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EAN : 9782818013441
320 pages
P.O.L. (11/03/2011)
3.51/5   84 notes
Résumé :

Un prince est debout, insouciant, tenant une coupe à la main. Derrière lui, sur un lit, gît un corps poignardé. Deux musiciens, dans un coin de la pièce, jouent du luth et de la guimbarde. À l'extérieur, derrière la porte, deux soldats montent la garde ; l'un est armé d'une grande épée et d'un écu, l'autre d'un filet de rétiaire et d'une lance gigantesque. Ils sont tous calmes, sereins, sauf... >Voir plus
Que lire après Maudit soit DostoeïsvskiVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (26) Voir plus Ajouter une critique
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Il faut bien le confesser, je n'ai rien compris à ce roman. Pourtant, j'ai bien aimé. Enfin, je crois.

Nous sommes à Kaboul. Sous les bombes. Avec Rassoul qui, dès l'incipit, tient une hache au-dessus d'une vieille et menace de l'assassiner tout en même temps que cette situation lui rappelle immanquablement Crime et châtiment.
C'est que Rassoul parle le russe grâce à son communiste de père qui l'a envoyé quelques années faire ses études en URSS. Il en est revenu alors que l'Armée rouge avait quitté l'Afghanistan, avant l'arrivée des moudjahidin au pouvoir. Donc il parle russe et il aime Dostoïevski. Ou au moins Dostoïevski le hante. Dans sa chambre misérable dont il n'a pas payé le loyer depuis belle lurette, il a entreposé des dizaines de livres en russe. C'est jouer avec le feu en ces temps de fanatisme obscur et de délation fréquente.

A son retour, Rassoul a trouvé un travail à la bibliothèque et y a rencontré la silhouette de Souphia dont il est tombé amoureux. Je crois qu'il l'a retrouvée ensuite. Qu'elle l'aime aussi. Peut-être est-ce elle sous le tchadari bleu, cette femme étrange qui peuple les songes érotiques de Rassoul mais aussi ses visions diurnes. A moins que ce ne soient des hallucinations ?

Bref, il semblerait que, comme Raskolnikov, Rassoul a assassiné sauvagement une vieille carne. Pour de l'argent et des bijoux qu'il ne prend pas. Mais qui auront disparu. Pour sauver sa belle que la vieille prostituait. Ou pas.

Le récit est raconté par un narrateur omniscient capable d'admonester son personnage, de l'inviter à bouger, à quitter la scène du crime. A se gausser de sa stupidité à vouloir y revenir. On pourrait croire que ça aidera à démêler les fils de la narration, cette voix qui sait. Pas du tout. Elle accompagne le récit mais ne détermine pas ce qui ressort du rêve, du cauchemar ou de la réalité. Comme Rassoul va perdre la voix rendant la communication avec ses amis, cousin, famille à sens unique, se remettre au hashish, ça ne va pas rendre la narration beaucoup plus intelligible. Et puis les bombes et les morts pleuvent. A distance de Rassoul traqué par ses dialogues intérieurs, ses doutes, sa colère et son impuissance.

« C'est absurde » lit-on très vite. Complètement. Ce meurtre possible, c'est la folie même pas sournoise, débridée et radicale d'un geste qui aurait pu être philosophique, procéder d'une libre volonté mais dont l'effectivité n'est même pas assurée. C'aurait pu être aussi l'émancipation d'une macrelle, la mise à l'abri des siens sur le plan pécunier. C'aurait pu être le défi d'un assassin à la société sommée de le condamner. Dans la fumée des bombes et du chillum, dans la déshérence d'un homme qui ne pleure même pas son père, alors que les moudjahidin font régner terreur et intégrisme, que peut être ce geste ?

Bringuebalé ça et là, le lecteur n'en est pas moins enveloppé par des phrases au ton familier, des traits d'humour ou de dérision rendant légers, anodins les événements sinistres qui sont racontés. La tendresse un peu exaspérée avec laquelle est traité Rassoul le rend encore plus sympathique. Mais instaure une inconfortable distance entre ce que l'on aimerait penser de la situation (mon Dieu, quelle horreur, mais comment supporter tant de peines ?) et ce que cette voix induit (comme tout ceci est anodin, rocambolesque, combien vaines et pathétiques sont les interrogations de Rassoul toujours à côté de la plaque). Pas plus que lui, le narrateur n'arrive à trouver de l'importance ou du crédit à ce qu'il a fait. Et pourtant, il s'agit de crime. Il s'agit de vie et de mort.

