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Critique de TRLVR


✒ "Tous les matins du monde" est un roman de Pascal Quignard publié en 1991. Brièvement, c'est l'histoire de Monsieur de Sainte-Colombe, musicien du XVIIe siècle, violiste. Sa femme meurt et il va s'enfermer dans une cabane en mûrier pour jouer des airs très mystérieux que personne ne connait et qui deviennent une espèce de Graal... Marin Marais arrive et devient le disciple de M. de Sainte-Colombe. Il va devenir un très grand violiste à la Cour du roi et va avoir une relation avec Madeleine, une des filles de SC. Elle va mourir de chagrin et très malade... Marin Marais connait le secret de SC : il arrive à faire réapparaître sa femme en jouant de la viole de gambe... Mais est-ce aussi simple que cela? Voici les grands traits de l'oeuvre qui ne sont bien sûr pas les seuls... le roman regorge de rebondissements qui happent le lecteur dans une dimension baroque terne et artistique... Aussi, "Tous les matins du monde" est une empreinte du mythe d'Orphée qui, par la musique, émeut toute la nature et revoit sa défunte femme, Eurydice. L'oeuvre est donc un voyage orphique.

Par ailleurs, le roman est remplit de doutes. En effet, il existe une dualité dans l'écriture qui est à a fois froide, parataxique, dans la retenue, très elliptique et à la fois très explicite. L'auteur dit tout. L'écriture de l'auteur est toujours méta réflexive, elle pale d'elle-même, se dévoile complètement. L'écriture est tout le temps dans le paradoxe. Elle est assertive car tout en disant que la dimension est secrète, on retrouve une méfiance du langage. Quignard se méfie de l'interprétation, il joue avec la volonté du lecteur de trouver du sens.

On repère aussi qu'au sein de la narration, il y a des fragments qui hésitent entre la théorie et la narration. Cette dernière est une sorte d'anapax, un fait unique entier. C'est une chose exceptionnelle chez l'auteur car cela veut dire qu'il veut définitivement raconter une histoire. Pour lui, l'humain c'est le temps et l'inhumain c'est la vie éternelle.

Je ne peux m'empêcher d'intervenir sur le titre qui est à première vue étrange. Il s'agit d'une phrase incomplète à valeur absolue. C'est une idée d'espoir. C'est au chapitre 26 que l'on retrouve ce titre, cette phrase complétée...malheureusement car c'est une phrase sans retour, l'espoir est brisé et nous sommes en présence de tout le pessimisme du texte. Les enjeux de l'oeuvre portent sur le corps des Hommes qui sont, selon l'auteur, des corps blessés. On commence avec la mue qui est un traumatisme absolu. C'est la perte de la voix d'enfant : IFANS ( IN -> négatif, sans et FANS -> parole) L'enfant ne parle pas, il est sans langage dans un monde rassurant et désormais il faut nommer les choses, les affronter. L'enfant est dans une musique et non pas dans un langage. Mais la mue c'est aussi la perte de la sexualité, tout change. Beaucoup de conséquences dans le roman vis à vis de cette jeune sexualité, des conséquences tragiques notamment. La musique est une conséquence de la mue. Un homme fait de la musique pour sublimer la voix humaine. La retrouver à travers les accords. En effet, la viole est associée au ventre de la mère de par sa forme avant tout, mais aussi au cercueil. le ventre de l'instrument pour le ventre de la mère d'où provient l'enfant et le cercueil car ce dernier va perdre sa voix d'enfant... Mais cet instrument est fait en mûrier tout comme la lyre. Pascal Quignard associe le mûrier aux verbes mûrir, mourir et muer. Par divers procédés il en vient à ces comparaisons qui lui permettent de conclure que cet instrument dit tout: la vie, la mort et tout ce qui se passe entre les deux.

Pour terminer, et il y en aurait encore tant à dire, la musique est associée au temps car celle-ci naît du temps qui passe. Elle permet de remémorer le passé (la voix perdue de MM et la femme de S.C) C'est aussi une perversité car elle offre un plaisir qui en réalité nous fait vieillir. Elle donne l'illusion du passé alors que nous vieillissons. La musique est mortelle tout comme le désir sexuel (EROS) et la mort elle-même (THANATOS). Ce sont là les trois principaux enjeux de l'oeuvre. Je terminerai sur cette citation de Pascale Quignard qui reprend bien tout ce qui a été dit précédemment, " La musique est faite pour tenter le vivant."
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