Plus je lis
Elisée Reclus, plus je me dis qu'avant d'être un géographe et un homme engagé, c'est un rêveur qui retranscrit ses songeries en poète. Quand il parle d'une montagne ou d'un ruisseau, il les étudie en scientifique, mais mêle à ses considérations botaniques, géologiques, climatiques... des descriptions oniriques, grâce à une langue qui s'apparente à de la poésie en prose.
J'ai eu la même impression en lisant
l'Anarchie, a priori une conférence politique donnée devant des francs-maçons pour décrire un courant politique e plus en plus influent à la fin du XIX ème siècle. Or, il ne s'agit pas d'une oeuvre aride, théorique. Reclus utilise plusieurs fois le terme de « chimères », il s'approprie une critique des opposants à l'anarchisme, en la retournant comme tune fierté. Oui, les anarchistes rêvent d'un monde meilleure et d'une société idéale ; il y a de l'utopie dans son discours – il fait d'ailleurs référence très rapidement à une des premières utopies de la littérature, l'Abbaye de Thélème de
Rabelais. de même, il explique que tout le monde est forcément en partie anarchiste, puisque tout le monde – ou presque – veut le bien commun. Dans une comparaison qui peut sembler audacieuse, mais qui a dû plaire à son auditoire franc-maçon anti-clérical, il assimile saint-François d'Assisse et Thérèse d'Avilla à des anarchistes, eux qui souhaitaient la paix et la fraternité universelles.
En revanche, Reclus ne donne pas vraiment de moyen concret pour arriver à accomplir son idéal, ni même de durée. Il explique que l'humanité s'y dirige forcément puisque la misère recule peu à peu et que l'instruction progresse, ce qui permet aux hommes de penser par eux-mêmes, d'exercer leur raison, et donc leur désir de liberté. C'est ce que je trouve de plus intéressant, son éloge de l'éducation qui permettra le progrès, l'égalité entre les femmes et les hommes – avec des accents qui peuvent évoquer
Victor Hugo.
C'est peut-être parce que je sais, de façon désabusée voire désespérée ce qui a suivi sur le plan historique, le XX ème siècle et ses totalitarismes, que je vois dans ce discours une utopie et une chimère plutôt qu'un véritable programme - ce qui, de toute façon, serait contraire aux idéaux des anarchistes, qui refuseraient d'exercer le pouvoir, et même de prétendre le conquérir.