J'ai lu des biographies qui ne me satisfaisaient pas, comme celle de Molière où Christophe Mory interprétait l'oeuvre presque systématiquement à l'aulne de la vie de Molière, ou encore celle de Sarah Bernhardt, constituée de beaucoup de faits divers pas très excitants et où l'auteure cherchait souvent à excuser la facette peu reluisante de son sujet. Avec celle-ci, on touche le fond du panier.
Il n'y a aucune méthode dans la façon de travailler de François Rivière. Certes, il nous présente une bibliographie en fin d'ouvrage, et comme il a réellement l'air d'être un grand adepte d'Agatha Christie, je vais donc supposer qu'il a lu les livres qui y sont mentionnés. le reste n'est que blabla, voire erreurs très problématiques.
On ne sait pas trop de quoi il s'agit ici: Rivière nous dit que ce n'est pas vraiment une biographie (à mon avis, il ne maîtrise pas assez le sujet), ni vraiment un essai (à mon avis, il ne maîtrise pas assez le sujet). Seulement lors de la première réédition de ce livre, on a vu apparaître la mention "biographie" sur la couverture, puis on l'a vue disparaître lors de la troisième édition. Donc, c'est une bio ou c'en est pas une ??? Bon, qu'un écrivain utilise une forme d'écriture pour son oeuvre qui ne rente dans aucune case, pas de souci : Woolf, Barthes l'ont fait. Mais Rivière n'est ni Woolf ni Barthes - sinon ça se saurait -, on a surtout l'impression qu'il ne sait pas où il va.
Rien que le fait que, très vite, il se mette à comparer Agatha Christie à Enyd Blyton est risible. le rapport ? Rivière adorait lire Enyd Blyton tout jeune, et ensuite il s'est mis à adorer lire Agatha Christie. Sans porter Agatha Christie aux nues, je trouve que ça frise l'insulte à son égard. Ben oui, même si on été fan du Club des Cinq (comme ce fut mon cas, ce qui n'est pas très original) ou de Oui-Oui, il faut bien reconnaître qu'Enyd Blyton, c'est nul. Mais c'est une obsession chez Rivière que de comparer les deux auteures à l'envi...
On a d'ailleurs droit à de nombreuses digressions sur l'enfance de François Rivière, dont personnellement je me fiche royalement, qui n'apportent rien et ne vont nulle part. Mais rien ne va nulle part dans ce bouquin. Rivière veut soi-disant casser le mythe Agatha, et il ne fait que se reposer sur ce mythe collectif, voire sur le mythe qu'il a lui-même construit. Ainsi, il prétend qu'il est vain de s'intéresser à la période où Agatha Christie a disparu et dont elle n'a jamais parlé, mais sa grande affaire, ça va être de faire des supputations sur ce qu'il a bien pu arriver à Agatha Christie pendant cette période. Mieux, Rivière précise bien qu'il ne sait absolument pas ce qui s'est passé alors, mais qu'il "devine". de qui se moque-t-on ???
Ce qui m'a achevée, c'est la référence au mythe d'Agatha Christie apprenant à lire toute seule à trois ans (ou quatre, j'ai oublié), présentée comme un fait indéniable. Alors, soyons clairs : c'est chose impossible. Scientifiquement impossible. Je veux bien que François Rivière n'ait ni étudié la linguistique, ni la psychologie cognitive, mais en général, quand vous entendez parler de ce genre de choses et que vous écrivez un bouquin qui doit mentionner la chose en question, déjà vous avez un doute si vous êtes doté d'un peu de sens critique - et de bon sens tout court -, ensuite vous vérifiez si c'est bien avéré. Pas besoin d'avoir étudié les sciences cognitives pour ça. C'est là toute la différence entre un Philippe Rouyer, qui va raconter une anecdote sur Orson Welles (à savoir que la mère de ce dernier lui aurait lu l'histoire du Roi Lear, et que Welles, découvrant qu'on ne lui avait pas lu le texte de Shakespeare, aurait exigé qu'on lui fournisse l'original...) tout en ajoutant, amusé, que ça fait bien entendu partie du mythe d'Orson Welles. Rivière, lui, croit n'importe quoi, et divulgue des informations complètements farfelues à un public qui, sur le coup, ne va pas forcément les mettre en doute (car c'est malheureusement une idée reçue, mais complètement fausse, qu'on peut apprendre à lire tout seul).
François Rivière s'est fait plaisir en écrivant un grand n'importe-quoi sur une auteure qu'il adore. Pour ma part, ça s'appelle de la supercherie. Mais on le publie volontiers. En sus, il est régulièrement invité sur France Culture. Misère !!!
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L'Angleterre des années vingt fut le théâtre d'un phénomène littéraire dont le secret me semble être resté, de ce coté-ci du Channel, parfaitement inviolé. Je veux parler de l'apparition - immédiatement derrière le rang d’écrivains très snobs et parfois diablement important, assidus des cercles de Bloomsbury - d'une catégorie d'auteurs précieux et discrets, vivant généralement à la campagne ou dans des petites villes et voués corps et âme aux perverses et insidieuses délices d'une forme de fiction baptisée par eux Detective Novel.
L’ancêtre en était l'illustre Conan Doyle, lui-même héritier d'un Américain (Poe) et d'un français (Gaboriau) ; L'archétype, le fameux Sherlock Holmes, ce drogué victorien amateur de bas-fonds. Mais eux, ces êtres doux et affables, occupés à se mouvoir toujours entre le vert des gazons, le brun du toit de chaume de leurs cottages et tous les tons rougeâtres du cachemire où rodent les chats, tous ces amateurs de thé (très fort et avec beaucoup de lait), de chasse a travers bois, de pêches dans les étangs, de promenades a travers champs et - surtout de livres -, n'eurent qu'une idée en tête : écrire pour le confort douillet de l'esprit, en méprisant cet exotisme du réel trop souvent répandu depuis la mise au jour de l'inconscient, écrire en s'enfermant délibérément à l'intérieur du décor connu, quotidien, pour y introduire savamment le désordre et l'angoisse dont procède toute écriture - pour y semer en toute innocence l'erreur que procurent le crime et son énigme.
Ainsi, par la grâce ces femmes - fort nombreuses - et de ces hommes, les toiles peintes du paysage anglais le plus mièvre, le plus rassurant, se virent-elles éclaboussées de sang, tandis que naissait le gout du public - le plus conventionnel, à l'époque, mais aussi celui des autres écrivains pris au jeu - pour cette étrange dramaturgie, aux rites complexes et sans cesse renouvelés.
Agatha nous prévient : "La nature manquait trop de symétrie pour qu'il put l'apprécier." Poirot ne comprendra jamais pourquoi les Anglais sont tout le temps dehors, dans leurs incroyables jardins. De ceux-ci, il n'aime que la fonction potagère !
Le moment est venu de dire que, contrairement à l'anecdote légendaire, Agatha Christie n'aurait jamais tenu en public ce propos : "Épousez un archéologue, plus vous vieillirez, plus il vous aimera !"
Boulevard Tintin - Hergé intime