Là où certains romanciers en auraient fait des caisses, théorisant sur l'analogie avec le crime de Raskolnikov, sur le sens qu'il faut donner à ce chaos, Atik Rahimi nous met les deux pieds dedans et ne nous laisse rien éprouver d'autre que le vertige d'un doute omniprésent. Déstabilisé, incapable de se raccrocher à un illustre précédent littéraire, cherchant pourtant, dans les traditions afghanes, les arts, la littérature russe, cherchant partout des repères, on ne trouve rien sinon une narration construisant magnifiquement des personnages, des situations où tout se dérobe. Et dont on peut rire peut-être. Puisque tout est tellement tragiquement absurde. J'ai rien compris mais j'ai beaucoup aimé.
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Maudit soit Dostoïevski ! L'Idiot, beaucoup trop long. Et puis cette saga interminable sur la culpabilité. Je n'aime pas le mythe des surhommes, je vomis ces grands sanguinaires qu'ils s'appellent Mao, Staline, Hitler, Franco, Napoléon, Attila, César, Alexandre, Ramses II et la liste est longue dont il faudrait rétablir dans les livres d'histoire leur quota de morts, de viols, d'exactions en tout genre nécessaires à une seule chose : satisfaire leur ego surdimensionné. Je les maudits et plutôt que les encenser c'est cracher sur la tombe de ces plus grands criminels de l'Histoire qui serait honorable, ou mieux l'oubli définitif. Ah comme j'aurais maudit Raskolnikov, si jamais j'avais lu Dostoïevski. Mais je ne l'ai pas lu, rien : ce n'est pas un crime, il n'y aura pas châtiment !

Donc ici, cet anti-héro, je pourrais taire son nom afin de respecter son status, devait avoir tout pour me plaire dans un livre miroir dont j'ignore tout de la matière à refléter. Qu'à cela ne tienne j'aime assez ces jeux intellectuels et puis le répéterais-je assez : un livre doit pouvoir s'apprécier dans l'absolu ! Il serait somme toute logique de tresser un parallèle entre les deux ouvrages comme semble à première vue nous y inviter Atiq Rahimi. Cependant pour les motifs déjà invoqués j'ai laissé tomber Crime et châtiment et me suis concentré sur ce récit tortueux dans un Kaboul désenchanté jusqu'à la torture ainsi que sur les trop nombreuses citations de cet autre livre que d'aucuns, ne l'ayant jamais lu dans son entièreté pour la plupart, réfèrent comme 'Le Livre'. Je ferai juste remarquer que d'autres aussi bornés en réfèrent d'autres, jusqu'à ce petit et rouge, pour le même accessit. Ne comptez pas sur moi pour une révélation quelconque, une critique, un classement sur ces livres présentés chacun par leurs fans comme 'Le Seul Valable et Digne', pas tant d'être lu, pire, d'être enseigné.

Rassoûl car ainsi se nomme-t-il passe sa vie dans les fumeries d'opium et ensuite à se troncher la gueule. Au passage il tue plus par maladresse que par volonté, car de cela il semble dépourvu, une vieille maquerelle qui prostitue sa petite amie d'enfance à qui il n'a jamais déclaré son amour. Ensuite, après beaucoup de tergiversations, de lâchetés et d'errance, ce jeune Idiot...
Il y a pourtant bien crime dans ce récit d'Atiq Rahimi, un crime bien plus infâme que d'écourter de quelques semaines la vie d'une misérable. Ce crime n'est pas celui de Rassoûl mais perpétré, ou du moins excusé et par la même perpétué, par l'auteur, un crime contre la Vie : la désespérance ! Voilà ce que je ressens comme déjà cette désespérance m'avait gâché Singué Sabour par de trop longs passages et sans cesse ressassée.

De plus faire porter aux Russes l'écroulement de l'Afghanistan, bien que je sois loin de connaître l'histoire mouvementée de cette région me semble une fuite devant un désastre créé en premier lieu par des luttes intestines et le désir de vengeance de bergers bornés. C'est une faute grave mais courante de croire que la liberté est régie par des ennemis extérieurs, alors que seuls des démons intérieurs devant lesquels on s'efface petit à petit, au fil de nos pauvres lâchetés et médiocres renoncements peuvent arriver à une destruction aussi profonde d'une civilisation. le récit est ambigu, la dénonciation pas assez franche, dès lors toutes les interprétations sont possibles, comme dans cette mascarade de procès à coup de citations hors contexte tirées 'Du Livre'. Interprétations des plus confuses qui se veulent chacune force de loi au gré des intervenants. Arbitraire !

