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EAN : 9782070400706
304 pages
Gallimard (03/10/1997)
4.22/5   56 notes
Résumé :
Quand la musique était rare, sa convocation était bouleversante comme sa séduction vertigineuse.
Quand la convocation est incessante, la musique repousse. Le silence est devenu le vertige moderne. Son extase. J'interroge les liens qu'entretient la musique avec la souffrance sonore.
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Lire Quignard, c'est d'abord faire l'expérience de la poésie. Il me rappelle Nerval: grandes brassées de mythes, la Bible et la littérature gréco-latine qui dégorgent à toutes les phrases. L'un et l'autre convoquent leur immense culture pour la plier à leur obsession dans une langue obscure et fascinante. Ne pas chercher à comprendre: le lecteur, ravi, se laisse ballotter par des associations qui le happent et le sidèrent.
"Les lèvres, les mots et les sens. Les sexes et les visages. Les haleines et les âmes.
Les lèvres qui balbutient dans le sanglot.
Les lèvres qui frémissent quand on se retient de sangloter - ou quand on lit à la naissance de la lecture.
Les tremblements de terre et les ruines qu'ils protègent, les dissimulant sous elles-mêmes, pour attendre, comme des témoins, dix-neuf millénaires pour que s'ouvre une grotte.
Tremulare en latin n'a pas encore le sens sexuel marqué du tressaut: c'est la flamme qui vacille dans l'huile de la lampe de graisse.
Les oeufs mollet. Les tremula ova."
Or, de coq à l'âne en pseudo-digressions, des larmes de St-Pierre à maître Eckhart, de l'art pariétal à Auschwitz en passant par un orgue porcin, c'est toute une pensée qui se déploie, assurée et logique.
La musique naît du rythme même de notre corps: coeur, poumons, marche de l'homme debout. Les instruments sont faits d'os et de boyaux. La peau du tambour se tend comme le ventre où habite l'enfant qui entend avant de voir.
Car les oreilles n'ont pas de paupières. "Ouïr" et "obéir" ont la même origine. Entendre suppose la passivité. La corde du violon comme celle de l'arc touche à distance, pénètre en contraignant. Pourquoi les premiers hommes se sont-ils enfoncés sous la terre pour peindre cerfs et bisons dans l'obscurité? Parce que l'art préhistorique n'a rien à voir avec la vue et tout avec l'ouïe. L'enfant qui pénètre au fond de la caverne en ressort homme et chasseur; sa voix ne peut plus reproduire les notes aiguës du féminin. La musique a besoin des instruments pour se déployer - ou d'un corps démembré. Osiris déchiré et émasculé; Atys détruisant lui-même son sexe; Marsyas émasculé et écorché; Orphée déchiré. Pas de musique, donc, sans castration.
Euh...
Mais c'est quoi le rapport entre le bel Atys et la musique?
Bon, d'accord, on s'en fiche. Quignard n'est pas un spécialiste de sciences sociales ni un musicologue rigoureux. Il fait feu de toute son érudition pour comprendre et justifier ce qu'il ressent. C'est bien à ça que servent les mythes et les histoires, non? À parler de soi. À se comprendre. Pascal Quignard n'aime plus la musique. Vous et moi mettrions en cause les ascenseurs et les grands magasins. Lui cherche dans sa mémoire les fils qui tisseront le motif de sa détestation. Toutes les réponses se trouvent dans les livres qu'on a déjà lus.
Dans son dernier chapitre, Quignard imagine une nouvelle fin aux "Liaisons dangereuses". Je crois comprendre ce que signifie cette clausule sans lien apparent avec ce qui la précède: à la musique infuyable s'oppose la littérature. Il n'est pas au pouvoir d'un auditeur de trouver une fin alternative aux pompompom de Beethoven; mais c'est le bon plaisir de Quignard que d'imaginer Madame de Merteuil triompher de ses ennemis.
Mais quand même, Pascal... T'aurais pu choisir une héroïne moins castratrice?...
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En une série de dix petits traités qui composent ce livre, Pascal Quignard convoque :
"tous les liens qu'entretient la musique avec la souffrance sonore."
A ceux-ci correspond la cessation de son propre goût pour la chose musicale. Pascal Quignard fait appel à toutes les mythologies du passé qui peuvent montrer que la musique est à l'origine, la souffrance et la mort. Des ''larmes de Saint- Pierre'' dont le remords fut invoqué par le chant du coq en passant par le chant des sirènes de l'Odyssée auquel Ulysse a pu résister en restant attaché à un mât, par un orgue à porcs inventé par un musicien à la demande de Louis XI et par l'origine même des instruments, ainsi "la khitara" faite d'une carapace de tortue, de boyaux de mouton et de la peau d'une vache, semblable à l'arc tueur d'Ulysse, la musique invoque la mort comme l'appeau des chasseurs imite les oiseaux pour mieux les piéger.
Pascal Quignard n'hésite pas à plonger au coeur même des mots (que c'en est un délice de philologue) pour illustrer son propos : de tibia, pour le sens latin de la flûte, au mot tarabust,"mot instable" :
Entre le groupe « rabasta » (le bruit de querelle, le groupe rabâchant) et le groupe « tabustar » (frapper, talabussare, tamburare, la famille des résonnateurs, des tambours.
La vie humaine est ainsi dirigée voire soumise de plus en plus au fredon (mélodie, chant) et au tarabust (percussion).
La musique est aussi liée à la nuit, au noir des cavernes des premiers hommes qui entassaient les peaux d'animaux morts au plus obscur des grottes mais aussi au plus résonnant. de même la musique est empreinte de souffrance, dans les camps de la mort, lors de la 2° Guerre Mondiale, où les prisonniers entraient dans les chambres à gaz en musique. Pascal Quignard montre que certains chefs d'orchestre revenus des camps (dont Simon Laks) ainsi que des gens comme Primo Levi ont conclu combien la musique leur était devenue souffrance ou liée au souvenir de cette souffrance :
L'expression « Haine de la musique » veut exprimer à quel point la musique peut devenir haïssable pour celui qui l'a le plus aimée. Il n'en reste pas moins que Pascal Quignard agrémente aussi ses traités de légendes dont celle de la cigale, amant rabougri mais immortel qui, ne comblant plus la belle Aurore, en pleure des larmes de rosée.
Pascal Quignard est un pessimiste et comme tous les pessimistes, il est réfléchi et cultivé. Il fut musicien et ne l'est plus que dans le silence des campagnes. Il veut qu'à sa mort, le silence absolu règne. Il a montré que mêmes les églises, en diffusant une bande sonore pour attirer les visiteurs, les éloignent du silence nécessaire à la prière. Son style aphoristique, proche parfois du meilleur Nietzsche, envoie des phrases comme autant de flèches. Pour lui, trop de musique en notre monde, a tué la musique. Si la musique n'est plus l'exception, elle mourra d'elle-même.
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En dix traités, Pascal Quignard nous invite à réfléchir sur la musique. Il "interroge les liens qu'entretient la musique avec la souffrance sonore". Au travers d'anecdotes, historiettes, simples réflexions et pensées diverses, il questionne notre rapport aux sons... et au silence, "devenu le vertige moderne". A méditer dans une salle d'attente où une musique lancinante s'impose, sans possibilité de couper le son...
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Ce ne fut pas pour apaiser leur douleur, ni même pour se concilier leurs victimes, que les soldats allemands organisèrent la musique dans les camps de la mort.

