"
Queneau!
Queneau!" , pourrions nous nous exclamer en forme de clin d'oeil à cet extraordinaire anticonformiste du langage.
Queneau qui, dans sa jeunesse, fit partie du groupe surréaliste, puis s'en détourna et fut excommunié comme tant d'autres par le Pape Breton, a créé une oeuvre inclassable, dont un millier de
poèmes parmi lesquels ceux de ces deux recueils Les Ziaux et l'Instant Fatal.
Si les premiers
poèmes des années 1920 du recueil Les Ziaux sont un peu dans la veine surréaliste, par la suite, la manière si particulière de
Queneau s'y affirme.
Cette façon de triturer les mots, la syntaxe, de jouer avec la construction même du poème, est unique. Certes, d'autres comme Tardieu vont faire aussi de la syntaxe, de la grammaire, un matériau poétique. le jeu sur le langage est aussi présent chez
Prévert et
Vian, notamment.
Mais, chez
Queneau,
il y a de façon omniprésente, une intention délibérée de jouer sur le langage en un cadre contraint, et ceci en opposition aux surréalistes. Car
Queneau, on le sait, était passionné par les mathématiques,et fut le créateur du groupe de l'
Oulipo, dans lequel les écrivains s'imposaient des règles de construction pour composer leurs textes. Et puis, il va aussi reprendre des formes classiques, pour mieux les détourner, les parodier, les moquer.
Et donc, dans les
poèmes de ce livre, on y voit non seulement des mots nouveaux, mais surtout un incroyable jeu de construction ou de dérèglement de construction, des phrases qui reviennent comme des petits modules, par exemple dans "Le ciel s'est couvert" "Lampes taries" "Nuit", " La mort à écouté le prêche inconsistant.." etc..., ou au contraire des mots identiques qui vont changer de place, tel est là cas dans "l'encrier noir au clair de lune "ou "sans délire" ...ou encore des répétitions, des séries, de mots, avec des effets comiques (poème Il pleut) ou tristes (poème misère de ma vie...). Aussi, ces nombreux
poèmes qui imitent la prosodie des
poèmes romantiques, voire des
poèmes de Villon, mais en utilisant un langage trivial ou décalé. Ils sont si nombreux que je ne peux tous les citer.
Il y a par exemple l'amusant "Un million de faits", ou "Le velours olfactif", le saisissant "Les citernes", le mystérieux "Robinson", aussi Magie Noire, Magie Blanche, Bois, Ballade en proverbes de vieux temps etc...... Aussi ceux qui se moquent des procédés rhétoriques tels le cocasse "L'explication des métaphores". Ou encore, cet "Art poétique" plein de fantaisie et d'humour, sans doute la partie la plus gaie et comique du livre, où l'on trouve par exemple ce quatrain qui s'amuse de l'alexandrin:
Quand les poètes s'ennuient alors il leur ar
Rive de prendre une plume et d'écrire un po
Ème on comprend dans ces conditions que ça bar
Be un peu quelquefois la poésie la po
Ésie
Et puis,
Queneau joue à déformer les mots, à forger des néologismes, use d'un langage phonétique, que tous eux qui ont lu "
Zazie dans le Métro" connaissent. Il nous rappelle ainsi ce que l'on ne devrait jamais oublier: la poésie, plus que tout autre forme littéraire, c'est oral, ça se dit et ça s'écoute, il le faut absolument.
Mais si cette poésie tourne parfois au jeu littéraire gratuit, et un peu lassant, elle est loin d'être cela, sinon elle aurait peu d'intérêt. Derrière ces constructions langagières insolites, et grâce à elles, surviendra parfois une surprise magique devant certaines apparitions de mots, vulgaires parfois, ou des associations de mots incongrues.
Queneau a aussi un regard ironique et tendre sur les petites gens, un
amour du "populaire", des choses de la vie simples (un exemple parmi d'autres, "Les pauvres d'autrefois"). Mais
il y a enfin, et terriblement, une tristesse devant cette chienne de vie, une angoisse sur la vie qui passe (ainsi le célèbre "
Si tu t'imagines", mais aussi, "Des jours se sont passés") sur la décrépitude, la maladie ( par exemple "Je crains pas ça tellement") la vieillesse et la mort, surtout dans le recueil "l'Instant fatal". Et au total, je trouve que la poésie de
Queneau, et plus souvent que l'on ne le croit, c'est plutôt grinçant, grave et triste, en tout cas dans ces deux recueils.
En conclusion, ce livre de poésie de
Queneau, et même si parfois les textes sont difficiles, et que j'ai beaucoup plus d'affinités avec d'autres poètes, parmi lesquels
Rimbaud,
Baudelaire,
Verlaine,
Apollinaire,
Eluard, Char, Chedid,
Prevert, ..., je trouve que ça vaut le coup de s'y arrêter, de les lire et relire.
Il ne faut pas que l'on s'y trompe,
Queneau est un vrai pouëtt.