J’allais sombrer dans le collectionnisme, comme tant d’autres… lorsque, dans les pages d’A rebours – merci Huysmans – je rencontrai des mots bizarres qui tenaient plus, par leur côté chantourné, de la conchiologie que de la linguistique. Séduit par leur extravagance, je me mis à sucer le bâton âcre de la néologie. J’y pris goût, j’enfermai dans des chemises alphabétisées quantité de termes bizarres ; séduit par leur sonorité étrangement belle, j’essayai d’en percer le sens ; tel un philatéliste néophyte, j’amassai des mots avec autant d’enthousiasme que de fantaisie désordonnée ; je procédai à des tris, je pénétrai dans le monde de la lexicologie, si bien que mon entreprise fallait engendrer une sorte de florilège de la préciosité moderne : mon « Dictionnaire des mots sauvages ».
Mais un peu de patience ! D’ici à quelques lustres, il suffira d’introduire dans un ordinateur mes mots clefs préférés : objet, curiosité, amour, avidité, mort, métamorphose, sottise, myopie et critique, puis de tout brasser pour obtenir une somme de réponses qui permettra d’écrire un volume épais comme le fameux antiphonaire de Séville sur lequel personne n’a jamais su griffonner une note, que nul n’a jamais aperçu, et dont jusqu’à ce jour encore, nul autre que moi-même, qui personnellement ne l’ai jamais vu, n’a osé mentionner l’existence.
A force d’écouter et d’observer ces gens jouer aux petits collectionneurs dans leur préau, à force de les regarder …j’ai pu constater qu’en dehors de la beauté ou de la rareté des choses, ce qu’ils appréciaient le plus était de retrouver les chemins que leurs trésors avaient empruntés avant de leur appartenir ; tout se passe comme si ces amateurs découvraient un surcroît de beauté et de vertu à tel ivoire à l’idée qu’il fut ciselé pour Othon 1er, caressé par François 1er avant que Mazarin ne le tienne serré sous son camail.
Si ces romanciers, ces poètes, ces essayistes admirent et prennent volontiers fait et cause pour le « peuple de l’art », c’est parce qu’eux-mêmes, aussi en butte au mépris et à l’incompréhension du grand nombre, subissent les mêmes contraintes matérielles. Ce sont les ouvrages refusés, les invendus, le loyer à payer, le mont-de-piété, la prison pour dettes où auraient pu se retrouver incarcérés dans le même réduit Gavarni, Daumier, Balzac ou Nerval.
Le romancier sait qu’il faut prendre ses distances à l’égard du réel ; le romancier réaliste sait qu’il faut les prendre courtes, qu’il est une distance du réel au-delà de laquelle aucun roman n’est valable.
Maurice Rheims
Jacques CHANCEL s'entretient avec
Maurice RHEIMS, commissaire-priseur : son métier de commissaire-priseur qu'il a abandonné depuis six ans, préfère écrire. Ses
origines, sa formation. Explique ce qu'est le beau, le goût et l'émotion qu'il engendre. le côté féminin des objets. le pouvoir corrupteur de l'argent. Fait le
portrait du collectionneur ; les différentes sortes de collections et...