Alors je me réfère à ce sage dont j'ai oublié le nom, non pas que je ne puisse le prononcer par le diktat d'une quelconque croyance, mais bien que je l'ai oublié au point de me demander s'il a jamais existé, le plus important étant que j'ai retenu 'Sa Parole' :
" Ah là là,
quand Allah lit,
c'est l'hallali."

Cependant terminer ainsi serait réducteur, et pis pourrait donner à croire que je glisse dans le fatalisme et la désespérance. Il me faut absolument pointer ce passage clé, même s'il n'apparaît brièvement qu'à une dizaine de page de la fin du récit, sinon vous risquez fort de ne pas y accorder toute son importance p. 261 "Dans sa cellule, tout est obscur. Une mouche s'est posée sur sa main. Il souffle ; elle s'agite, s'envole. [...] Regarde-la, regarde avec quelle légèreté elle vit son monde." C'est un bien grand pari que ferait l'auteur de croire que les lecteurs vont l'interpréter en y ajoutant... libre des oripeaux d'une quelconque religion ou des affres de toute autre doctrine totalitaire. Aussi j'envoie Rahimi rejoindre Dostoïevski. Car s'il est des livres dont l'on peut facilement se passer, il en est par contre de bien plus dangereux qui méritent d'être clairement dénoncés, ils sont pourtant faciles à détecter : ce sont ceux dont la somme des exégèses, annotations, interprétations, rééditions commentées, extraits et citations dépasse de loin l'oeuvre intégrale originale, souvent une sorte de conte onirique sur des fondements plus ou moins historiques largement remaniés, toujours détournés ces Livres, soit disant bienfaisants, ont en commun d'être inéluctablement utilisés ensuite par une petite caste comme instrument de pouvoir et moyen d'asservissement.

Voulant terminer sur une note optimiste et me détachant un peu du roman je suis heureux d'apprendre qu'après que les Talibans aient procédé à des assassinats massifs des musiciens avec la volonté de les éradiquer, au nom de quoi, au nom de Qui ? Une petite note d'espoir voit le jour à Kaboul avec les nouvelles écoles de musique qui y fleurissent. Et aussi paraît-il pour la première fois quelques écoles où les filles peuvent apprendre à lire. Espérons juste que ce ne soit pas pour mieux les enfermer dans les sourates.
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Le jeune Rassoul fracasse d'un coup de hache le crâne de nana Alia, vieille usurière qui contraint Souphia la bien-aimée à se prostituer. Son geste à peine accompli, Raskolnikov, le personnage de Crime et Châtiment, surgit à l'esprit du garçon. Dostoïevski avait en effet conduit son anti-héros au même acte ignoble, avec la bonne raison d'agir pour le bien, convaincu de transgresser à bon escient les limites morales. Il ne sera racheté que par l'aveu de son meurtre et la condamnation. Rassoul, son forfait commis, est rattrapé par le destin littéraire de Raskolnikov:
"…avant de commettre ce crime, au moment où il le préméditait, n'y avait-il jamais songé ? [...] Ou peut-être cette histoire, enfouie au tréfonds de lui, l'a-t-elle incité au meurtre." Il vit alors une douloureuse épreuve: tiraillé par la culpabilité, qu'en est-il pour lui de la vie si dans ce pays le rachat n'est pas possible ?

L'histoire se déroule en Afghanistan, après l'occupation russe, alors que la région, violemment anti-communiste, est plongée dans d'âpres luttes civiles et connaît un effondrement des valeurs. La loi est soumise à l'influence de la charia et les talibans restreignent autant le sentiment de liberté que durant l'occupation soviétique. Un meurtre est peu de choses en regard du crime de lire un auteur russe, stupidement assimilé au communisme. Tuer n'est rien, ne pas trahir est plus important, ne pas trahir Allah, son clan, sa famille, son clan, sa patrie, son ami... Quand Rassoul soucieux de se racheter décide de se livrer, il est dépossédé de son crime: quelle importance l'élimination d'une maquerelle sans scrupules aux yeux de la justice afghane ? Son père communiste et les livres russes constituent un meilleur motif de condamnation et Rassoul se voit accusé pour des motifs étrangers à son forfait. Connaîtra-t-il seulement la consolation de Raskolnikov: s'endormir en geôle, une bible sous l'oreiller ? Pas certain dans cet Afghanistan où même Allah est instrumentalisé. Et le suicide n'a pas de sens dans un pays où la vie semble ne plus avoir d'importance.

