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Jocelyne Hubert (Éditeur scientifique)
EAN : 9782210754478
128 pages
Magnard (15/03/2004)
3.91/5   1343 notes
Résumé :
"Mon ami Serge a acheté un tableau [...] un tableau blanc avec des liserés blancs." Médecin dermatologue, Serge aime l'art moderne et Sénèque, qu'il trouve "modernissime". Ingénieur dans l'aéronautique, Marc a des goûts plus traditionnels et ne comprend pas que son ami Serge ait pu acheter "cette merde deux cent mille francs". Quant à Yvan, représentant dans une papeterie, il aimerait ne contrarier aucun de ses deux précieux amis. Mais les disputes esthétiques autou... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (131) Voir plus Ajouter une critique
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sur 1343 notes
Dans « Art », Yasmina Reza pose des questions indécentes. Indécentes car embarrassantes. Embarrassantes car touchant trop à l'intime de notre façon de fonctionner, aussi bien en amitié qu'en société.

Trois amis, Serge, Marc et Yvan, connaissent une amitié sans ombre depuis une quinzaine d'années. Jusqu'au jour où Serge achète le tableau d'un artiste contemporain renommé. Ce tableau coûte une petite fortune et est essentiellement blanc, peut-être avec de vagues nuances gris clair par-ci par-là.

Ce tableau et tout ce qu'il représente (son acquisition à prix exorbitant, sa relation au monde « branché art », son apparent monochrome dénué de sens) va semer la discorde entre les trois hommes.

Marc trouve le tableau absolument nul et ne se prive pas de le dire à Serge, qui forcément le prend mal. Marc essaie d'obtenir l'appui d'Yvan afin de convaincre le détenteur du tableau. Yvan ménage la chèvre et le chou dans une position fort inconfortable sachant qu'il est lui-même englué dans une affaire de mariage pas des plus simples à régler.

Ce tableau va donc semer les graines de la discorde entre nos trois compères (lors de la création de la pièce en 1994, le rôle de Serge était tenu par Fabrice Luchini, celui de Marc par Pierre Vaneck et celui d'Yvan par Pierre Arditi) et faire ressortir bon nombre de non-dits et même faire questionner les protagonistes sur le fondement même de leur amitié.

Quelle part d'égoïsme y a-t-il dans une relation d'amitié ? Quelle part d'accaparement ? Quelle part de manipulation ? Quelle part de vanité ? Quel rôle y joue l'étiquette sociale ? Quelle carte dans le jeu des relations amicales de l'autre jouons-nous et quelle carte dans notre propre jeu représente-t-il ? Pour quelle(s) raison(s) acquérons-nous des objets de valeur ? Quelle est la part du jugement esthétique et celle du jugement social que nous attribuons à certaines oeuvres ? Qui sont les plus à même d'attribuer des significations aux oeuvres abstraites ?

Autant de questions (et probablement beaucoup d'autres) que soulève cette admirable petite comédie sociale, drôle, philosophicaustique, très corrosive par endroits, ironique souvent et dont vous auriez tort de vous priver. Mais tout ceci n'est que ma vision subjective de l'Art, autant dire, pas grand-chose.
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J'ai presque envie de débuter ma critique par "C'est une merde", pour reprendre les propos d'un des personnages de la pièce. Certes, c'est un début un peu vulgaire, mais certainement pas plus que cette pièce qu'on nous vend depuis 1994 comme un chef-d'oeuvre et qui, non seulement se révèle un piètre texte, mais également un plagiat éhonté du théâtre de Nathalie Sarraute. Que la plupart des lecteurs ne s'en soient pas rendus compte, c'est bien normal, on passe tous les jours à côté de telle ou telle référence dans telle ou telle oeuvre d'art. Que les critiques littéraires et spécialisés en théâtre ne l'aient jamais, à ma connaissance, mentionné, voilà qui fait en revanche un peu problème.


Art, c'est un argument très simple : Serge a acheté un tableau très cher avec des lisérés blancs sur fond blanc (déjà, vous remarquerez la référence à Malevitch et consorts d'une grande subtilité), Marc n'hésite pas à se montrer odieux avec Serge en lui riant au nez et en traitant le tableau de "merde", et Yvan, qui se débat dans des problèmes matrimoniaux, familiaux, professionnels, se retrouve à son corps défendant jeté dans le débat qui dégénère. On va commencer par le plus clair : c'est bourré de clichés. Clichés sur l'art contemporain, sur le marché de l'art, sur ceux qui aiment ou font semblant d'aimer l'art contemporain (Reza ne fait pas la différence allez hop, tout le monde dans le même sac, de toute façon c'est tous des cons), sur ceux qui ne font pas partie de la bourgeoisie et qui ont mauvais goût en matière d'art (comme ça Reza joue sur tous les tableaux, c'est le cas de le dire), sur la bourgeoisie qui se soigne forcément à l'homéopathie, sur les personnes qui ne supportent pas qu'on leur fume dans la tronche, sur la psychanalyse, le pompon revenant au sujet du psychanalyste d'Yvan, qui porte un nom... juif. Ben voyons. Ça fait déjà beaucoup. Et c'est d'une démagogie assez répugnante, alors qu'un Feydeau aurait fait d'un tel sujet une satire sociale à se tordre de rire.


