisse être long le chemin, qu'on le prenne du côté de Guermantes, ou du côté de chez Swann.Le mien commence toujours avec le difficile coucher du petit Marcel, morceau dont la lecture faite à voix haute a souvent paisiblement endormi d'autres enfants. Magique. Essayez.
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La critique doit « dire autre chose que l'oeuvre ne dit pas » (Tzvetan Todorov).
L'essentiel ici, est donc de mettre en relief la signature du livre pour mieux dégager des thèmes-forts et des idées structurales afin de percevoir l'oeuvre dans toute son étendue !

Tout d'abord, il serait une erreur de lire « A la recherche du temps perdu » en confondant écrivain et narrateur. Bien au contraire, le roman qui est bâti autour de la structure du double « je », évoque à la fois héros et narrateur. C'est lui qui ordonne l'oeuvre selon un mouvement dialectique : le désir de révélation est toujours déçu par l'expérience du réel, et cet échec impose l'oeuvre d'art comme seul moyen de salut !
Si l'on y trouve, ensuite, une satire de la société mondaine, l'analyse minutieuse de la passion et de la jalousie annonce les amours douloureuses du héros. En fait, la description des salons ne renvoie pas seulement au thème de la mondanité s'opposant à la création. Elle révèle aussi l'épaisseur du temps perdu et réponds, par ailleurs, à un but dogmatique qui vise à établir les lois psychologiques et morales.
Cette somme romanesque accorde, de surcroît,(comme nous l'avons dit plus haut) une grande importance au thème de la création : « A la recherche du temps perdu » souligne fortement l'idée selon laquelle le fonctionnement mondain se situe à l'opposé du fonctionnement artistique !
Le créateur n'est pas, comme chez Honoré de Balzac par exemple, un Dieu omniscient.
Le narrateur n'a de ses personnages qu'une image floue : ils ne se livrent à lui que de façon parcimonieuse et fragmentaire...
De même, il ne saurait rester en dehors de l'épaisseur du temps. le narrateur est, dans le roman, une indétermination temporelle que serve la durée de la phrase proustienne.
Enfin, le temps chez Proust est un autre élément d'une unité encore renforcée par les analogies et les métaphores qui convertissent en une même substance les réalités diverses.

Ce monument de la littérature XXe siècle apparaît davantage comme l'aboutissement du roman traditionnel que comme l'annonce d'un roman nouveau.
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critiques presse (2)
LaPresse
16 septembre 2013
Pas besoin d'avoir lu tous les tomes d'À la recherche du temps perdu pour apprécier Proust à Sainte-Foy. Il suffit de partager avec son auteure Hélène de Billy un amour pour les phrases bien construites, un certain sens du jeu et une sensibilité envers le sort des personnes âgées.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LaLibreBelgique
17 août 2011
"La Recherche" est bien une œuvre magistrale sur le temps qui passe, sur la nostalgie. Une somme sur la condition humaine, une métaphysique, une esthétique.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (177) Voir plus Ajouter une citation
J'entendis à Balbec un inconnu que je croisai sur la digue dire : "La famille du directeur du ministère des Postes." Or, ce propos aurait dû me paraître oiseux, mais il me causa une vive souffrance, celle qu'éprouvait un moi, aboli pour une grande part depuis longtemps, à être séparé de Gilberte. C'est que jamais je n'avais repensé à une conversation que Gilberte avait eue devant moi avec son père, relativement à la famille du "directeur du ministère des Postes". Or, les souvenirs d'amour ne font pas exception aux lois générales de la mémoire, elles-mêmes régies par les lois plus générales de l'habitude. Comme celle-ci affaiblit tout, ce qui nous rappelle le mieux un être, c'est justement ce que nous avions oublié (parce que c'était insignifiant, et que nous lui avons ainsi laissé toute sa force). C'est pourquoi la meilleure part de notre mémoire est hors de nous, dans un souffle pluvieux, dans l'odeur de renfermé d'une chambre ou dans l'odeur d'une première flambée, partout où nous retrouvons de nous-mêmes ce que notre intelligence, n'en ayant pas l'emploi, avait dédaigné, la dernière réserve du passé, la meilleure, celle qui, quand toutes nos larmes semblent taries, sait nous faire pleurer encore. Hors de nous ? En nous pour mieux dire, mais dérobée à nos propres regards, dans un oubli plus ou moins prolongé. C'est grâce à cet oubli seul que nous pouvons de temps à autre retrouver l'être que nous fûmes, nous placer vis à vis des choses comme cet être l'était, souffrir à nouveau, parce que nous ne sommes plus nous, mais lui, et qu'il aimait ce qui nous est maintenant indifférent. Au grand jour de la mémoire habituelle, les images du passé pâlissent peu à peu, s'effacent, il ne reste plus rien d'elles, nous ne le retrouverons plus. Ou plutôt nous ne le retrouverions plus, si quelques mots (comme "directeur au ministère des Postes") n'avaient été soigneusement enfermés dans l'oubli, de même qu'on dépose à la Bibliothèque Nationale un exemplaire d'un livre qui sans cela risquerait de devenir introuvable.

