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EAN : 9782070422890
121 pages
Gallimard (30/10/2002)
3.51/5   68 notes
Résumé :
"Pourquoi les femmes ont-elles si peu composé de musique ? Les femmes naissent et meurent dans un soprano qui paraît indestructible. Leur voix est un règne. Les hommes perdent leur voix d'enfant. À treize ans, ils s'enrouent, chevrotent, bêlent. Les hommes sont ces êtres dont la voix casse - des espèces de chants à deux voix. On peut les définir, à partir de la puberté : humains qu'une voix a quittés comme une mue. En eux l'enfance, le non-langage, le chant des émot... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (12) Voir plus Ajouter une critique
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Parmi les écrivains français contemporains, Pascal Quignard est un de ceux dont l'oeuvre se caractérise le plus par sa constante référence à la musique, ses livres sont souvent peuplés de musiciens. La Leçon de musique est un petit livre assez inhabituel dans la mesure où il ne relate pas un récit mais présente trois épisodes différents avec à chaque fois un nouveau personnage, dans un lieu et à une époque différente. La lecture de ce livre est intéressante mais complexe par son sujet et le style utilisé, et peut ainsi rebuter certains lecteurs.

Platon a écrit que la musique donne une âme à nos coeurs et des ailes à la pensée. Selon Quignard, dans « La Leçon de musique » et « La Haine de la musique », au contraire la musique « fait mal » et « dit le mal ».

L'auteur annonce son sujet dès l'ouverture : « Je traite de la mue de la voix ». Contrairement aux femmes dont la voix change peu, les garçons muent à la puberté, leur voix s'enrichit d'harmoniques graves, mais devient instable du point de vue sonore. Selon l'auteur, c'est un passage difficile pour les garçons qui sont profondément affectés par ce changement ; Quignard voit en la mue un véritable traumatisme. Il s'agit donc pour lui de composer avec la perte de la voix, de « domestiquer la mue » et d'en diminuer les effets. Seuls les hommes « composent avec la perte de la voix et ils composent avec le temps. Ce sont des compositeurs. La métamorphose du grave à l'aigu ne leur est pas possible, du moins corporellement : elle est instrumentalement possible. Elle a nom la musique ».

Face à ce changement, une des voies possibles est donc la composition musicale, domaine qui serait donc presque exclusivement réservé aux hommes…

Dans La Leçon de musique, Quignard indique que la mue a frappé douloureusement le musicien Marin Marais et que celui-ci a cherché à atteindre la maitrise de l'imitation de la voix humaine après avoir mué. Toutefois, on ne retrouve nul par ailleurs que chez Quignard ce tourment attribué à Marin Marais qui ne semblait en fait pas particulièrement gêné par la mue de sa voix. C'est Pascal Quignard lui-même qui a été traumatisé après avoir été rejeté de deux chorales qui, lorsque sa voix se brisa, « s'enseveli passionnément dans la musique instrumentale ».

La voix n'est pas un son comme les autres, elle est le principal support du langage et de la communication et joue un rôle important sur le plan social. La sensibilité de Quignard à la voix est manifeste tout au long de l'ouvrage. Dans celui-ci, Pascal Quignard, auteur d'une oeuvre considérable, mais parfois d'une approche difficile, mêle plusieurs genres : biographie, fiction, essai et légende. Les exemples donnés ici, mais également dans d'autres ouvrages, sont troublants mais non appuyés de preuves, et en contradiction avec ceux d'autres auteurs. Ses hypothèses sont surprenantes puisqu'il prétend que le génie de la composition est un art essentiellement masculin car celui-ci est dû au phénomène de la perte de la voix de l'enfance ; c'est pour cette raison que parmi les compositeurs il y a beaucoup plus d'hommes que de femmes…

Je ne partage pas cet avis et il serait intéressant d'approfondir ce sujet…
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C'est un livre très court, oscillant entre essai et roman, publié en 1987, quatre ans avant « Tous les matins du monde ». On y voit déjà Marin Marais, renvoyé du choeur de Saint-Germain l'Auxerrois après sa mue, et cherchant à maîtriser la voix de la viole, caché pendant des jours sous la charpente de la cabane de Sainte-Colombe pour écouter son maître jouer.

Pourquoi n'y a-t-il pas, ou si peu, de femmes compositeurs ? On sent que Pascal Quignard aime profondément la musique, dans sa chair. Il l'entend comme la voix d'un exil, comme la perte de ce que l'on entend et ressent avant la naissance, dans le ventre maternel, la perte de la voix d'enfant avec la mue de la voix des hommes. La musique lui est régressive, comme une manière de combler ces exils.

