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EAN : 9782842636456
378 pages
Le Dilettante (06/04/2011)
4/5   9 notes
Résumé :
Réédition du roman paru chez Gallimard en 1954, biographie imaginaire d'un génie de la musique en herbe, avec une importante étude de Nicolas d'Estienne d'Orves. « On peut lire Les Épis mûrs comme une justification métaphorique, où le romancier tente d'excuser son passé tumultueux en dessinant le portrait d'un artiste "désaxé" qui s'est perdu dans l'Histoire, et a détruit son talent au lieu de respecter sa mission artistique, qui était celle de la tolérance et de la... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Si Les Épis mûrs n'est pas le chef-d'oeuvre de Lucien Rebatet, qui le présenta lui-même comme un livre de circonstance fruit d'un travail fade, il n'en reste pas moins un riche et passionnant document sur la vie musicale française au début du siècle, et surtout une étrange métaphore biographique. Comme Rebatet, Tarare est né, a vécu et est mort dans l'incompréhension d'autrui. Les deux hommes sont issus de milieux bourgeois et bornés allergiques aux beaux-arts ; ils passent leur jeunesse enfermés dans des internats malsains et traumatisants ; ils découvrent un Paris fascinant et bouillonnant mais sont fauchés par l'Histoire au moment où leur talent allait prendre son envol. Tarare meurt au front et Rebatet se perd dans une politique qui le conduira presque à l'échafaud. Ils n'ont pas la postérité tant espérée dans l'histoire de leur art : le premier meurt dans l'anonymat des tranchées, le second finit dans l'opprobre voué aux proscrits de l'épuration. Paradoxalement, c'est dans leurs disciplines réciproques qu'ils trouvent une certaine postérité. Pierre Tarare, personnage fictif, n'existe que par le roman que Rebatet a écrit à son sujet, il est donc une création authentiquement littéraire. À l'inverse, Rebatet reste un méconnu de la littérature, mais il est considéré comme une autorité atypique dans le monde de la musique. Malgré toutes les irritations qu'elle provoque par sa partialité et ses engagements tranchés, son Histoire de la musique est l'un des ouvrages de ce type les plus répandus avec celle d'Émile Vuillermoz. On peut donc lire Les Épis mûrs comme une justification métaphorique, où le romancier tente d'excuser son passé tumultueux en dessinant le portrait d'un artiste « désaxé » qui s'est perdu dans l'Histoire, et a détruit son talent au lieu de respecter sa mission artistique, qui était celle de la tolérance et de la pure création.
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« Les épis mûrs » repose à l'ombre des « Deux Etendards » et ce n'est certainement pas faute de mériter la lumière : car ce sont des épis d'or qui s'offrent au lecteur. Certes, par son sujet (la courte vie d'un musicien de génie fauché à dix-neuf ans lors de la Grande guerre) et par sa moindre épaisseur, ce roman publié en 1954 n'a ni l'ambition ni la puissance de son aîné. C'est qu'il ne bataille pas dans le même registre : « Les Deux Etendards », à l'ambition nietzschéenne, pose la question de la relation de l'homme à Dieu après « la mort de Dieu », et puise son énergie, son matériau, dans ce feu central qu'est l'Amour (l'Eros, non l'Agapé) ; « Les épis mûrs », quant à lui, décrit la difficile émergence du génie humain hors du limon de l'Histoire, ce fleuve qu'est l'Humanité courant à sa perte. Un registre plus hégelien, donc – bien qu'a priori opposé à Hegel (à quand une étude comparée de ces deux oeuvres dans leur relation avec la philosophie de Hegel, de Schopenhauer et de Nietzche ? Voilà un travail universitaire que je me réjouirais de lire : je suis certaine qu'on y parlerait de George Bataille). le livre relate l'itinéraire de Pierre, musicien précoce dont les dons et le désir sont d'abord étouffés par l'ambition petite-bourgeoise de sa famille, puis décelés et encouragés par quelques vieux sages (l'organiste Klingelhofer puis Gabriel Fauré) avant d'être anéantis par la logique (sic) de la modernité : Pierre, comme des millions de ses semblables, n'est que chair à canon. Au-delà de la fable (le Progrès est un ogre) ce sont la beauté de la langue et l'amour de la musique qui dominent : est convoqué dans un style classique non dénué de modernité (Rebatet sait mêler imparfait du subjonctif et langage vulgaire) un panthéon de compositeurs qui préfigure son « Histoire de la musique ». J'ai refermé ce livre en désirant écouter la musique de ce panthéon, faute de pouvoir écouter celle de Pierre, et en désirant lire et relire Rebatet – publiera-t-on un jour l'inédit « Margot l'enragée » ?