Dans un Kaboul ravagé par les explosions et la poussière où courent effrayés les tchadors bleu ciel, entre maisons de thé et fumeries de narguilé, le roman révèle un climat hostile et pesant, où le désespoir gagne aussi les combattants. Et où l'amour même se meurt.

Rahimi intègre dans le récit plusieurs extraits traduits de poèmes et de légendes afghanes qui traduisent une sensibilité particulière à l'Asie centrale. On regrette cependant que ni l'auteur ni les éditeurs (P.O.L, Gallimard) n'aient proposé une explication des nombreux mots persans[1]: quelques notes de bas de page auraient aidé le lecteur curieux. Faut-il tant sacrifier la compréhension à la couleur d'origine ? L'auteur s'explique bien sur son écriture et le rapport avec la langue persane dans cette vidéo:
http://www.youtube.com/watch?v=c¤££¤41De Dostoïevski38¤££¤
"Dans ma langue maternelle, je suis un auteur, en français je suis un écrivain.... L'écrivain cherche les mots, l'auteur est cherché par les mots."

Au-delà de l'intérêt considérable, mais finalement assez attendu, que constitue la situation humaine et sociale dans la région afghane, l'originalité du roman tient dans le pont que Rahimi jette entre l'orient et l'occident avec la convocation du roman de Dostoïevski. D'une lecture aisée, d'une plume adéquate et sans fioritures, il y manque sans doute l'escarbille littéraire qui en ferait un livre étonnant. Pour ma part, ce livre fait regretter la Pierre de Patience du Goncourt 2008[2], sans doute plus romanesque. On sait que Atiq Rahimi, écrivain afghan vivant en France, a perdu un frère là-bas: on songe évidemment à ce frère assassiné en découvrant l'histoire tragique de Rassoul.

Rahimi définit ainsi sa croyance religieuse: Je suis bouddhiste parce que j'ai conscience de ma faiblesse, je suis chrétien parce que j'avoue ma faiblesse, je suis juif parce que je me moque de ma faiblesse, je suis musulman parce que je condamne ma faiblesse, je suis athée si Dieu est tout puissant.[3]

[1] Exemple: chaykhâna (maison de thé), sâqikhâna (fumerie), fiqh (loi),...

[2] À titre d'anecdote, ce prix avait fait écrire à La Tribune de Genève (11 nov 2008) que « le Goncourt avait donné pour le tiers-monde ».