Ce fut pour augmenter l’obéissance et les souder tous dans la fusion non personnelle, non privée, qu’engendre toute musique.

Ce fut par plaisir, plaisir esthétique et jouissance sadique, éprouvés à l’audition d’airs aimés et à la vision d’un ballet d’humiliation dansé par la troupe de ceux qui portaient les péchés de ceux qui les humiliaient.

Ce fut une musique rituelle.

Primo Levi a mis à nu la plus ancienne fonction assignée à la musique. La musique, écrit-il, étant ressentie comme un « maléfice ». Elle était une « hypnose du rythme continu qui annihile la pensée et endort la douleur. »
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Sur la totalité de l'espace de la terre, et pour la première fois depuis que furent inventés les premiers instruments de musique, l'usage de la musique est devenu à la fois prégnant et répugnant. Amplifiée d'une façon soudain infinie par l'invention de l'électricité et la multiplication de sa technologie, elle est devenue incessante, agressant de nuit comme de jour, dans les rues marchandes des centres-villes, dans les galeries, dans les passages, dans les grands magasins, dans les librairies, dans les édicules des banques étrangères où l'on retire de l'argent, même dans les piscines, même sur le bord des plages, dans les appartements privés, dans les restaurants, dans les taxis, dans le métro, dans les aéroports.
Même dans les avions au moment du décollage et de l'atterissage.

Même dans les camps de la mort.

L'expression Haine de la musique veut exprimer à quel point la musique peut devenir haïssable pour celui qui l'a le plus aimée.
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“L’ouïe, lors de l’endormissement, est le dernier sens qui capitule devant la passivité sans conscience qui vient.”
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La musique attire à elle les corps humains. C'est encore la sirène dans le conte d'Homère. Ulysse attaché au mât de son vaisseau est assailli par la mélodie qui l'attire. La musique est un hameçon qui saisit les âmes et les mène dans la mort. Ce fut la douleur des déportés dont le corps se soulevait en dépit d'eux.
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L'expression Haine de la musique veut exprimer à quel point la musique peut devenir haïssable pour celui qui l'a le plus aimée.
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Videos de Pascal Quignard (60) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Pascal Quignard
L'auteur Pascal Quignard a bâti une oeuvre érudite et sensible. Avec "Compléments à la théorie sexuelle et sur l'amour", il poursuit sa réflexion sur la sexualité et la relation amoureuse et nous parle d'art, de masochisme, ou encore de sirènes... Il est l'invité de Géraldine Mosna-Savoye et Nicolas Herbeaux.
Visuel de la vignette : Les Amants / René Magritte
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