©Cendre-Bleue
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A côté des nauséeuses "Décombres" du même auteur, il y avait cette petite perle qui témoigne d'un styliste de belle facture. Belle idée que cette réédition, relativement récente. A découvrir !
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Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
Monteverdi ne connaissait pas le chromatisme, les fameux artifices d’harmonie de Tristan. Nous entendons cependant le cri d’une passion dans son Orfeo. Mais pour pousser ce cri, Monteverdi avait découvert l’emploi de la septième de dominante. Tous les grands musiciens, tous ceux qui ont eu vraiment quelque chose à dire, pour le dire, ont créé leur langue. – C’est aussi vrai des écrivains, des poètes… – Peut-être. Mais il est plus difficile d’apporter un accord nouveau. L’oreille humaine, ce n’est jamais que l’oreille humaine, moins fine que celle d’un chat. Pourtant, les vrais musiciens doivent périodiquement déconcerter, violenter cette oreille. On a pu écrire des merveilles dans la langue de Voltaire longtemps après sa mort. On ne pouvait pas écrire des œuvres admirables, durant cent ans, dans la langue de Rameau. Ce sont les vrais créateurs, les conquérants qui subsistent. Les épigones musicaux s’effacent rapidement. De tout l’opéra mozartien après Mozart, on ne peut plus réentendre entièrement que Le Barbier de Séville.
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Ils finissent par être injustes et maladroits avec Beethoven lui-même. À force de souligner chez lui toutes les symétries, ils nous rappellent qu’elles sont un peu soûlantes, et d’un procédé somme toute assez lourd. La sève de la Première Symphonie, toute cette puissance encore comprimée qui fait craquer la forme du XVIIIe siècle, cela leur échappe, « parce qu’il n’y a pas de particularités de construction à y signaler », parce qu’il est entendu que le vrai Beethoven ne commence qu’avec l’Héroïque. Ils n’ont pas l’air de soupçonner que le génie de Beethoven est dans tout ce qu’il a écrit, que ses sonates, où il était plus libre, sont toujours en avance sur les symphonies, d’une bien autre richesse harmonique et rythmique. Ils négligent presque la Septième parce qu’elle est d’une structure relativement simple. Ils font de la complexité en soi un critérium, ce qui conduit à placer Les Noces de Figaro tout au bas de l’échelle ! Je crois d’ailleurs que c’est leur avis. Ils tirent leurs gibus à Wagner, c’est la moindre des politesses, avec tout ce qu’ils lui empruntent dans leurs fabrications. Mais sur la révolution qu’a été le chromatisme de Tristan, ils sont plus que discrets. C’est qu’il faudrait reconnaître qu’on a pu tout de même écrire un chef-d’œuvre dont les assises tonales ont été plutôt chahutées !
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– S’esbigner, pendant que les camarades vont se faire tuer, c’est assez répugnant. Pourtant, ce serait la voie droite : continuer la lutte là où elle sera encore possible. Mais quelle lutte ? Dans quel but ? Pour condamner sans relâche cette guerre abjecte, alors que l’on n’a pas su l’éviter ? Une satisfaction morale, c’est tout. Au milieu du mépris universel : l’homme qui a fui le danger. Descendre dans la rue, insulter leurs drapeaux, leurs clairons ? Je ne suis pas assez brave. S’il fallait simplement être fusillé, je me collerais au mur, je leur dirais : « Allez-y. » Mais j’ai peur de cette foule que son poids rend certainement féroce, j’ai peur d’être écharpé, des coups de talons dans la figure, d’avoir les yeux crevés à coups de pointes d’ombrelles. Revolvériser Poincaré ou Viviani ? Il aurait fallu préparer ça de longue date, et ça ne servirait plus à rien maintenant. Guillaume et sa clique militaire me dégoûtent par-dessus tout. Accepter de se battre pour détruire ces bêtes féroces ? Mais c’est se battre aussi pour sauver le radicalisme français et les mercantis de Londres !
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Le Haut Commandement français, de plus en plus méthodique, conçut alors une offensive de vingt-cinq kilomètres, avec un groupe d’armées, sous les ordres du général de Castelnau. Le secteur choisi fut celui de Champagne, où l’ennemi avait sans doute édifié ses plus puissantes défenses, mais qui se prêtait à un autre thème classique et irrésistible, l’« enfoncement par le centre ». On combinerait celui-ci avec une reprise de la bataille d’Artois. L’ensemble entraînerait la libération du territoire.
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Extrait de la préface de Nicolas d'Estienne d'Orves : "Toujours en quête d’une vérité absolue qu’il ne trouva jamais, il rechercha l’illumination par la connaissance. Face à la vérité du Christ, il rechercha la vérité du corps et prit la route d’un paganisme militant. Face à l’égalitarisme français, il rechercha la pureté allemande du surhomme et la transfiguration du réel sur les cadavres d’une humanité déchue. Face au prosaïsme de ce monde, il rechercha la vérité dans l’art et la création. Mais il dut affronter le triple échec de la virilité, de l’engagement et du succès. Sa pensée n’était que le reflet de ses pulsions. Elle ne fut jamais cohérente et se perdit toujours dans le labyrinthe de ses passions et de ses haines. S’il y eut une idéologie chez Lucien Rebatet, chacune de ses œuvres nous en laisse voir un pan. Mais la synthèse de l’ensemble n’est que le miroir de son cheminement intérieur et de ses contradictions personnelles. Comme pour l’art, sa pensée fut indissociable de son œuvre. On ne peut isoler le romancier de ses engagements, car ils se sont toujours nourris mutuellement."
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Vidéo de Lucien Rebatet
France Culture : Faut-il republier les textes antisémites du XXème siècle ? (2015). A l'occasion de la publication chez Robert Laffont, des œuvres de Lucien Rebatet, et de l'annonce d'une traduction de "Mein Kampf" chez Fayard, Caroline Broué reçoit Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Florent Bayard, historien, chercheur au CNRS (Centre Marc Bloch, Berlin), spécialiste du négationnisme et de la Shoah.
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"Les deux étendards" de Lucien Rebatet

Où Lucien Rebatet a-t-il écrit "Les deux étendards"?

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