[3] Source Wikipédia


Lien : http://www.christianwery.be/..
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J'ai déjà écrit, dans une autre note, au sujet de la capacité merveilleuse qu'a Rahimi d'opérer des synthèses – ponts, courts-circuits, jeux de miroirs – entre Orient et Occident. Dans ce roman, le plus long, complexe, abouti et proprement « romanesque » que j'ai lu à ce jour, l'auteur s'attelle à une transposition de Crime et châtiment de Dostoïevski dans l'Afghanistan de l'époque où, après la déroute soviétique, les talibans sont en passe de prendre le pouvoir et la guerre fait encore rage entre les factions et les tribus. La transposition est consciente dans l'esprit du protagoniste Rassoul, alias Raskolikov, dès l'instant où son arme s'abat sur la vieille femme ; et ce n'est pas un hasard : ce jeune homme, fils d'un communiste, a fait ses études en Union soviétique, s'est imbu de littérature russe. Son drame, c'est sans doute l'impossibilité d'être mû par les mêmes motifs, d'éprouver les mêmes remords, d'être jugé et condamné par la même morale que le Russe et surtout de servir d'objet sacrificiel à l'instar du personnage dostoïevskien. Plongé dans une société en guerre, dans le chaos, en manque de repères, se trouvant lui-même en état de « confusion éthique », submergé par les vapeurs narcotiques de la fumerie qui lui sert de refuge et quasiment de seul lieu de sociabilité, ses sentiments de culpabilité fluctuent autour de raisons diverses sans ancrage possible à des valeurs sûres : culpabilité à l'égard de son père décédé, incapacité d'assumer son rôle de protecteur de sa famille, de protéger sa fiancée, de se prendre en charge économiquement et socialement (dans la lutte armée). de plus, dans cette même société où être un assassin n'est plus un crime, en tout cas bien moindre que d'avoir eu un communiste pour père, voire que de posséder des livres en russe, ne s'est-il pas comporté en héros, en défenseur de son honneur, contrairement à ce qu'il pense ? Servirait-il en fin de compte involontairement de cette même conscience collective que, de façon erronée, par l'expiation, il a aspiré volontairement à incarner ? Ou bien son acte, entouré de multiples mystères, est-il en somme condamné à l'insignifiance parmi les tirs de roquettes, les règlements de comptes généralisés, le remplacement en cours du droit et de l'autorité ? le mutisme prolongé (et répété) du héros, doublé quelquefois d'une complète surdité au monde qui l'entoure n'est-il qu'emblème d'une incommunicabilité fondamentale qui ne peut se dénouer, dans la conclusion, que par un drame encore plus grand, lorsque Rassoul est enfin compris ?
Ce dernier questionnement, insensiblement, nous conduit à la position inverse de la proposition initiale. Car si jusque-là j'ai souligné un aspect de la synthèse Orient-Occident du roman, c-à-d tout ce qui, dans la transposition du roman de Dostoïevski ailleurs, a pu l'en différencier, l'en éloigner, le contextualiser, voici surgir l'aspect inverse et complémentaire : nous sommes revenus sur ce que le questionnement dostoïevskien a de plus universel, de plus intemporel : l'hypertrophie maladive des sentiments de culpabilité ne rend pas l'individu meilleur, elle le scinde du monde, le rend incapable de communiquer ni de faire le bien – tous les personnages secondaires sont pourtant là pour essayer de « réveiller » Rassoul – littéralement : le Messager –, de le reconduire au « droit chemin » – donc, en somme, la culpabilité rend un homme inutile et méchant. « Je suis un homme malade, je suis un homme méchant » : rappelons l'incipit du chef-d'oeuvre de Dostoïevski, Les Carnets du sous-sol...