Comme tout ça est basé sur des clichés, eh bien tout ça ne dit pas grand-chose sur pas grand-chose, Reza étalant son texte - d'une cinquantaine de pages -, le délitant parfois au maximum, pour carrément se vautrer dans des dialogues aussi prétentieux que creux. Et puis quand même, Reza nous rejoue le coup du plagiat. Elle avait donc déjà gentiment plagié Tchekhov et Schnitzler pour La traversée de l'hiver, même si ça passait plus ou moins. La voilà qui réitère avec Sarraute comme je l'annonçais en début de critique. Nous voici par conséquent avec un zeste de C'est beau (pour le côté art) mêlé à une reprise, presque textuelle à certains moments, de Pour oui ou pour un non. Deux pièce qui étudient la question cruciale de ce que Sarraute appelait le tropisme et qui a été le grand sujet de sa littérature. Dans l'une, une phrase, "C'est beau" est le déclencheur d'une crise familiale, dans l'autre, c'est quelque chose d'encore plus anodin, un "Oui, c'est bien, ça", qui sera le moteur de toute la pièce et poussera deux amis (comme par hasard!) à entrer en crise et à scruter, fouiller, décortiquer leurs rapports d'amitié.


Mais après tout, ce n'est pas parce qu'un sujet a déjà été traité par un dramaturge qu'il est interdit à un autre, et heureusement ! Encore faut-il avoir quelque chose à dire, encore faut-il posséder une once d'originalité, ou de personnalité, ou de je ne sais quoi... et un projet. D'ailleurs, je me plains de plagiat mais je suis à peu près sûre que là n'était pas l'intention de Reza ; il s'agissait sans doute de rendre hommage à Sarraute (comme La Traversée de l'hiver était sans doute un hommage raté mais voulu à Tchekhov et Schnitzler), avec humour - humour que j'ai très peu goûté, mais c'est une autre question. Seulement voilà, Sarraute, c'est fin, c'est travaillé, c'est réfléchi et c'est la démarche de toute une vie d'écrivain. Et ça demande un travail, une implication de la part du lecteur ou du spectateur. Alors que Reza, c'est superficiel, aguicheur, prémâché.

Je peux comprendre qu'on n'aime pas le théâtre de Sarraute, qu'on recherche plus de naturel dans les dialogues. Mais dans ce cas, il existe un duo de dramaturges, curieusement contemporain de Reza, et ayant composé deux pièces qui, dans un style certainement plus naturel que Sarraute, a également scruté les profondeurs des rapports d'amitié (et, surtout, des rapports familiaux). Forcément, ça fait moins classe de citer Bacri et Jaoui que de citer Reza... Et ils sont pourtant bien davantage intéressants. Ce qui m'amène à ajouter que, non seulement Reza a plagié honteusement Sarraute, mais qu'elle ne s'est pas non plus privée pour aller voir du côté de Cuisine et dépendances, qui date de 1992.

Et là, je commence à me demander quels autres auteurs a plagiés Reza dans ses autres pièces...

Ah oui, et y'a un truc que devrait savoir Yasmina Reza : on ne nettoie pas un tableau avec du savon, même si les dégâts commis dessus l'ont été avec des feutres dont l'encre s'efface, sans que la toile soit abîmée. C'est d'ailleurs pour ça qu'il existe des restaurateurs de tableaux. Mais probablement est-ce là encore un de ces trait d'humour à la Reza, que je trouve toujours lourds et en même temps ambigus.



