LES VIEUX CHÊNES (Emile Verhaeren)
L’hiver, les chênes lourds et vieux, les chênes tors,
Geignant sous la tempête et démenant leurs branches
Comme de grands bras fous qui veulent fuir leur corps,
Mais que tragiquement la chair retient aux hanches,
Les vieux chênes rugueux et sinistres, les noirs
Géants debout, à l’horizon, où les vents rogues
Cinglent de leur colère et de leur vol les soirs
Et les mordent et les mordent comme des dogues,
Semblent de maux obscurs les mornes recéleurs,
Car l’âme des pays du Nord, sombre et sauvage,
Habite et clame en eux ses nocturnes douleurs
Et tord ses désespoirs d’automne en leur branchage.
Oh ! leurs plaintes et leurs plaintes, durant la nuit !
D’abord, lointainement, douces et miaulantes,
Comme ayant joie et peur de troubler, de leur bruit,
Le sommeil ténébreux des campagnes dolentes.
Puis le désir soudain où la terreur se joint
Quand la tempête est là, hennissante et prochaine ;
Puis le râlement brusque et terrible, si loin
Que les bêtes des grand’routes hurlent de haine
Et se couchent, là-bas, dans les sillons, de peur.
Puis un apaisement sinistre et despotique,
— Une attente de glaive et d’ombre et de fureur, —
Et tout à coup la rage énorme et frénétique,