À noter : lorsqu'on s'occupe de littérature migrante, l'on prête une attention spécifique à la question de savoir quelle part de l'oeuvre d'un auteur est (éventuellement) traduite ou auto-traduite – les trois premiers livres de Rahimi – et si, depuis qu'elle est rédigé directement dans la langue de l'immigration – dans son cas, depuis Syngué sabour – une évolution linguistique est décelable. Ce roman, qui suit celui-là de trois ans (2008-2011), il me semble légitime de supposer qu'il a été « conçu » en français : les heurts par « effets de prose venue d'ailleurs » - semblables aux « effets de traduction » lorsque la traduction est bonne -, sont en effets moindres que dans le roman précédent. J'ai failli en être presque déçu, ne serait-ce pour tout ce qui, dans cette oeuvre-ci m'a donné du plaisir.
À noter aussi que le texte de la quatrième de couverture me paraît extrêmement éloignée du roman : je peux très bien concevoir que, après lecture de celui-là l'auteur ait eu cette inspiration qui pourrait se transformer en nouvelle – voire même en un autre roman – dont Maudit soit Dostoïevski aurait été « l'inducteur ». Néanmoins je suis étonné de voir cette quatrième de couverture citée dans certaines critiques de ce livre.
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Atiq Rahimi est un homme d'origine Afghane, il a vécu l'emprise soviétique dans son pays et puis la montée islamique avec les moudjahidines, il s'exile en France en 1984 après avoir obtenu l'asile politique. IL est auteur et cinéaste, ses trois premiers romans sont de langues persanes, son quatrième est directement écrit en Français, Syngué sabour. Pierre de patience, édité en 2008, récompensé par le prix Goncourt, Maudit soit Dostoïevski est publié en 2011, le titre déjà attire ma curiosité, étant un lecteur de cet écrivain Russe, puis l'intrigue dans un Kaboul en pleine guerre, miné par des attentats de toute part où un jeune homme se trouve en prise avec sa conscience et celle du roman Crimes et châtiments.
Je me souviens de la lecture de Crimes et châtiments, roman de Dostoïevski, ma première lecture de ce génie Russe, j'en fus bouleversé, par cette force littéraire puissante, une tempête intellectuelle toute entière chavira mon âme et me poussa à découvrir cet homme torturé et ses proses. Atiq Rahimi en choisissant de transposer le roman éponyme de Dostoïevski, Crimes et châtiments dans son pays en crise meurtrière et politique, dans ce Kaboul gangrénée par la violence de vengeance et de haine, une ville de cendre, de fumée, de sang et de pierres, oeuvre une péripétie dangereuse et périlleuse, jonglant de ses mots tel un équilibriste, pour un roman juste et émouvant , laissant le tableau de son pays l'Afghanistan comme décor, devenant au file de l'histoire un acteur principale, c'est comme le dit le quatrième de couverture, c'est le récit d'un meurtre et de ces conséquences.
Le début du roman est le coeur même de l'intrigue, le meurtre de la vieille femme et de l'action involontaire du roman de Dostoïevski sur l'auteur de cet acte sanglant, une longue discussion va se poursuivre tout le long du roman entre le meurtrier Rassoul et Raskolnikov, surtout entre Dostoïevski avec son roman Crimes et châtiments et ce jeune Afghan perdu dans les méandres d'un pays en ruine. Lorsqu'il écrase sa hache contre le crâne de cette macrelle, usurière, son geste s'arrête, sa hache lui échappe et il maudit toute suite Dostoïevski et son roman Crime et châtiments, il laisse cette femme en sang, avec le butin qu'elle emprisonne dans sa main et aussi le coffre remplit de bijou, il devient victime de son crime. Fuyant la scène de crime, il revient par remord d'avoir laissé l'argent et découvre une femme en tchadari bleue ciel, c'est comme un cauchemar pour Rassoul, un témoin et l'argent dérobé, s'ensuit une course poursuite incroyable dans les rues de Kaboul, et avec la folie de notre Rassoul, en proie à un délirium certain et une perte de voix, il devient aphone, muet aux autres, seul sa voix interne est entendue par le lecture comme une schizophrénie virtuel s'installant dans le crâne de Rassoul, c'est comme un écho à Raskolnikov, l'un fait taire l'autre, Rassoul chavire dans un monde de culpabilité et de songe éveillé, même ses rêves semblent être des récits vécus, Atiq Rahimi aspire le lecteur dans une spirale obsédante, la folie de Rassoul et ses rêveries de haschischin, il va et vient dans ce fumoir où les histoires emportent la réalité vers des abimes religieuses coraniques et des histoires réelles intimes symboliques.
