« Make love, not war ». Slogan des années 60-70, en opposition à la guerre du Vietnam.
Cette phrase m'est souvent venue à l'esprit à la lecture de cette biographie romancée du 'divin Marquis'.
Baisez comme Sade, si le coeur vous en dit, avec des tibias humains, des châtaignes, des symboles religieux, des fouets, avec de drôles de machines à poulies, des écarteleurs, à l'envers ♪♫ à l'endroit ♪♫, sous des chauves-souris... No limit, à condition bien sûr que tous les participants soient d'accord, et ce fut le cas pour (presque ?) tous les partenaires de Sade. L'homme était très gourmand, certes, mais il n'a semble-t-il pas assouvi tous les fantasmes condamnables qu'il met en scène dans ses ouvrages (zoophilie, pédophilie, meurtres...). Ses pratiques et l'esprit de débauche des lieux et personnages qu'il fréquentait assidûment sont autrement moins choquants que les massacres et la barbarie tous azimuts engendrés par la Révolution française à partir de 1789...
Jacques Ravenne nous livre ici une biographie très intéressante de Donatien de Sade (1740-1814), philosophe, écrivain et homme politique à la réputation sulfureuse, dont je n'ai lu aucun texte au-delà de quelques lignes. J'ai appris à le connaître un peu grâce au roman 'La marquise de Sade' de Mireille Calmel, qui éclaire le lecteur sur les rapports de Sade à la religion et à la sexualité - les liens troubles entre plaisir, souffrance, péché, expiation, profanation, blasphème, mort...
Ces deux ouvrages documentés, aussi enrichissants l'un que l'autre, situent le mode de vie et les pensées de Sade dans son époque et son contexte socio-culturel - le siècle des Lumières. Ils montrent un homme tourmenté, intelligent, attachant, qui a aimé sincèrement quelques femmes et qui fut aimé en retour. Pas un psychopathe, asocial, prédateur tel qu'on peut l'imaginer par ouï-dire ou après avoir feuilleté ses écrits.
Le roman de Jacques Ravenne est plutôt sobre, moins émoustillant que celui de Mireille Calmel - à part un "croquis" dans les dernières pages qui vous fera regretter de ne pas avoir bien suivi les cours sur les poulies au lycée... Pas d'exhibition, on comprend entre les lignes, et le parcours de l'homme est passionnant. Par contre, une grande partie du récit (plus de deux cents pages) est consacrée à la Révolution française, dont Sade fut l'un des acteurs, et en particulier à Robespierre. J'ai souvent été perdue dans toutes ces histoires de complots et j'aurais abandonné ma lecture si je n'avais pas eu à coeur de suivre Sade jusqu'au bout de sa vie.
Le mot de la fin à Sade lui-même, qui résume ce que fut son existence tumultueuse et la trace qu'il a laissée dans nos esprits deux siècles après sa mort : « Ce n'est pas ma façon de penser qui a fait mon malheur, mais celle des autres. » (p. 530)
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Charles de Charolais est une mèche allumée. Il ne sait que faire de la violence électrique de son sang. Par son père, il est un Condé, par sa mère un Bourbon. Un mélange détonant qui fait les délices des gazettes et la terreur de son entourage.
Un charpentier fait trop de bruit en clouant quelque ardoise ? Charles l'abat d'un coup de fusil.
Une de ses maîtresses arrive en retard ? Il la roue de coups avant de la violer en public.
Son fils de sept mois tombe malade ? Il le purge à l'eau-de-vie. Définitivement.
Ses actes de violence sont si nombreux que le roi [Louis XV], fatigué des excentricités de son cousin, décrète qu'il accordera sa grâce à tout honnête homme qui débarrassera le monde civilisé de ce danger public. Mais jusqu'ici, aucun téméraire ne s'est présenté pour rendre ce menu service à Sa Majesté.
[...]
C'est un parieur-né. La semaine dernière, il a tiré à vue sur un bourgeois de la bonne ville d'Anet. Juste pour prouver à ses amis qu'il était capable de mettre une balle entre les deux yeux du premier venu. Un pari emporté haut la main, mais qui lui a valu une nouvelle semonce royale, avec promesse absolue de ne plus parier sur la vie d'autrui. Depuis, monsieur de Charolais s'ennuie ferme.
