Il s'agit de la première pièce de Racine représentée et publiée, en 1664. le poète avait déjà fait des tentatives auparavant : une première pièce qu'il a écrite, Amasie, a été refusée par le théâtre du Marais en 1660, et il s'est lancé par la suite dans la rédaction d'une pièce inspirée par la vie d'
Ovide, on en trouve des mentions dans des lettres de Racine, dès 1661. C'est que le théâtre était au XVIIe siècle le meilleur moyen de se faire connaître pour un poète, et aussi de gagner de l'argent. A condition bien sûr, que la pièce eut suffisamment de succès. Et Racine a besoin d'argent : il n'a pas comme
Corneille, de charge lui apportant de revenus réguliers, ni de biens, ses parents étant morts alors qu'il était enfant. Même s'il peut bénéficier du soutien de certains membres de sa famille, comme son cousin Vitart, qui lui permet d'être logé à Paris chez le duc de Luynes et lui procure une fonction de commis, il s'endette pour faire éditer ses poésies. En 1663, une ode écrite pour la guérison du Roi (qui souffrait d'une rougeole) lui permet d'être inscrit sur la liste de gratifications royales (il recevra une pension annuelle) mais les pensions sont payées en retard, et le montant de la sienne, est loin de celles versées à des auteurs plus célèbres comme
Corneille.
La première pièce de Racine, La Thébaïde est donc créée le 20 juin 1664 par la troupe de
Molière. En principe, les
tragédies étaient plutôt créées pendant l'hiver, et les comédies en été. Mais
Molière s'est vu interdire les représentations de Tartuffe, et il n'a donc pas de pièce nouvelle à donner aux spectateurs. Il lance donc la pièce du jeune auteur qu'était Racine pour relancer la fréquentation de son théâtre. Ce n'est pas vraiment un succès : les registres du théâtre montrent une fréquentation très modeste. Il y aura 14 représentations cette année, plus des représentations privées, en particulier devant le roi.
Molière reprendra la pièce l'année suivante, et en donnera aussi quelques représentations en province. La publication en librairie, sans être passée complètement inaperçue, n'a pas vraiment mis Racine en vedette. Mais il s'agit d'un début qui rendra plus aisé à l'auteur de faire accepter la pièce suivante.
La pièce prend comme sujet les fils d'
Oedipe, et le combat meurtrier où ils laisseront tous les deux la vie. le mythe d'
Oedipe avec toutes ses ramification était régulièrement utilisé, la pièce de
CorneilleOedipe lui a grandement permis d'asseoir sa notoriété et lui a valu le surnom de «
Sophocle du XVIIe » siècle. Une pièce de Rotrou,
Antigone a eu aussi son heure de gloire. Racine s'attaque donc à une thématique qui a déjà, d'une façon ou d'une autre, été traitée par les deux plus importants auteurs de la première moitié du XVIIe siècle.
C'est de la pièce de Rotrou que la Thébaïde est la plus proche, même si Rotrou s'intéresse surtout à
Antigone, le combat meurtrier entre ses frères en est en quelque sorte le prologue, qui explique la situation d'
Antigone. Rotrou a en fait condensé
Les Phéniciennes d'
Euripide et
Antigone de
Sophocle en une seule pièce. Mais l'évolution du théâtre du XVIIe siècle va dans le sens d'une simplification de l'action dramatique.
Horace de
Corneille en 1640 a été une étape importante de cette évolution : son auteur a conclu que le succès mitigé de la pièce était dû à une « duplicité » de l'action (une sorte de dédoublement de l'action), et par la suite a décidé de concentrer ses pièces autour d'un seul enjeu dramatique. Dans la préface à la Thébaïde, d'une édition de ses oeuvres qui date de 1675, Racine se positionne par rapport à Rotrou, en indiquant qu'il avait évité «la duplicité d'action » et suivi la pièce d'
Euripide uniquement. Qui par ailleurs était son auteur grec de prédilection ; il faut noter, que Racine maîtrisait parfaitement le grec ancien, ce qui n'était pas forcément si répandu à son époque, même parmi les lettrés.
La pièce est donc très simple dans son déroulé. Nous sommes à Thèbes, l'armée grecque est sous ses murs amenée par Polynice, qui veut régner dans sa vie natale,
Oedipe, ayant décidé que chacun de ses fils va exercer la charge royale une année, en alternance. Mais Etéocle, son frère, qui a pris la couronne en premier ne veut plus la céder à son frère, malgré sa promesse. Créon, l'oncle, pousse les deux frères à la haine, il aime secrètement
Antigone, bien qu'elle soit fiancée à son fils, Hémon.
Dans le premier acte, Jocaste et
Antigone, après les alarmes causées par des combats sous les murs, essaient d'oeuvrer pour la paix, Etéocle accepte la venue de Polynice dans la ville, pour pouvoir échanger avec les femmes. Dans le deuxième acte, après un échange amoureux entre Hémon, qui a suivi Polynice, et
Antigone, Jocaste essaie de convaincre Polynice de cesser les combats. La scène est interrompue, car malgré la trêve, les soldats des deux camps en sont venus aux mains. Dans le troisième acte, Jocaste essaie de convaincre Etéocle d'être plus accommodant, sans succès, mais il accepte de voir son frère pour discuter avec lui. Créon révèle à son confident son ambition de prendre la couronne après la mort des deux frères, et d'épouser
Antigone. le quatrième acte est centré autour de l'échange entre les frères ennemis, qui finissent par convenir d'un combat entre eux deux pour décider du destin de la guerre et du trône. le cinquième acte est consacré au récit du combat fratricide, et au suicide d'à peu près tous les personnages restants.
L'auteur dans sa préface de 1675 demande de l'indulgence au lecteur pour sa pièce, car dit-il « j'étais fort jeune quand je la fis ». On comprend cette demande à la lecture de la pièce : elle ne serait sans doute plus éditée de nos jours si elle n'avait pas été de la main de Racine. L'auteur a produit une oeuvre appliquée, mais assez scolaire, il suit bien les recettes pour composer une
tragédie selon les règles de l'époque, sans réelle originalité ni véritable inspiration. Même les vers sont assez ternes, passe partout. C'est une curiosité, cela montre le point de départ de l'auteur, mais il faudra attendre un peu pour qu'il trouve vraiment sa voie, et qu'il produise les chef d'oeuvres qui ont traversé les siècles.