Rassoul sombre dans un mutisme l'isolant des autres, de son cousin Razmodin, étant proche depuis leur enfance, mais Rassoul se sent étouffé, il n'entend que les reproches, Rassoul semble soupçonneux de tous, de son amoureuse aussi, la belle Souphia, orpheline de son père tué, vivant avec sa mére et son petit frère Daoud chassant les pigeons, Rassoul devrait s'occuper de cette famille, mais ce meurtre l'isole de tout le monde, il est obsédé par ce crime sans cadavre, de cette femme en tchadari bleu ciel, la voyant partout, même dans ses rêves dans les rues de St Pétersbourg, comme Raskolnikov et ses errances. Rassoul semble appartenir à ce monde trouble, celui de ses cauchemars, comme si son crime en faisait partie.
« le cauchemar, il le vit. La grâce, il en rêve. C'est pourquoi, sans doute, il a envie d'ouvrir les yeux, de quitter son lit, de saluer le soleil noir, de sentir le souffre de la guerre, de chercher sa voix disparue, de penser à son crime… »
Kaboul cristallise le malheur de ce pays, la mort rode à chaque coin de rues, le crime s'incruste dans le coeur de cette ville, devenant un cimetière, c'est une guerre de vengeance, elle n'a pas de fin, le crime se justifie par la religion, la charia est justice, le Coran en devient la loi…
« Toujours nous nous servirons de Lui (Allah), ou de l'histoire, ou de la conscience, ou des idéologies…pour justifier nos crimes, nos trahisons…Rares sont ceux qui, comme toi, ont commis un crime, puis en ont du remords. »
Rassoul est ce spectre sans parole, muet, ombre de lui-même, se réfugiant dans les fumoirs, goutant le paradis artificiel, se perdant dans les vapeurs du Hachisch, lorsqu'il trouve sa voix, il s'accuse toute suite et vient se livrer à la justice, mais Rassoul est seul, personne ne l'écoute comme si sa voix était sourde, ses mots sont un écho inextricable pour le greffier, pour le Qhâzi, pour Parwaiz aussi, l'un pense que son âme est prisonnière de son corps et de cette ville, l'autre c'est juste une histoire de qisâs, il doit trouver la famille de la victime, pour payer le prix du sang, mais son père est communiste, la justice ne juge pas l'individu en soi mais l'héritage de ses parents, et pour le commandant Parwaiz c'est la vengeance qui anime Rassoul.
Atiq Rahimi d'une langue qui n'est pas la sienne, emporte le lecteur dans la névrose de Rassoul, avec des phrases courtes, des dialogues brefs, des monologues schizophréniques, des songes qui s'entremêlent avec la réalité, les écrits de Rassoul et de la poésie lorsque les histoires naissent du coeur des hommes. La fable moderne respire ce roman avec certaine légèreté, même si la mort rode partout comme une fatalité vengeresse, cette passion dévorante consumant les coeurs de ces hommes et de ces femmes aspirés par la fatalité d'un pays sans loi, sans justice et au nom de ce crime Rassoul veut un procès pour changer son pays, et mourir pour ce crime commis.
« Mon procès servira à faire celui de tous les criminels de guerre : les communismes, les seigneurs de guerre, les mercenaires… »
Il veut briser la spirale infernale, celui d'un ouvrage raté, recommencer afin d'oublier. Pour Rassoul le crime entraine le crime, il faut le sacrifice du deuil, Atiq Rahimi cite Gandhi dans les paroles de Rassoul avec cet adage.
« Oeil pour oeil, et le monde finira aveugle. »
Chaque dialogue pousse les interlocuteurs à puiser au fond d'eux pour convaincre l'autre, Rassoul aura trop longtemps perdu la voix pour crier ses remords, son amour pour Souphia, son hymne de paix pour son pays, mais le roman s'attache à des personnages secondaires invisibles, comme la mére et sa soeur de Rassoul qu'il ne voit pas, juste des nouvelles par son cousin Razmodin et l'annonce de la mort de son père par le courrier de mére. Mais d'autres personnages se greffent autour de Rassoul, comme ses compagnons de fumerie, Mostapha, Jano, Kâka Sarwar et sa bande, leur causerie philosophique teintée de lyrisme, comme l'histoire des Yâdjûdj et Mâdjûdj, celle de la vallée des Mots perdus, Rassoul se remémore aussi des anecdotes comme celle de l'âne et de son regard cherchant la mort, même le commandant Parwaiz narre sa petite histoire avec sa métaphore de l'obus, source de vie.
Atiq Rahimi nous offre un récit puissant, rendant hommage à Dostoïevski avec son roman Crime et châtiments en toile de fond d'un Afghanistan en guerre.
« Parce qu'elle n'a pas de conscience. Elle n'a pas de conscience parce qu'elle n'en a pas besoin. Elle vit sa légèreté, sa mort…tout simplement. » La mouche
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critiques presse (1)
LaPresse
14 juin 2011
À coup de paraboles, en suivant les méandres brumeux de la pensée de Rassoul/Raskolnikov, c'est toute la complexité et la fatalité d'un monde que nous donne à voir Atiq Rahimi.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
- Je me sens perdu....j'ai l'impression que je me suis perdu dans la nuit d'un désert où il n'y a qu'un seul repère: un arbre mort. Où que j'aille, je me vois sans cesse revenir au même endroit, au pied de cet arbre. Je suis las de refaire ce chemin interminable, minablement.

