Валентин Григорьевич Распутин.
Macha Publishing, maison d'édition qui se consacre à la littérature russe, et qui publie entre autres noms
Dina Rubina, vient de lancer une collection intitulée le siècle rouge de la littérature rouge. Cette nouvelle gamme contiendra comme son nom le laisse deviner des auteurs soviétiques entre 1921 et 1991. Premier auteur qui inaugure cette collection,
Valentin Raspoutine, auteur qui a grandi et vécu une grande partie de sa vie dans l'est de sa Sibérie natale, dans la région d'Irkoutsk, est mort il y a peu, en 2015. Si on l'en croit le Wikipédia russe, il est l'un des représentants de ce qu'on appelle la « prose villageoise ». Il est l'auteur de nombreux romans tels que
Vis et n'oublie pas, traduit pour la première fois en 1974, et
Matouchka, traduit en 1977.
Lorsque j'ai lu la biographie de
Valentin Raspoutine, je me suis rendue compte à quel point ce roman, paru le 27 avril dernier, entrait en résonance avec celle-ci : le village dans lequel il est né, Atalanka, a également subi les inondations du réservoir de Bratsk en 1960, mais à la différence de l'île du roman, celui-ci a été relocalisé ! Il y a tout de même bien qu'en URSS qu'on délocalisait, relocalisait, les villages à convenance ! En revanche, ensevelir un village sous l'eau d'un barrage est une chose qui me semble davantage commune – au détour d'une recherche, j'ai découvert que 44 vallées ont été englouties sous les eaux du lac en France au XXe siècle – même si cela reste tout de même un phénomène étonnement irréel d'exproprier des gens et rayer un village de la surface des plaines sibériennes, comme s'il n'avait jamais existé.
C'est là le point central, le système nerveux du roman : comment accepter que « son » village, son île, disparaisse définitivement ? Il y a d'un côté ceux qui ont toujours vécu là, les piliers du village, les anciens, qui pensaient disparaître avant que les murs de leur isba s'écroulent. Il y a les générations suivantes, qui ont fini par quitter l'île pour trouver du travail et faire leur vie ailleurs. Et il y a ceux qui se trouvent au mauvais endroit, au mauvais moment : ceux qui viennent démanteler peu à peu le village jusqu'à la mort ultime.
Le style de
Valentin Raspoutine est tellement simple, limpide, mais élégant qu'on tourne les pages sans s'en rendre compte. Il y a cet amour du territoire qui transparaît, cet attachement insoluble qu'ont les trois vieilles femmes sur lesquelles s'ouvre le récit, qui sont l'identité du village, qui portent sa mémoire. Si l'île avait eu une âme, ce sont elles qui l'auraient incarnée. Chacune d'entre elle vit mal leur exil imposé en ville, c'est une séparation à leurs terres natales qu'elles n'acceptent qu'à contrecoeur. C'est un renoncement à la vie. Deux visions de vie s'opposent donc : celle traditionaliste de ces femmes à qui on enlève la seule chose qui leur restait, une fin de vie paisible dans leur maison, dans leur paysage, à côté des leurs, leurs voisins et surtout leurs parents enterrés à proximité. de l'autre, il y a les enfants, époux/ses des enfants, petits-enfants, qui sont partis et se sont adaptés à la vie citadine, une vie ou l'on ne passe plus sa vie à un seul endroit. Daria l'une des trois aïeules et Pavel son fils incarnent ces visions opposées, et ce sont des conversations qui les mènent finalement à débattre sur la nature et la place de l'homme.
Ce récit est pourvu d'un charme simple, mélancolique, nostalgique, mais enivrant : de l'expérience de ces derniers mois et jours des habitants de Matera, leur dernière fenaison, les dernières récoltes, est touchant tout comme ces trois veilles dames qui voient leur monde disparaître totalement sous les besoins essentiels que la modernité exige. C'est une modernité blasphématoire qui apparaît, une Russie actuelle, terriblement coupée de son passé et ses racines, même le plus sacré n'est plus respecté, l'une des scènes terribles de ce roman réside dans le passage ou les habitants comprennent que leur cimeterre et les tombes des leurs vont être submergés. Les morts sont profanés, la modernité touche au sacré, l'irrespect et l'oubli des siens : submerger un village, c'est après tout tirer un trait sur un pan de son histoire. D'autant que les maisons sont brûlées, dernière étape de cette profanation, avant l'inondation, comme pour réinventer une autre Russie, grande, forte citadine, unie, démontrer une volonté farouche de rayer de la mémoire ces petits villages qui n'ont d'intérêt que pour eux-mêmes.
Le roman a été mis en scène par différentes compagnies théâtrales de Moscou et d'Irkoutsk, il a également été adapté au cinéma. À défaut de pouvoir assister à l'une des représentations, c'est un auteur dont j'aimerais approfondir davantage ma découverte de l'oeuvre – si tant est que d'autres titres soient disponibles en français ou en seconde main dans d'anciennes éditions qui sont épuisées. Je suis également très impatiente de découvrir les autres titres que
Macha Publishing nous réserve, car ce premier titre tient toutes ses promesses d'autant que la mise en page est particulièrement soignée et agréable notamment grâce à cette couverture élégante et texturée.
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