(p. 25-27)
[Paris, 1793]
L'accusateur public sort sans escorte. Il parcourt à pied les rues qui le séparent de la Conciergerie aux Tuileries. Parfois, un passant qui le reconnaît s'écarte. Une vieille fait un signe de croix. Il ne fait pas bon croiser 'la diable rouge' le matin. Fouquier-Tinville sourit : il connaît son surnom. Mieux vaut que le peuple le craigne, ça délie les langues. D'ailleurs il faut qu'il demande au Comité deux nouveaux secrétaires. Le greffe du tribunal croule sous les dénonciations. Parents, enfants, voisins, collègues, tout ce que le pays compte de rancoeur et de haine vient échouer à la Conciergerie. Chaque matin, ce sont près de deux sacs de dénonciations que les employés doivent traiter. Cela dit, songe l'accusateur public, je pourrais peut-être me contenter d'un seul secrétaire. De toute façon, nous ne lisons pas les lettres, nous relevons seulement les noms : l'honnête citoyen qui dénonce et le futur accusé.
(p. 445-446)
Une fois Marianne possédée à contresens - le grand plaisir de Sade -, c'est le tour de Mariette. Visiblement, Donatien a besoin de reprendre des forces, car il réclame de la catin qu'elle le fustige. D'abord avec un martinet à épingles, puis avec un balai de bruyère. Et elle n'y va pas de main morte. 179 fois. Vous ouvrez des yeux ronds ? Figurez-vous que le marquis a noté le nombre de coups reçus. Il a toujours eu la passion des chiffres. La police a retrouvé ses comptes. Pas moins de 799 coups reçus et... donnés. Car Sade aime à faire partager ses plaisirs et il a copieusement fouetté ses compagnes de débauche.
(p. 314-315)
Quatre ans que sa famille vit dans le malheur et le scandale. Tout ça, à cause de son gendre. Cette tête folle qui les a ruinés de réputation et d'argent. La Présidente grince des dents. A l'instant, si elle tenait Donatien, elle lui ferait passer l'envie de la débauche. Petit misérable ! Alors qu'elle avait été si bonne pour lui. Elle lui avait donné sa fille, offert une famille, ouvert sa bourse. Et pour quel résultat ? Le déshonneur et l'humiliation. Et elle avait dû courber la tête, prier à pleines larmes, supplier à genoux pour que ce petit imbécile ne finisse pas ses jours dans un cachot. Elle avait fini par obtenir qu'il se fasse oublier en son château de La Coste. Au milieu de ses oliviers et de ses paysans. Et surtout qu'il ne revienne plus.
De colère, elle frappe du talon sur le bois du sofa. Sur un mur, est suspendu un portrait du père du marquis. Ah, il l'a bien eue, le vieux dégoûtant ! Une planche pourrie, lui aussi. Depuis, elle en a appris de belles sur le comte. Un coureur de jupons, un escroc, endetté jusqu'aux yeux et libertin jusqu'à la moelle. Exaspérée, elle se lève. Ah, on ne l'y reprendra pas ! Avant qu'elle marie sa cadette, il se passera du temps. D'ailleurs, le problème est réglé. Anne est en pension chez les bénédictines près de Lyon. L'habit de religieuse masque sa beauté du diable.
[juin 1794]
[...] l'enthousiasme des Parisiens pour les "guillotinades" est bien tombé. On ne se presse plus en famille pour voir les têtes rouler dans le panier de son. Désormais, il n'y a plus un habitant de la capitale dont un parent, un ami ou une connaissance ne soit passé sous le rasoir national. D'ailleurs, le peuple grogne, une colère sourde monte de tous les quartiers, le sang répandu écoeure tout Paris.
(p. 466)
Extrait du livre audio « La Saga du Soleil noir, T.6 : le Graal du diable » d'Eric Giacometti et Jacques Ravenne lu par François Hatt. Parution numérique le 19 juillet 2023.
https://www.audiolib.fr/livre/le-graal-du-diable-9791035414818/