- Jeune homme, j'avais un frère. Il jouait la scène du théâtre de Kaboul, il était toujours joyeux.....il m'a appris une chose importante: prendre la vie comme une représentation sur scène...

- Mais je suis fatigué du rôle que je dois jouer. je veux en avoir un autre.

- Changer de rôle ne change rien à ta vie. Tu restes toujours sur la même scène, dans la même pièce, pour une même histoire. Imagine que le procès soit une scène ..à chaque représentation tu dois jouer un personnage différent: d'abord l'accusé, puis le témoin, ensuite le juge...Au fond il n'y a pas de différence...Tu connais tout. Tu...

- Mais quand on joue le rôle du juge, on peut changer le cours d'un procès.

- Non, tu es condamné à respecter les règles du jeu, tu répéteras les mêmes phrases qu'un autre juge a répétées avant toi...

- alors il faut changer la pièce, la scène, le récit....

- Tu seras viré!.. "NOUS SOMMES DES MARIONNETTES, ET LE CIEL, LE MARIONNETTISTE...NOUS JOUONS ET REJOUONS SUR LA SCÈNE D'EXISTENCE, PUIS NOUS RETOMBONS, UN A UN, DANS LA BOITE DU NÉANT".

Pages 211 --> 213.

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"Aujourd'hui, les mêmes qui prient ici dans la journée organisent le soir des cérémonies qu'ils appellent la danse des morts, tu sais ce que c'est la danse des morts ?"[...]
"Non tu ne sais pas. Je vais te le dire : on coupe la tête de quelqu'un et on asperge la plaie d'huile brûlante. Le pauvre corps sans tête s'agite, sautille. On appelle ça la danse des morts. Tu en avais entendu parler ? Non, tu ne savais pas !"
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Tu sais que si le péché existe , comme on dit , c'est parce que Dieu existe.
Oui , mais , aujourd'hui , j'ai l'impression que c'est l'inverse. Qu'Allah me pardonne! Si Il existe , ce n'est pas pour empêcher les péchés , mais pour les justifier.
Eh oui , hélas. Toujours nous nous servons de Lui , ou de l'Histoire , ou de la conscience , ou des idéologies ... pour justifier nos crimes , nos trahisons ,.. rares sont ceux qui , comme toi , ont commis un crime , puis en ont du remords.
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- Qu'est ce que vous lui voulez à ce monsieur le procureur ?
- Je suis venu me livrer à la justice.
- Ah désolé, il n'y a personne pour vous accueillir.
Etonné mais aussi énervé, Rassoul s'approche de lui et tente de parler sereinement, avec sa voix cassée : "Je ne suis pas venu pour être accueilli. Je suis venu.... " hausse la voix en articulant chaque mot " ....POUR ME RENDRE A LA JUSTICE !
- J'ai bien compris. Moi aussi je me rends tous les matins à la justice. Et ce jeune homme aussi.
- Mais moi, je viens pour être arrêté. Je suis un criminel.
- Alors revenez demain. Il n'y a personne aujourd'hui. " p198
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C'était un jour de printemps. L'Armée rouge avait déjà quitté l'Afghanistan, et les moudjahidin ne s'étaient pas encore emparés du pouvoir. Je venais de rentrer de Leningrad. Pourquoi j'y étais parti, c'est une autre histoire que je ne peux pas raconter ici, dans ce cahier. Revenons à ce jour où je te rencontrai pour la première fois. Il y a presque un an et demi. C'était à la bibliothèque de l'université de Kaboul, où je travaillais. Tu vins demander un livre, mais tu emportas mon coeur. Lorsque je te vis, ton regard, fuyant et pudique, m'intima de ne plus respirer, ton nom imprégna mon souffle : Souphia. (p 37)
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Vidéo de Atiq Rahimi
"Bienvenue aux éditions P.O.L", un film de Valérie Mréjen. Pour les 40 ans des éditions P.O.L, quelques un(e)s des auteurs et des autrices publié(e)s aux éditions P.O.L écrivent une carte postale et laissent un message aux éditions P.O.L. Avec par ordre d'apparition de la carte postale: Violaine Schwartz, Jean-Paul Hirsch, Lucie Rico, Emmanuel Lascoux, Jacques jouet, Philippe Michard, François Matton, Frédéric Boyer, Catherine Henri, Suzanne Doppelt, Lamia Zadié, Marianne Alphant, Suzanne Duval, Laure Gouraige, Emmanuel Carrère, Jean Rolin, Elisabeth Filhol, Célia Houdart, Nicolas Fargues, Nicolas Bouyssi, Louise Chennevière, Frédérique Berthet, Marie Darrieussecq, Jocelyne Desverchère, Jean Frémon, Kiko Herrero, Julie Wolkenstein, Emmanuelle Bayamack-Tam, Liliane Giraudon, Frédéric Forte, Pierric Bailly, Valère Novarina, Hélène Zimmer, Nicolas Combet, Christian Prigent, Patrice Robin,, Emmanuelle Salasc, Alice Roland, Shane Haddad, Mathieu Bermann, Arthur Dreyfus, legor Gran, Charles Pennequin, Atiq Rahimi, Anne Portugal, Patrick Lapeyre, Caroline Dubois, Ryad Girod, Valérie Mréjen / Dominique Fourcade, Marielle Hubert, Robert Bober, Pierre Patrolin, Olivier Bouillère, Martin Winckler, Jean-Luc Bayard, Anne Parian, Nathalie Azoulai, Julie Douard, Théo Casciani, Paul Fournel, Raymond Bellour, Christine Montalbetti, Francis Tabouret, Ryoko Sekiguchi,
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