C'est une vision charnelle de la création musicale, mais en même temps surtout douloureuse, en forme de manque, de creux, et formulée de façon très intellectuelle. Il y manque l'exaltation, le plaisir plein - à moins que je ne sois ici dans l'utopie de celle qui n'est qu'auditrice, musicienne du dimanche ?
« Toute la musique est du narratif vide. Et tout le narratif est dans le temps et se résume lui-même à domestiquer, c'est-à-dire au sens strict à castrer la durée (la frustration, la faim, le désir). »

La dernière partie du livre, néanmoins, «La dernière leçon de musique de Tch'eng Lien», tout en restant très douloureuse (on a bien compris qu'on n'était pas ici pour sourire…), fait plus vibrer. Un maître de musique chinois cause à son disciple Po Ya un chagrin en détruisant ses instruments, mais cela ne suffit pas, sa musique reste vide de tout sentiment. Ce ne sera que lorsqu'il pleurera au fond de son coeur la disparition de son maître qu'il deviendra le plus grand musicien du monde.

« Vous êtes comme un enfant dont la voix mue. Vous êtes comme un enfant dont les lèvres hésitent entre le sein de sa nourrice et la mamelle des prostituées. Vous êtes comme un enfant dont le palais hésite entre l'univers du lait et celui du vin chaud, entre la voix qui s'élève brusquement comme un petit oiseau au dessus des frondaisons et une grosse voix de bûcheron ou de charretier qui bourdonne et aboie contre son tronc ou sa mule. Vous hésitez entre ce que vous sentez et ce que vous savez. Vous avez encore beaucoup à faire avant de vous rapprocher de la musique. »
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Quignard est un génie et c'est sans doute la raison pour laquelle les éditeurs imprimeraient même un hoquet de lui. Un peu comme la mise en vente d'un morceau de nappe en papier gribouillé par Picasso. Évidemment, la leçon de musique est bien plus qu'un morceau de nappe en papier mais cela ressemble beaucoup à des notes "à pas oublier pour un prochain roman". Quand on lit en première page "un épisode tiré de la vie de Marin Marais" on ne s'y retrouve pas parce que de Marin Marais il est peu question. Bien sûr il y a des phrases fulgurantes parce que même dans ses brouillons Pascal Quignard reste un érudit, un philosophe, un écrivain.
Ceci étant dit, il s'agit de quoi ? Ce que j'ai retenu de ces dizaines de notes c'est que la grenouille mâle en période de reproduction a un coassement grave et que c'est la même chose qui arrive aux jeunes garçons en pleine mue, leur voix se cassent avant de devenir plus grave pour signaler leur maturation sexuelle. de longs passages sur la mue pubertaire, de longs passages sur la musique, l'apprentissage, la transmission, la métamorphose de l'aigu vers le grave qui ne peut jamais se réaliser dans l'autre sens. Tout ceci pour nous conduire sur le chemin de vie de Marin Marais se transformant de chanteur en violiste. La dernière partie "La dernière leçon de musique de Tch'eng Lien" est très agréable à lire.
Ce livre édité en 1987 annonce le chef d'oeuvre de 1991 "Tous les matins du monde" autant commencer par là.
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Toujours, en lisant Pascal Quignard, on a l'impression de ressortir enrichi, plus intelligent.
Il faut dire que les leçons du maître se font en profondeur, touchent à tous les domaines de la vie, de la mort, de la contemplation, de l'émotion.
Ce qui avait ému M. de Sainte-Colombe chez Marin Marais dans Tous les matins du monde, est ici développé dans une première partie : il s'agit de la mue de la voix lors de l'adolescence des garçons. C'est, à l'instar de Marais, une nouvelle naissance. Quignard explique pourquoi –délaissant l'aspect social et culturel, c'est vrai mais là n'est pas son propos – les hommes dès qu'ils muent, se tournent vers la musique instrumentale, essaient de développer une certaine virtuosité et deviennent compositeurs. C'est ainsi, explique-t-il qu'il y a plus de compositeurs hommes que femmes. Les femmes, aujourd'hui, accédant autant à la culture et aux conservatoires que les hommes, il reste que peu sont compositrices. C'est un constat, pas de la misogynie !

"En Occident, les femmes virtuoses ont fourmillé. Les femmes ont beaucoup aimé la musique. Les femmes qui ont beaucoup composé furent à tout le moins rares. Elles échappent à la mue."