Challenge Théâtre 2018-2019
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Un petit entracte théâtral hier soir... par goût et en pensant tristement à toutes ces salles fermées pour cause de seconde réplique virale.
Mon choix s'est porté sur l'oeuvre dramatique contemporaine la plus jouée dans le monde ( dixit le Monde), deux fois "moliérisée" en 1995, traduite en trente-cinq langues, et j'en passe tant son palmarès croule sous le poids des prix et des honneurs : - ART - de Yasmina Reza.
Entre théâtre populaire et approche plus "intellectuelle" ( seul qualificatif trouvé...), cette pièce conjugue et concilie ces deux "vertus" apparemment antipodiques à travers l'éternel "triangle amoureux", transformé par l'époque en "triangle amical" (ce qui change peu de choses), substituant les claquements de portes, les amants dans les placards, à des codes plus modernes, moins kitsch.
Serge, dermatologue aisé, mais pas riche, fait l'acquisition ruineuse, d'une toile contemporaine, monochrome, qui ne figure, selon son ami Marc, ingénieur dans l'aéronautique... que de "la merde".
Les deux amis, que lie une amitié de quinze ans, vont se déchirer à propos de cette "croûte", vont en venir aux mains... en dépit de leur ami Yvan, représentant en papèterie, intermédiaire pâlot d'un "en même temps" aussi contreproductif que celui auquel vous ne pouvez pas ne pas penser.
Si au lieu de triangle amoureux j'ai parlé de triangle amical, c'est par adaptation aux temps modernes, étant entendu que le tandem Marc-Serge est un couple, au sens théâtral du mot, Marc se sentant trahi et abandonné par un Serge qui, à son insu, s'est amouraché d'une toile, qu'il sacralise, alors que Marc la méprise et la jalouse... objet donc d'un désir irrépressible d'un côté et de trahison ou d'infidélité de l'autre.
Yvan, pour sa part fait office de balancier, d'adjuvant, de valet de comédie et sert en cela les codes et les ressorts du genre.
Cet achat, cette dérobade, cette transgression va être à l'origine d'un exutoire, d'une remise en question de l'amitié, de la vie et des rapports de ces trois amis, entraînant dans son sillage moult questions psychologiques, sociales, culturelles... avec une fin ouverte, c'est-à-dire qu'aux questions soulevées, chaque spectateur ou lecteur a sa grille de lecture et les réponses qui vont avec.
Je n'ai pas vu la pièce, mais à la lire, il m'a été très facile d'imaginer un décor presque nu... hormis la présence de la toile. Les dialogues et la technique employée par Yasmina Reza ( apartés, tirades, monologues, répliques rythmées, répétitions...) sont maîtrisées, font mouche, donnent à réfléchir tout en divertissant.
Un bon moment... en somme !
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Une conversation s'engage entre nos trois personnages.
Marc, ingénieur en aéronautique est un homme cultivé, droit et honnête.
Serge qui est plutôt dans la branche médicale est dermatologue.
C'est un passionné d'art et de littérature ou il évolue aussi bien dans le domaine classique que dans celui de nos contemporains.
Yvan, lui, dont la personnalité n'est pas en reste se cantonne plutôt dans le quotidien.
C'est un garçon aimable, spontané et naturel. Cependant, pour tendre à conserver intacte l'amitié de Serge et Marc, il s'attache à rester neutre, ce que lui reproche précisément ses deux amis.
Au cours de joutes verbales sur le thème du tableau blanc dont Serge à fait l'acquisition, il se joue là, bien autre chose qu'une simple altercation en réalité.
Marc s'affère à démontrer à Serge la décadence de son penchant vers l'art. Décadence qui se concrétise selon Marc par l'achat dispendieux du tableau blanc qui constitue une preuve évidente de sa démesure.
Serge s'insurge. Il se défend, arguant que Marc n'y entend rien en ce domaine où il n'a pas daigné s'instruire par négligence ou manque d'intérêt.
La franchise de Marc est brutale et tranche par rapport à la bonhommie nuancée d'hypocrisie, d'Yvan.
Le ton monte et à mesure des échanges, la lame acérée des mots qui blesse les emporte au-delà des limites insoupçonnées jusqu'alors de leurs différences et de leurs différends.
Ne parvenant guère à atténuer la contenance apparemment placide et ferme de Marc, Serge entre dans la valse des mots et selon toute vraisemblance, venant à lui parler de sa compagne, Paula, il parvient à le déstabiliser, le faisant littéralement sortir de ses gonds.
Marc, effectivement hors de lui, rentre dans une fureur telle qu'il en vient aux mains. Tandis que le pauvre Yvan qui tente de les séparer, molesté, reçoit un coup et qu'avec force gémissements et beaucoup d'exagération, il exprime de façon outrageusement plaintive, son besoin d'affection.
Mais cela ne marche pas et la confrontation verbale entre Marc et Serge s'enflamme de plus belle, laissant place toutefois à un dialogue plus profond et plus axé sur la nature de leur relation. Car, en effet ! Quelle est-elle cette relation ? Quel est le lien d'amitié qui relie ces trois personnages ?
Marc en vient à admettre que Serge l'a remplacé par l'Antrios et son appétence vers les gens d'un autre monde que le sien. Tandis que Marc, lui, l'aurait remplacé par Paula.
Il s'ensuit un échange emprunt d'émotion où chaque auteur est confronté à sa propre demande en matière d'amitié. La demande de Marc en matière d'amitié est profonde et ne saurait s'accommoder de fausseté, de demi-mesure et encore moins d'hypocrisie. C'est pourquoi, Yvan qui se limitait à les « niveler », à amoindrir la dureté des propos pour les garder intacts, comme amis, pour lui et pour eux-mêmes se voit ainsi malmené, étant accusé lui-même et finalement par un juste retournement de situation, d'être la cause même du conflit qui les oppose.
C'est alors qu'intervient un autre personnage, apparemment anodin, mais très convaincant le «rat». le rat au sens propre, visible et traversant la tempête et, le rat au sens figuré, cette fois, Yvan.
Yvan ! L'image de cet homme, désespéré de solitude, seul, chez lui, le soir : « Seul comme un rat ».
Annule ! Lui dit Marc et Serge tour à tour. Annuler le mariage ! Non c'est impossible répond Yvan. Non ! À ce moment, c'est vrai ! Yvan ne songe qu'à une chose. Il veut que ses amis viennent à son mariage puisqu'ils sont témoins. Ce sont eux qui vont désormais signer le registre du mariage à la mairie et cette signature contribuera à sceller son union avec Catherine.
Oui ! Yvan veut se marier. Il veut se « caser » comme on dit dans le langage populaire. Car, comme il dit : « jusqu'à présent j'ai fait le con... » Mais bientôt, il sera « mari » et « papetier » comme dit Marc. Oui, il sera « ça » car pour Yvan, « être ça », c'est ne plus être « seul, le soir, comme un rat ».
Après que Marc et Serge se promettent une amitié sincère et véritable y incluant, Yvan le farfadet, ils s'en vont au restaurant, chez Émile où ils conviennent d'une « période d'essai » durant laquelle ils devront reconstituer leur lien d'amitié.
Tandis que l'expression « période décès » résonne dans la tête d'Yvan qui revient du cimetière avec sa compagne et qu'il songe à consulter Finkelzhon... Lui, qui enterre sa vie de garçon pour s'unir à Catherine, une « hystérique », mais qui a des qualités... Lui, qui se prépare comme dit Serge, une vie « effroyable ... ». Aux seules fins de ne pas rester « seul, comme un rat », comme tous les rats de notre monde contemporain, en somme !...
Et Serge, qui pour autant lisant Sénèque n'est pas un sage, quand il s'interroge songeant à la tromperie : « mais d'où me vient cette vertu ? » signifiant par là-même qu'il entend n'avoir d'autre maître que lui-même et de conclure d'une voix sentencieuse : « mais pourquoi faut-il que les relations soient si compliquées, avec Marc ?!