A l'ombre des jeunes filles en fleurs
Noms de pays : Le pays
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Je revenais par ces chemins d'où l'on aperçoit la mer, et où autrefois, avant qu'elle apparût entre les branches, je fermais les yeux pour bien penser que ce que j'allais voir, c'était bien la plaintive aïeule de la terre, poursuivant, comme au temps qu'il n'existait pas encore d'êtres vivants, sa démente et immémoriale agitation. Maintenant ils n'étaient plus pour moi que le moyen d'aller rejoindre Albertine ; quand je les reconnaissais tout pareils, sachant jusqu'où ils allaient filer droit, où ils tourneraient, je me rappelais que je les avais suivis en pensant à Mlle de Stermaria, et aussi que la même hâte de retrouver Albertine, je l'avais eue à Paris en descendant les rues par où passait Mme de Guermantes ; ils prenaient pour moi la monotonie profonde, la signification morale d'une sorte de ligne que suivait mon caractère. C'était naturel, et ce n'était pourtant pas indifférent ; ils me rappelaient que mon sort était de ne poursuivre que des fantômes, des êtres dont la réalité, pour une bonne part, était dans mon imagination. [...] De fantômes poursuivis, oubliés, recherchés à nouveau, quelquefois pour une seule entrevue, et afin de toucher à une vie irréelle laquelle aussitôt s'enfuyait, ces chemins de Balbec en étaient pleins. En pensant que leurs arbres, poiriers, pommiers, tamaris, me survivraient, il me semblait recevoir d'eux le conseil de me mettre enfin au travail, pendant que n'avait pas encore sonné l'heure du repos éternel.

Sodome et Gomorrhe
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Odette avait maintenant, dans son salon, au commencement de l’hiver, des chrysanthèmes énormes et d’une variété de couleurs comme Swann jadis n’eût pu en voir chez elle. Mon admiration pour eux [ ... ] venait sans doute de ce que, rose pâle comme la soie Louis XV de ses fauteuils, blancs de neige comme sa robe de chambre en crêpe de Chine, ou d’un rouge métallique comme son samovar, ils superposaient  à celle du salon une décoration supplémentaire, d’un coloris aussi riche, aussi raffiné, mais vivante et qui ne durerait que quelques jours. Mais j’étais touché par ce que ces chrysanthèmes avaient moins d’éphémère que de relativement durable par rapport à ces tons, aussi roses ou aussi cuivrés, que le soleil couché exalte si somptueusement dans la brume des fins d’après-midi de novembre et qu’après les avoir aperçus avant que j’entrasse chez Mme Swann, s’éteignant dans le ciel, je retrouvais prolongés, transposés dans la palette enflammée des fleurs. Comme des feux arrachés par un grand coloriste à l’instabilité de l’atmosphère et du soleil afin qu’ils vinssent orner une demeure humaine, ils m’invitaient, ces chrysanthèmes, et malgré toute ma tristesse à goûter avidement pendant cette heure du thé les plaisirs si courts de novembre dont ils faisaient flamboyer près de moi la splendeur intime et mystérieuse.
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"Cela me rappelle la première soirée où je suis allé chez la princesse de Guermantes, où je croyais ne pas être invité et qu'on allait me mettre à la porte, et où vous aviez une robe toute rouge et des souliers rouges. - Mon Dieu, que c'est vieux tout cela", me répondit la duchesse, accentuant pour moi l'impression du temps écoulé. Elle regardait dans le lointain avec mélancolie et pourtant insista particulièrement sur la robe rouge. Je lui demandai de me la décrire, ce qu'elle fit complaisamment. "Maintenant cela ne se porterait plus du tout. C'étaient des robes qui se portaient dans ce temps là. - Mais est-ce que ce n'était pas joli ?" lui dis-je. Elle avait toujours peur de donner un avantage contre elle par ses paroles, de dire quelque chose qui la diminuât. "Mais si, moi je trouvais cela très joli. On n'en porte pas parce que cela ne se fait plus en ce moment. Mais cela se reportera, toutes les modes reviennent, en robes, en musique, en peinture" ajouta-t-elle avec force, car elle croyait une certaine originalité à cette philosophie. Cependant la tristesse de vieillir lui rendit sa lassitude qu'un sourire lui disputa :" Vous êtes sûr que c'étaient des souliers rouges ? Je croyais que c'étaient des souliers d'or."

Le temps retrouvé
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La plus grande peur d'Albertine était d'entrer chez moi quand je sommeillais : " J'espère que je n'ai pas eu tort ajouta-t-elle. Je craignais que vous ne me disiez :

Quel mortel insolent vient chercher le trépas ?

Et elle rit de ce rire qui me troublait tant. Je lui répondis sur le même ton de plaisanterie :

Est-ce pour vous qu'est fait cet ordre si sévère ?

Et de peur qu'elle l'enfreignît jamais j'ajoutai : " Quoique je serais furieux que vous me réveilliez. - Je sais, je sais, n'ayez pas peur ", me dit Albertine. Et pour adoucir j'ajoutai, en continuant à jouer avec elle la scène d'Esther, tandis que dans la rue continuaient les cris rendus tout à fait confus par notre conversation :

Je ne trouve qu'en vous je ne sais qu'elle grâce
Qui me charme toujours et jamais ne me lasse


La Prisonnière
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