Quel avenir est en droit d'espérer une adolescente rêveuse et insatiable dans un pays qui lui devient de plus en plus hostile ? Comment devenir soi-même, emprunter le chemin pour devenir femme dans un espace de liberté qui se réduit et dans lequel toute tentative d'échappatoire est vouée à l'échec ?
Ce sont les questions entêtantes qui imprègnent cette
Fugue polonaise, roman d'une éducation politique et sentimentale au coeur de la Pologne des années 50 harnachée au communisme soviétique. L'auteure y dépeint habilement le quotidien de la jeune Bashia et des siens, famille bourgeoise dépossédée de ses biens. Des gens discrets vivant comme des naufragés sur une île déserte où les épreuves subies, les renoncements silencieux comme les fidélités donnent le sentiment d'avoir sous les yeux des reliques d'un monde en train de s'écrouler. La guerre est finie mais c'est à nouveau un quotidien qui abîme avec les pénuries, les regards inquisiteurs, la parole fragile qu'on ne peut abandonner à n'importe qui, les contrôles policiers arbitraires sans oublier les menaces désinhibées, les rancoeurs affichées, les trahisons...il en ressort un fort sentiment de désillusion, comme si tout était condamné.
Quant à la jeune Bashia, dix-sept ans, elle a atteint l'âge fait de doutes et d'espérances qui la mènent vers des amitiés aussi idéalisées que décevantes. Elle entre dans la période où persiste cet égoïsme désinvolte lorsqu'on tombe amoureux sans se rendre compte qu'elle défie dangereusement le monde qui l'entoure …
Son histoire avec le jeune étudiant français Christian pourrait incarner cette lumière qui tente de percer la chape de nuages gris qui plane au-dessus d'elle mais la confrontation à la réalité de l'époque est implacable et la machine infernale. Au fur et à mesure que les pages défilent, on découvre une jeune fille qui expérimente âprement et prématurément la fin de l'insouciance et les illusions perdues.
L'écriture est limpide, sans compromis, la narration parfois rugueuse, malgré tout
Béata de Robien parvient à rendre ce texte sensible. Au coeur de l'intime même le plus secret, l'auteure polonaise délivre un récit porté par les pensées et les émotions de Bashia, on y retrouve ses deuils et ses obsessions, ses dégoûts comme ses fascinations. Force est de constater que l'auteure a le talent pour capter et fixer les états flottants de l'adolescence comme ceux de personnages otages de leur destin. Dés lors, on perçoit très vite en
Fugue polonaise un roman qui raconte la peur, d'abord muette puis de plus en plus oppressante, qui étrangle lorsqu'on prend pleinement conscience que l'ennemi n'est plus allemand ou russe mais polonais.
Une tonalité qui sonne donc juste et un certain sens du réel qui s'impose à l'esprit. Il est même si troublant qu'on se dit que le roman n'aurait pas été écrit de cette manière s'il ne s'appuyait pas sur des souvenirs ou des anecdotes véridiques. le réalisme est impitoyable, il frappe comme une gifle en plein visage.
Ce n'est pas une littérature qui s'impose par son style ou sa réflexion, on pénètre dans le récit sans difficulté toutefois, sans s'en apercevoir, le roman exerce une certaine emprise. Peut-être parce qu'il appartient à cette littérature qui approche
L Histoire sans nous imposer sa face colossale.