« Ah ! tu écris encore une de tes histoires ? ça tombe bien : je viens justement t’en raconter une, et qui en vaut la peine, je te prie de croire ! T’as un peu de temps, non ? »
Philippe avait sonné alors que j’entamais à peine le premier chapitre. Comme je voulais lui faire comprendre que je travaillais, je l’avais introduit directement dans le bureau. Il avait vu ma vieille Triumph sur la table — je venais d’y engager une feuille blanche -, les notes éparses alentour ; peut-être à travers la porte m’avait-il entendu taper avant de sonner.
« Tu sais, le temps… c’est pas ça que j’ai en trop en ce moment… »
Évidemment il faisait semblant de ne pas comprendre ; quand il était disponible, il fallait que les autres le soient aussi. Il tournait en rond dans la pièce, les mains dans les poches, très à son aise comme d’habitude ; jetait un coup d’œil aux rayonnages de bouquins, se plantait devant la porte-fenêtre pour humer l’air du jardin ; il n’arrêtait pas d’aller et venir.
J’étais retourné m’asseoir au bureau ; ostensiblement je m’étais mis à feuilleter mes notes ; ça ne ferait pas avancer mon travail, mais j’étais trop contrarié : je ne voulais pas lâcher pied devant lui ; il faudrait bien qu’il comprenne un jour !
« Bon ! Alors tu ne veux pas de mon histoire ? »
Il s'est tu, et le silence a duré jusqu'à ce qu'il fasse mine de se lever en posant les mains sur ses cuisses :
« Eh bien voilà ! Tu sais tout... Ça en valait la peine, non ?
- Cette fille-là est une garce », ai-je fait sans réfléchir.
Ça l'a fait bondir :
« Ah, non ! Je ne veux pas qu'on pense ça ! Tout ce que tu voudras sauf une garce !
- Je ne te comprends pas, Philippe.
- Moi non plus », a-t-il répliqué durement.