Tout cela servi au théâtre par Luchini s'il en faut, Vaneck et Arditi est un régal et un incontestable chef-d'oeuvre...
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Une heureuse surprise, alors que, je ne sais pas vraiment pourquoi, j'avais un a priori plutôt mitigé!
Deux amis de longue date s'affrontent au sujet d'un tableau que l'un d'eux vient d'acquérir. Ce tableau est BLANC; complètement blanc pour l'un, alors que l'autre, Serge, est profondément touché par ce tableau. L'affrontement, la désapprobation et la susceptibilité prennent racine et s'immiscent dans leur relation et celle qu'ils entretiennent avec Yvan, pris à parti dans leur différend.
Dès les premières pages, j'ai senti l'atmosphère de la pièce Pour un Oui ou Pour un Non de Nathalie Sarraute, avec Dussolier et Trintignant. ici, Art est interprété par Arditi, Lucchini et Vaneck, et on n'a aucun mal, dans une pièce comme dans l'autre, à imaginer ces acteurs interprétant les dialogues.
Tout se joue sur les mots mais aussi, et surtout, sur le non-verbal: un regard un peu méprisant, un geste mal placé, une intonation... et petit-à-petit, cette amitié vire au cauchemar, à la haine; les mots s'accumulent, ceux qu'on n'aurait jamais dû dire, ceux qu'on se doit de garder pour soi.
Dans une pièce comme celle-ci, il n'y a plus de non-dits et les incompréhensions cherchent une réponse, une explication là où nous, simples mortels, nous les gardons telles quelles, plongés que nous sommes dans une incertitude fatale.
J'aimerais bien sûr voir cette pièce jouée. Et puisque je n'ai pas pu m'empêcher de comparer les deux pièces citées, je dirais que Art n'ose pas aller aussi loin que celle de Nathalie Sarraute, et pour cette raison je lui enlève une étoile!

