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Critique de Enroute


La guerre est déclenchée par l'Irak sans raison véritable sinon de faire taire un voisin turbulent et agaçant. Elle est donc menée sans autre objectif que de l'intimider pour le contraindre à cesser ses exhortations à l'extension de la révolution en Irak.

Le prétexte est la renégociation de la frontière du fleuve qui mène au Golfe, le Chatt al-arab et qui a mené à un partage aux accords d'Alger en 1975. C'est une absence de réponse qui autorise l'Irak à passer des réponses localisées à des frappes de plus grande ampleur. En portant le nom de Qadisiya, le nom de la première mission évoque une ambition déplacée : il s'agit d'une grande victoire arabe contre les Perses qui date de... 636. Peut-être y a-t-il une disproportion entre la communication et la réalité pragmatique. L'Iran est désorganisée et son armée n'est pas en très bon état : Saddam se dit qu'en trois mois c'est plié.

Malheureusement, l'adversaire est une tête de mule. Il a décidé de placer le clergé à la tête de l'Etat et il n'est pas prêt à se laisser intimider. L'accroissement des hostilités est un prétexte au renforcement de la cohésion intérieure et une opportunité supplémentaire de déstabiliser l'Irak. En plus, les premières missions sont assez ridicules et ratent toutes leurs objectifs. L'Iran refusera toutes les demandes de cessez-le-feu irakiennes et ne capitulera que lorsque le pays sera ruiné, son armée laminée, ses conquêtes reprises et que l'armée américaine sera entrée en action, dont il est dit que le nombre d'avions sur les deux porte-avions mobilisés est supérieur au nombre d'avions que l'Iran est en mesure de déployer sur tout son territoire.

Pendant ce temps, rien vraiment n'incitait tous les autres pays du monde à choisir un camp plutôt que l'autre. Au contraire, personne n'a intérêt à ce qu'il y ait un vainqueur ou un vaincu, qui établirait une nouvelle puissance dans la région, aussi menaçante d'un côté que de l'autre. Il vaut mieux qu'il ne se passe rien. Et puis le conflit est l'occasion de vendre des armes. Plus le conflit dure, plus les gains sont importants et plus on se garde de déclarer un vainqueur ; du moins tant que le conflit reste circonscrit. Il faut alors s'arranger pour vendre des armes en quantité et puissance égale aux deux belligérants... qui démarrent des deux côtés avec des bouts d'armée, une absence d'expérience, des matériels vieillissants.

Les actions militaires sont donc menées au fur et à mesure, comme ça vient, un coup ici, un coup là. Il n'a jamais été question de conquête, il suffit, cette fois-ci, de frapper un bon coup, pour faire comprendre, pour se faire entendre, pour que ça cesse. Mais ça ne cesse, puisque l'autre se dit pareil... on commande des armes au fur et à mesure, des missiles quand on se dit qu'il faudrait bombarder telle ville ou tel site, des avions rapides quand on songe à une attaque éclair, des radars quand on s'est fait avoir la veille... On commande un peu sur catalogue, livraison en 24 heures depuis la Chine, la Corée du Nord, l'Afrique du Sud, l'Ethiopie, la Libye, le Chili, mais surtout l'URSS, la France et la Turquie... et, en fait, sauf l'Irlande, tous les pays européens - même la Suisse ! - les Etats-unis, le Japon, Israël, bref, un terrain d'opération localisé, mais des ressources mondiales. le coût ne sera pas neutre : une dizaine d'attentats en France et des assassinats, pour 13 victimes, quelques centaines de millions versés pour régler des contentieux sur le nucléaire.

Les deux pays emploient des armes chimiques qu'on leur fournit volontiers aussi. L'Iran a un système d'enrôlement très développé qui fait que 15 à 20% de l'armée est constituée d'adolescents de 12 ans et plus.

Ce qui fait la guerre, c'est le pétrole. Quand les prix sont élevés, on bombarde un peu ici ou là, on attaque une plateforme pétrolière, on détruit une installation militaire, on envoie un missile sur Bagdad ou Téhéran, ou on tente de prendre une ville - sans jamais s'enfoncer très loin. Si l'argent vient à manquer, on attend. Les opérations militaires ne se font que sur un quart de la totalité de la période de la guerre - 8 ans. Quand l'Arabie Saoudite se décide à ouvrir les vannes (multiplication par cinq de sa production en deux ans...), les prix sont divisés par trois, si bas que les Etats-Unis, initiateur de la stratégie, demandent qu'on les relève artificiellement. Pour l'Iran, qui s'est peu à peu coupée du monde entier (à part Khadafi et la Syrie), c'est la fin des haricots - un peu moins pour l'Irak qui non seulement garde des alliances un peu partout, mais peut surtout emprunter sur les marchés internationaux.

Saddam multiplie les demandes de cessez-le-feu, l'ONU sort quelques résolutions, et, finalement, c'est la finance à sec, comme toujours, et la force en appui, comme toujours aussi, qui mène à la fin des combats : les Etats-Unis et la moitié de l'Europe ont envoyé des navires dans le Golfe pour sécuriser le transit et faire pression sur l'Iran.

A la fin de la guerre, les frontières du Chatt al-arab sont redevenues celles qu'elles étaient avant, à savoir conformes aux accords d'Alger de 75. En revanche, les économies sont ruinées, les installations nucléaires des deux pays sont détruites (par Israël en Irak et par l'Irak en Iran), et on compte environ 700 000 morts. Khomeiny meurt juste après la signature de la paix, mais le clergé s'est définitivement imposé en Iran. Si l'Iran a perdu la guerre (sans doute plus ruiné que l'Irak), il a réussi sa révolution sur le dos de l'Irak. La Turquie est le grand gagnant de la région.

L'auteur tire les conclusions de la guerre sur la situation actuelle : la guerre est inutile contre l'Iran qui se braque spontanément - la guerre économique, les sanctions, sont plus efficaces. L'Iran aurait abandonné de se lancer dans la recherche nucléaire. Il faudrait une OSCE aux pays du Golfe pour établir un dialogue entre Jérusalem, Ryad et Téhéran. On conclut aussi de son travail que la technologie ne fait pas grand chose et que posséder un avion plus rapide ou un croiseur plus puissants ne met pas à l'abri de l'erreur diplomatique qui engage des décennies de rancune et de revanches (destruction d'un vol Airbus par un croiseur américain) - sans servir particulièrement sur le coup. En revanche, l'opération israélienne pour détruire l'installation nucléaire irakienne est rapportée de manière très impressionnante (elle était peut-être plus préparée et avait un objectif peut-être plus clair que toutes les autres…).

Le tout est d'une précision étonnante étant donné l'ampleur du sujet et la durée du conflit. L'auteur alterne les opérations militaires (un peu lassantes à la longue, mais détaillée à l'avion près, au missile près), et les enjeux diplomatiques et politiques. Révélations, mensonges, trahisons, complots, opérations secrètes, massacres, assassinats, corruption, suicide, pressions psychologiques : tout y passe.
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