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Critique de pixton


Bon, et voilà, le métro m'avait mené à Williamsburg, sur Bedford Avenue ; le type qui m'avait envoyé là s'appelait R.J. Ellory, avait l'air trop sympa pour être honnête -une sorte de professeur Mortimer qui se serait fait foutre à la porte de sa colloc' par son vieux pote Blake- et m'avait dit que je devais rencontrer Franck Parish au Spike Hill, un bar du quartier. Il pleuvait, je me caillais, j'avais pas prévu de parapluie et mes pompes en daim absorbaient l'eau comme deux grosses serpillières. Trouvant le bar, je m'y engouffrais pour me protéger du temps cataclysmique. C'était un rade du même genre que tous ceux que j'avais vu jusqu'à présent le long des pages de polars ; un long comptoir en bois fumé, des chromes clinquants, une atmosphère de vieille Irlande qui baignait dans le whisky sec et la cornemuse. Je secouai la flotte qui m'avait trempé, comme un vieux chien galeux qu'on aurait oublié dehors, et commandai une eau gazeuse avec une rondelle de citron ; le patron m'a servi en me regardant d'un air louche. Pas vraiment la commande typique. En retour, j'ai reçu de l'eau plate dégueulasse sans citron mais avec des trucs qui flottaient en surface.

Et là, j'ai attendu Franck.

J'aime bien les gens qui s'appellent Franck, en général ; j'ai un bon pote qui s'appelle comme ça. Et puis mon psy aussi, s'appelle comme ça. C'était un autre de mes potes -j'en avais plein, des potes- qui s'appelait Keith Ablow, qui m'avait présenté au fameux Franck Clavenger, le meilleur psychiatre de New York. En réalité, un toxico qui avait le chic pour tremper dans des affaires de meurtre sordides. Mais je l'aimais bien quand même. Et puis, il y avait Franck Thilliez, qui touchait sa bille quand il s'agissait d'un stylo. Sans oublier Franck Gore, le running back des San Francisco 49ers. Alors je partais d'un bon à priori, je me disais que j'aimerai bien Franck Parish. Et il s'est pointé avec fracas, en gueulant à tue-tête, et il avait une sale gueule. Il était bourré avant même d'ouvrir la porte, et après ce fut pire. Il descendit deux bouteilles de Bushmills sans sourciller et sans bégayer, et sans essayer de me taper dessus, sans même sortir son flingue de service. Ça m'a plus, vraiment. Il a tout foiré dès les deux premières pages et s'est attiré ma sympathie. Je lui ai dit :

-Bon dieu ! Franck ! Va prendre une douche, putain, tu sens le dégueulis et la charogne ! Et il m'a répondu d'une voix grave :

-Ouaip, petit, je sens comme la pourriture du monde, mais je me doucherai quand j'aurai le temps. J'ai des ados innocentes à sauver, une psychiatre à analyser et le fantôme de mon père me met des coups de pied au cul. le monde est dégueulasse, et j'ai les boules, mon pote.

J'aimais bien Franck Parish. Il était connard mais sympa, n'avait pas la langue dans sa poche, et il était à deux doigts de se faire virer du NYPD. C'était un mec traumatisé mais intègre, et on sentait bien qu'il courait vers sa propre extinction. Ça me déplaisait pas, de parcourir Brooklyn avec lui, et de décortiquer le passé ravagé et honteux d'une police pourtant glorieuse. Pendant 500 pages, on s'est aimés, on a bu des coups ensemble, j'avais de grandes espérances.

Et puis, sans crier garde, Franck Parish m'a trahi. Il a tout foutu en l'air, comme ça, gratuitement. Il a fait absolument n'importe quoi, le genre de truc qui dans la vie te ferait crever les tripes à l'air, mais il n'est pas mort ; pire que ça, il a réglé ses problèmes d'alcool et d'oedipe, s'est racheté une conduite, a sauvé le monde, qui en guise de merci l'a envoyé se faire foutre ; et en réponse, il a dit qu'il était content, et tous ses amis réunis étaient contents aussi. Ainsi à la fin, tout le monde était content, et si l'humanité était une saloperie, elle était quand même drôlement chouette, finalement, et contente aussi. Même le bon Dieu s'en est mêlé, et les bons sentiments se sont mis à dégouliner le long de dernières pages irréelles, entreprise de démolition rarement vue à ce niveau.
Deuxième lecture d'Ellory, deuxième déception. Bien plus cruelle celle-ci. Il y en aura sans doute une troisième, mais je me demande si l'auteur n'est pas un peu surestimé et survendu...
On est quand même à des années lumière de James Ellroy ou James Lee Burke, mes maîtres-étalons en matière de polar et à qui il est régulièrement comparé.
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