Gilead, Iowa, 1956
John Ames est un Pasteur écouté et aimé.
Devinant que le temps lui est compté, il tient à rédiger une conversation - ou plutôt est-ce un monologue ?- une réflexion à l'intention de son fils alors âgé de sept ans. Sa pathologie cardiaque, récemment diagnostiquée fait de lui un homme très fragile, habitant l'éphémère, qui avance d'un pas ou d'un jour comme si la vie allait s'achever l'instant d'après.
C'est un homme avant d'être un pasteur, un homme qui doute et se questionne. C'est cet aspect de sa personnalité qui le rend attachant, la religion est présente dans les mots, les phrases mais à seules fins d'expliquer sa vie, ses souvenirs, les événements, pas pour contraindre, convaincre, sermonner... Et, même si sermon il y avait, il serait d'abord dirigé à sa propre intention tant l'humilité l'habite.
C'est un être pétri d'humanité qui sait regarder les petites choses dont la vie lui fait don comme s'il s'agissait de trésors de la nature, des petits gestes, il en tire une certitude de la part lumineuse de chacun, de chaque parcelle du monde.
Il ne cesse de se questionner mais reste persuadé que la rédemption est, que ce n'est pas une vague considération, et c'est ce qui importe dans le monde des hommes.
Son récit épistolaire prend la forme de petits épisodes de son existence destinés à raconter à son petit garçon la solitude qu'il a côtoyée avant de rencontrer sa seconde épouse, la mère de celui-ci ou quelques faits marquants qu'il interprète comme des signes, comme des révélations. C'est le regard sur le temps qui s'écoule, la vieillesse qui éreinté les corps et laisse les esprits vifs.
C'est l'histoire raciale de cette Amérique rurale, l'histoire de l'Abolition de l'esclavage, celle de la Grande Dépression, et en ombre qui finit par se matérialiser celle des Droits Civiques et du racisme qui continue de brûler comme les flammes de l'enfer.
"Qu'as-tu fait de ton talent ?"
Il s'inquiète de laisser une jeune femme et un fils encore dans l'enfance seuls quand il ne sera plus. D'autant qu'il observe, d'un oeil moins clément qu'il ne le voudrait, le retour - dont il ne comprend pas les raisons - du fils de son plus vieil ami, un fils qui est l'incarnation du "fils prodigue", et qui rode souvent chez lui pour tenir compagnie à son propre fils, tenir conversation avec sa jeune épouse, quand ce n'est pas pour le questionner, lui le pasteur, le guide des âmes, sur sa doctrine et en particulier sur le poids et l'irréversibilité de l'engagement mauvais d'une vie. Mais les apparences peuvent être trompeuses et l'écoute et la patience de John Ames ne seront pas vaines...
"Tu ne jugeras point" l'autre de crainte de n'avoir à juger chez lui les défauts que tu sais être tiens, également.
C'est un récit lumineux que ce texte, un questionnement incessant, une prise de conscience de l'essence d'une existence et, pour John Ames,d'un engagement. C'est contempler ce qui fait le legs d'une vie, entre générations, entre regards parfois différents sur les prises de position entre un grand-père, un père et son fils. Certains choisissent l'action pour dire leurs certitudes quand d'autres préfèrent l'éloignement et le recueillement face à l'agitation du monde qui ne peut pas ne pas être.
Habilement, dans un style brillant et cependant facile à lire, l'écrivaine ouvre la porte vers les deux livres suivants rendant le lecteur avide de retrouver ces êtres tourmentés, toujours en quête de pardon ou de compréhension, ces êtres qui ne cessent de remettre en cause choix et paroles, attitude et silences.
Le thème de la religion ne sert ni à persuader, ni à moraliser, il est traité en utilisant toujours la balance entre ce qui est et ce qui semble être, n'obligeant jamais le lecteur à se rallier à un courant de pensées.
Ce qui en fait une lecture pour tous.
Je n'ai que très peu raconté, vous laissant le bonheur de cheminer auprès de John Ames et de sa bienveillance.