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Critique de Woland


ISBN : 9782035868091

A Louis XIV, qui lui demandait quel était le plus grand auteur de son règne, Boileau répondit sans hésiter : "Molière, Sire." le Roi-Soleil, dit-on, parut surpris mais n'insista pas, estimant sans doute qu'à chacun sa partie et que Boileau s'y connaissait mieux que lui en cette matière. Mais si le monarque, lisant dans l'avenir le surnom qui resterait au siècle qu'il avait marqué de son éclat, lui avait demandé qui en était l'auteur "le plus Grand Siècle", nul doute que le célèbre critique et théoricien de la littérature ne lui eût répliqué : "Racine, Sire."

Car autant le génie de Molière demeure aisément accessible et naturel - même dans ses pièces les plus complexes, celles qui, finalement, sont plus des tragédies que des comédies, comme "L'Avare" pour ne citer que lui - s'il se révèle aussi efficace en prose qu'en vers et surtout s'il ne dédaigne ni l'ironie, ni le comique, celui de Racine s'avance sur scène avec toute la dignité, toute la majesté, toute la grandeur terrible de la Tragédie - et de la Tragédie seule car l'unique pièce comique de l'auteur, "Les Plaideurs", fut un véritable "four." Avec sa rectitude, son assurance tranquille et, on peut l'écrire, sa perfection achevée, l'univers racinien reprend avec panache le flambeau des meilleures tragédies antiques. Certains lui reprocheront un sérieux que ne trouble jamais l'ombre d'un sourire, une soumission systématique de la Passion aux lois si peu excitantes de la Raison et même une certaine rigidité des personnages, tant dans leurs vertus que dans leurs vices. Mais qu'importe : on lit deux vers de Racine et c'en est fini des a priori : l'enchantement se fait.

Représenté pour la première fois en 1667, "Andromaque" fut un véritable triomphe. Pourtant - et cela lui fut reproché - Racine y prend des libertés avec le mythe. "Andromaque", nul ne l'ignore, célèbre le rôle-titre comme le modèle des veuves et des mères héroïques. La veuve d'Hector, le chef troyen qui, ayant tué Patrocle en combat singulier, déchaîna contre lui l'ire du grand Achille, y est présentée acceptant d'épouser le vainqueur qui la retient captive - Pyrrhus-Neoptolème, fils justement d'Achille - afin de préserver la vie du seul enfant qu'elle a eu d'Hector : Astyanax. de son côté, en préférant Andromaque à Hermione, fille de Ménélas et de son épouse volage, Hélène, Pyrrhus inflige aux Grecs un affront tel que leur ambassadeur, Oreste - fils d'Agamemnon et de Clytemnestre, qui vient d'ailleurs, en accord avec sa soeur Electre, d'assassiner leur mère parce que celle-ci avait mis à profit une Guerre de Troie qui n'en finissait plus pour batifoler avec son beau-frère Egisthe - se voit contraint d'abattre le roi d'Epire. Si l'on ajoute à cela qu'Oreste est amoureux depuis toujours de sa cousine Hermione - leurs mères étaient demi-soeurs - on comprendra que cette exécution ne lui coûte guère. le piège racinien est en place car, comme de juste, à peine Oreste a-t-il tué Pyrrhus que Hermione se retourne contre lui et lui crache au visage qu'elle ne l'aime pas et qu'elle n'a jamais aimé que Pyrrhus. le malheureux Oreste sombre alors dans une crise de démence et son ami Pylade est obligé de l'emmener au plus vite afin d'éviter la vengeance du peuple d'Epire.

Mais à la vérité, Pyrrus avait jeté Astyanax du haut des remparts de Troie et c'est veuve, certes, mais sans enfant, qu'Andromaque était devenue sa captive, puis sa concubine. Elle lui donna d'ailleurs trois enfants dont l'un mourut très jeune, victime de la malédiction d'Apollon. On suppose donc que ce fut pour défendre les fils qu'elle avait eus de Pyrrhus qu'Andromaque se dressa contre Hermione. Astyanax, comme on le voit, n'a rien à voir en l'affaire. Andromaque devait même se marier une troisième fois avec Helenos, un jeune frère de son premier mari qui, comme elle, avait été emmené en captivité en Epire. Quant à la mort de Pyrrhus, si Racine choisit l'assassinat par Oreste, une deuxième version veut que Néoptolème ait été tué par les habitants de Delphes, après qu'il eût cherché à piller le temple de l'Oracle.

Evidemment, on comprend que la pensée racinienne ait à tous prix exigé la survie d'Astyanax : cela simplifiait pas mal l'intrigue et unifiait le thème, l'exemplarité d'une mère qui sacrifie la douleur d'avoir perdu un époux bien-aimé pour préserver la vie de l'enfant qu'il lui a laissé. Voilà qui, sans conteste, est racinien. Alors qu'une Andromaque entrant en conflit avec Hermione pour défendre les trois enfants qu'elle a eus de son remariage avec le meurtrier de son premier époux et de son fils, est nettement moins glorieux.

Or, qu'ils soient bons ou mauvais, les personnages de Racine, à l'image du Roi-Soleil, se doivent de sacrifier à la gloire plus qu'à n'importe quelle autre vertu.

Ces détails exposés, il faut admettre qu'"Andromaque" est une pièce somptueuse, à l'intrigue solide et somme toute très freudienne (surtout du côté d'Oreste le Matricide et de sa relation avec Hermione), avec des personnages forts et qui ne lésinent pas sur la puissance des coups portés. La fureur, les flammes et les innombrables frustrations dues à la Guerre de Troie sont encore bien présentes et le spectateur, pourvu qu'il ait un minimum de culture antique et qu'il ait lu Homère, ne peut manquer de percevoir leurs spectres. La tension atteint à son sommet - en tous cas à notre avis - dans la scène qui voit Oreste, rejeté par Hermione, sombrer dans la folie et halluciner sur les Erinyes (les Furies). Ici encore, Racine arrange les faits car, en bonne logique, les Furies poursuivent Oreste depuis qu'il a tué sa mère et il faudra que le Conseil d'Athènes l'absolve de ce crime pour qu'il soit enfin délivré. Ce n'est qu'après cette délivrance que, selon certaines versions grecques, il s'en serait pris à Néoptolème. Mais dans la pièce de Racine, c'est bien le meurtre de Pyrrhus qui déclenche les horribles visions d'Oreste.

Que dire d'autre ? Sinon : lisez "Andromaque" et même, faites-vous plaisir et lisez-le à haute voix. Rien que pour la beauté des vers : il est rare d'atteindre à une telle perfection. ;o)
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