Dans la deuxième partie de ce petit traité, Quignard raconte l'histoire d'Aristote, comment il a inventé la tragédie dont l'étymologie grecque rappelle le « cri du bouc », son de la voix des adolescents qui muent.
Enfin dans la dernière partie, à mon sens la plus fascinante car l'auteur convoque le conte et la légende est l'histoire de T'cheng Lien qui vivait en Chine quelques huit siècles avant Jésus Christ et de son maître Po Ya. Là encore on retrouve un épisode de Tous les matins du monde car Po Ya incite T'cheng Lien à retrouver l'émotion musicale en brisant d'abord un précieux instrument. Quête de la mue perdue encore :

"La musique ne réside pas dans les plus beaux instruments. Elle ne réside pas davantage dans les pires. Les instruments de musique les plus appropriés à la musique sont ceux qui touchent sans doute, mais dont on peut perdre l'usage, comme les corps qui enveloppent les hommes."

Et toujours, on assiste à un exposé brillant, on nous raconte de belles histoires qu'on situe dans le temps qui devient notre temps. Et je ne m'interroge plus quand je vois le nombre d'adolescents –dont je fus – qui, à 14 ou 15 ans , s'emparent d'une guitare ou d'autres instruments et se regroupent pour composer.
La musique est donc devenue la quête d'un âge d'or vocal perdu.

"Enfin la fin de l'orage ne vous rapproche pas de la musique. Votre oreille est peureuse. La musique n'est pas la fin de l'orage, elle est l'orage."



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Trois leçons de musique données par Marin Marais, Aristote et Po Ya dans cet essai fragmenté ou l'on se perd par manque de fluidité. En arrière-fond la transmutation humaine, quand la voix de l'enfance se perd par l'irréversible mue humaine. Cette mue, c'est la perte du langage de l'enfance, d'une identité à jamais perdue que l'on recherche ensuite dans la musique.
Un essai aussi érudit qu'hermétique, dont je cherche encore le message et dont la musique trop dissonante pour moi, m'a conduit à me "laver les oreilles dans le silence".
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Les femmes persistent et meurent dans le soprano. Leur voix est un règne. Leur voix est un soleil qui ne meurt pas. Les hommes perdent leur voix d'enfant. Ce sont les êtres à deux voix - des sortes de chants à deux voix. On peut les définir, à partir de la puberté : humains que la voix a quittés comme une mue. En eux l'enfance, le non-langage, le réel, c'est la robe d'un serpent.
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Les «voix humaines» sont à elles-mêmes des sonates qui s'ouvrent sur des cris. Elles se prolongent entre le gazouillis et la lallation. Puis ce sont les voix blanches de l'angoisse, le timbre métallique des maniaques. Ce sont les aphonies terribles des détresses. C'est la voix sourde, basse et émoussée des dépressifs. Enfin le détimbrement de la voix des vieilles gens au moment où elles meurent.
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Les Grecs ont inventé la tragédie. La tragédie, en grec, cela se dit tragôdia. Tragôdia veut dire mot à mot le chant-du-bouc. Tragßzein deux sens : puer comme un bouc et muer de voix (chanter comme un bouc ou comme celui qui en rappelle l'odeur). C'est la voix raboteuse, tout à coup trompetante, escarpée. C'est le sens ancien et perdu de chèvreler, de chevroter dans notre langue.
 
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La musique, ce n'est pas la mort et si elle n'est pas la vie, elle est toute proche de la vie, elle est, dans la vie, toute proche de ce qu'il y a de naissant dans la vie. C'est le premier cri qui est le premier son, et en ce sens la musique n'est pas ce qui suit la vie mais ce qui la précède. La musique a précédé l'invention des monosyllabes !
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"Pendant que vous parliez, j'écoutais le son de votre voix. Que disent les mots sinon la prétention et le vide ? Que dit l'intonation sinon l'intention et le fond du coeur ?" Tch'eng Lien à Po Ya.
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Vidéo de Pascal Quignard
L'auteur Pascal Quignard a bâti une oeuvre érudite et sensible. Avec "Compléments à la théorie sexuelle et sur l'amour", il poursuit sa réflexion sur la sexualité et la relation amoureuse et nous parle d'art, de masochisme, ou encore de sirènes... Il est l'invité de Géraldine Mosna-Savoye et Nicolas Herbeaux.
Visuel de la vignette : Les Amants / René Magritte
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