Lecteur insatiable et écrivain, Kafka restera un « éternel fiancé ». Ses relations avec les différentes jeunes femmes qu’il rencontre se développeront plus à travers des échanges épistolaires que par une vie commune devant laquelle il recule et fuit.
Son but essentiel est d’écrire et il se trouve que l’écriture jaillit dès que surgit une de ses possibles fiancées…
A Felice, « entre le 23 octobre (1912), date à laquelle il reçoit la première réponse, et le 31 décembre, il lui envoie cent lettres, une moyenne de trois par jour ».
Il fallait que son pouvoir de séduction soit grand pour que chacune des femmes qui l’ont aimé accepte ses sautes d’humeur qui vont d’élans passionnés et tyranniques interrompus par des hésitations répétées, pour aboutir à une fuite et une rupture. D’autant qu’il se décrit et s’offre à elles en décrivant impitoyablement toutes ses manies et exigences. Il voudrait être accepté tel qu’il est et sans délaisser ses habitudes et surtout ses livres ceux qu’il écrit et tout ceux qu’il lit
« Il se plaint de tout ce qui l'empêche d'écrire. « Ma vie consiste et a consisté depuis toujours en tentatives pour écrire, et le plus souvent en tentatives manquées. Mais lorsque je n'écris pas, je suis par terre, tout juste bon à être balayé. »
« Ce lecteur insatiable vit entouré de livres.(…) Il lit des biographies, des mémoires, des romans, des essais, des recueils de poésie ; il relit deux, trois fois, parfois plus, ceux qui l'enthousiasment. Il interroge Felice sur ses lectures, désespère de ses choix, lui recommande Flaubert (il rêve de lire en public L'Éducation sentimentale 3, d'une traite, en autant de jours et de nuits que nécessaire, et en français, bien sûr), Dostoïevski, Strindberg, Grillparzer, Kropotkine, Gogol, Kleist, Dickens, Jammes, et l'autobiographie de Berlioz… la liste serait interminable. « On ne devrait lire que des livres qui nous mordent et nous piquent, ils doivent être la hache qui brise la mer gelée en nous. »
Kafka n’aura qu’une seule et unique maîtresse l’Ecriture qui jaillit avec une frénésie d’autant plus grande qu’elle est suscitée et renouvelée par la passion envers les jeunes femmes qu’il rencontre, qu’elles se nomment Felice, Julie, Milena ou Dora auxquelles on peut ajouter Gerti Wasner intermède du Lac de Garde et Grete Bloch l’amie de Felice.
Après avoir envoyé sa première lettre à Felice à Berlin, il va écrire « Le Verdict d’une traite , de dix heures du soir à six heures du matin » Il dira de cette nuit :
« J'avançais en fendant les eaux. Ce n'est qu'ainsi qu'on peut écrire, avec cette continuité, avec une ouverture aussi totale de l'âme et du corps. Tout peut être dit, toutes les idées si insolites soient-elles. »
La Métamorphose suivra, elle « sort de lui en l'espace de vingt jours (du 17 novembre au 7 décembre) « comme une véritable délivrance couverte de saletés et de mucus »
Il dédiera ces deux livres à Felice.
Je suis sortie de cette lecture à la fois exaspérée et séduite par l’Eternel fiancé qu’a été Kafka que ce beau livre rend au final très attachant.
Toutefois quand se déclare la maladie qui va l’emporter, il va en se détachant de ses obsessions, en se libérant totalement de la domination paternelle, devenir plus libre d’aimer comme si la mort qui se rapproche lui donnait enfin un apaisement.
J’ai particulièrement aimé sa relation avec Dora avec laquelle il va vivre à Berlin, où aura lieu une rencontre bouleversante avec une petite fille qui a perdu sa poupée, dans le Jardin botanique, « une petite fleur blonde, à la peau blanche et aux joues rouges comme il en pousse beaucoup par ici » prénommée Malou.
Pour la consoler il lui dit que sa poupée est partie en voyage et qu’il a reçu d’elle une lettre.
Durant plusieurs jours il va la retrouver et lui lire bien d'autres lettres envoyées par la poupée :
« Lorsqu'il commençait à lire, le cœur de Malou battait très vite : sa poupée allait au théâtre, au cinéma, au cirque, à l'opéra, à Vienne, à Paris, elle montait à cheval, dansait, chantait dans un orchestre, c'était à en perdre la tête. »
La petite Malou exige toujours une suite mais ….. La suite du conte se trouve dans « L’éternel fiancé » dont je vous conseille la lecture.
Commenter  J’apprécie         543
J'ai vraiment eu du mal avec ce roman qui est je trouve très répétitif. le héros n'inspire absolument aucune compassion et la narration est assez plate. Un peu décevant.