Lu dans le cadre du Challenge ABC
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Citations et extraits (84) Voir plus Ajouter une citation
SERGE : Je veux savoir ce que ce con a dit, merde !
YVAN : Vous voulez savoir ?...
(Il sort un bout de papier plié de la poche de sa veste.)
MARC : Tu as pris des notes ?!
YVAN : J'ai noté parce que c'est compliqué... Je vous lis ?
SERGE : Lis.
YVAN : "... Si je suis moi parce que je suis moi, et si tu es toi parce que tu es toi, je suis moi et tu es toi. Si, en revanche, je suis moi parce que tu es toi, et si tu es toi parce que je suis moi, alors je ne suis pas moi et tu n'es pas toi..."
(court silence)
MARC : Tu le paies combien ?
YVAN : Quatre cents francs la séance, deux fois par semaine.
MARC : Joli.
SERGE : Et en liquide. Car j'ai appris un truc, tu ne peux pas payer par chèque. Freud a dit, il faut que tu sentes les billets qui foutent le camp.
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SERGE : Comment peux-tu dire "cette merde" ? [...] Que tu trouves cet achat prodigieux tant mieux, que ça te fasse rire, bon, mais je voudrais savoir ce que tu entends par "cette merde". [...] "Cette merde" par rapport à quoi ? Quand on dit telle chose est une merde, c'est qu'on a un critère de valeur pour estimer cette chose. [...] Tu ne t'intéresse pas à la peinture contemporaine, tu ne t'y es jamais intéressé. Tu n'as aucune connaissance dans ce domaine, donc comment peux-tu affirmer que tel objet, obéissant à des lois que tu ignores, est une merde ?
MARC : C'est une merde. Excuse-moi.
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Chez Serge.
Posée à même le sol, une toile blanche, avec de fins liserés blancs transversaux.
Serge regarde, réjoui, son tableau.
Marc regarde le tableau.
Serge regarde Marc qui regarde le tableau.
Un long temps où tous les sentiments se traduisent sans mot.



MARC. Cher ?
SERGE. Deux cent mille.
MARC. Deux cent mille ?...
SERGE. Handtington me le reprend à vingt-deux.
MARC. Qui est-ce ?
SERGE. Handtington ? !
MARC. Connais pas.
SERGE. Handtington ! La galerie Handtington !
MARC. La galerie Handtington te le reprend à vingt-deux ?...
SERGE. Non, pas la galerie. Lui. Handtington lui-même. Pour lui
MARC. Et pourquoi ce n'est pas Handtington qui l'a acheté ?
SERGE. Parce que tous ces gens ont intérêt à vendre à des particuliers. Il faut que le marché circule.
MARC. Ouais...
SERGE. Alors ?
MARC. ...
SERGE. Tu n'es pas bien là. Regarde-le d'ici. Tu aperçois les lignes ?
MARC. Comment s'appelle le...
SERGE. Peintre. Antrios.
MARC. Connu ?
SERGE. Très. Très !
Un temps.
MARC. Serge, tu n'as pas acheté ce tableau deux cent mille francs ?
SERGE. Mais mon vieux, c'est le prix. C'est un ANTRIOS !
MARC. Tu n'a pas acheté ce tableau deux cent mille francs !
SERGE. J'étais sûr que tu passerais à côté.
MARC. Tu as acheté cette merde deux cent mille francs ? !
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MARC : Cher ?
SERGE : Deux cent mille.
MARC : Deux cent mille ?...
[...]
SERGE : Mais mon vieux, c'est le prix. C'est un ANTRIOS !
MARC : Tu n'as pas acheté ce tableau deux cent mille francs !
SERGE : J'étais sûr que tu passerais à côté.
MARC : Tu as acheté cette merde deux cent mille francs ?!
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Tu crois que j'aime les pochettes perforées, les rouleaux adhésifs, tu crois qu'un homme normal a envie, un jour, de vendre des chemises dos à soufflet ?!... Que veux-tu que je fasse ? J'ai fait le con jusqu'à quarante ans, ah bien sûr je t'amusais, j'amusais beaucoup mes amis avec mes conneries, mais le soir qui est seul comme un rat ? Qui rentre tout seul dans sa tanière le soir ? Le bouffon seul à crever qui allume tout ce qui parle et qui trouve sur le répondeur qui ? Sa mère. Sa mère et sa mère.
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