Commenter  J’apprécie         40
Le récit, dès les premières pages, donne envie de se replonger dans les textes originaux de Kafka. L’expérience vaut le détour : le lecteur des Lettres à Felice et des Lettres à Milena s’y retrouve confronté longuement aux détails cruels de la tragédie et de la névrose, tandis que J. Raoul-Duval donne une synthèse légère, même si elle est lucide et sans illusion, des grands épisodes de la vie amoureuse de l’écrivain.
Lire la critique sur le site : NonFiction
À la mort de Kafka, Milena fit paraître dans le journal praguois, Na´rodni listy, une notice nécrologique :
« Avant-hier, le 3 juin 1924, est mort au sanatorium de Kierling, à côté de Vienne, le Dr Franz Kafka, un écrivain allemand qui vivait à Prague. Peu de gens le connaissaient ici, car il allait seul son chemin, effrayé par le monde. Sa maladie lui conférait une sensibilité confinant au miraculeux et un raffinement intellectuel sans compromis, jusqu'aux conséquences les plus terrifiantes. Il était timide, inquiet, doux et bon, mais les livres qu'il écrivait, les plus importants de toute la jeune littérature allemande, sont cruels et douloureux. Il voyait le monde rempli de démons invisibles qui anéantissent l'homme sans défense. Il était trop lucide, trop sage pour pouvoir vivre, trop faible pour combattre, il était de ceux qui depuis toujours se savent impuissants, se soumettent et, ce faisant, couvrent de honte le vainqueur. Ses livres, pleins d'une ironie sèche, décrivent l'horreur de l'incompréhension, de la faute innocente. C'était un artiste qui entendait encore là où les sourds se croyaient en sécurité. »
Il se plaint de tout ce qui l'empêche d'écrire. « Ma vie consiste et a consisté depuis toujours en tentatives pour écrire, et le plus souvent en tentatives manquées. Mais lorsque je n'écris pas, je suis par terre, tout juste bon à être balayé. » Il ajoute cette remarque, la première d'une longue série : « Mes forces étant très réduites, j'ai dû me résoudre à me priver un peu dans tous les domaines, afin de garder des forces suffisantes pour ce qui me paraît mon but essentiel. Mes nuits ne seront jamais assez longues pour cette occupation, voluptueuse au plus haut degré. »
Au cœur de la vieille ville, dans la rue Obstgasse presque déserte, un jeune homme en costume clair, sans gilet, coiffé d'un chapeau de paille, marche d'un pas pressé. Devant lui, entre les pavés disjoints, s'étalent des flaques d'eau qui miroitent sous la lumière des réverbères. Tel un coureur d'obstacles, il saute à pieds joints d'une flaque d'eau à l'autre, d'un reflet à l'autre. Ici, un pignon ouvragé, là, l'ogive d'une fenêtre, un linteau d'église, le bras tendu d'un apôtre, l'envol d'un pigeon. En accéléré, il voit défiler à ses pieds des fragments de sa ville.
D'avril à fin juin, ils s'écrivent chaque jour, souvent plusieurs fois, toujours en express. Lorsque la fièvre monte, c'est un furieux va-et-vient de télégrammes. Franz adresse ses lettres à une fictive Mme Kramer, poste restante, où Milena se rend matin et soir. Chacun des deux vit dans l'attente, dans l'impatience d'en savoir plus, d'en dire plus :
« Cette rage de lettres est insensée, lui écrit Franz, on renverse la tête, on boit les mots, on ne sait plus rien sinon qu'on ne veut pas cesser. Expliquez-moi ça, professeur Milena. »
« Les lettres, nées d'un tourment incurable, lui dit-il, ne sont qu'incurables tourments. Les baisers écrits ne parviennent pas à destination, les fantômes les boivent en route. »
Dès le 12 juin, il ne supporte plus ces missives en zigzag.
« Elles doivent cesser, Milena, elles nous rendent fous ; on ne sait plus ce qu'on a écrit, on ne sait plus à quoi l'autre répond et, de toute façon, on tremble. »
Le lendemain, il change d'avis :
« Écris-moi quand même tous les jours, deux lignes à peine, une seule, un mot, mais de ce mot je ne puis me passer sans une effroyable souffrance. »
Ses maux de tête et ses insomnies l'ont épuisé. C'est une défaite écrasante, une reddition sans condition qu'il signe de son sang.
Derrière ce sentiment d'échec, derrière cette amertume, il sent monter une excitation, l'ivresse d'une libération. Le combat est terminé. C'est la fin de cinq ans de tourments, la fin des maux de tête, la fin des insomnies qui l'ont rendu fou. Des décombres, s'échappe un merveilleux sentiment de liberté, une soudaine légèreté. Il plane en paix avec lui-même. Il se recouche, s'endort jusqu'au matin.
Il n'a jamais mieux dormi.
La chronique de Gérard Collard : "Kafka, l'éternel fiancé" de Jacqueline Raoul-Duval.