Je ne vais pas dire que je suis content de mon coup, je m'en désole bien au contraire, pour voir que dans son
Vie de Tolstoï en 212 pages publié en 1911,
Romain Rolland ne consacre guère qu'une page à
Sophie Tolstoï comme si Léon Nicolaievitch fut un vieux moine toute sa vie ; c'est peut-être une vue qu'il aurait aimé avoir mais en tout cas c'est largement insuffisant, et ça l'est suffisamment pour être signalé.
Là aussi, je ne sais pas comment il a fait son compte, il publie son
Vie de Tolstoï en 1911, soit un an après la mort de ce dernier. Dommage qu'il ne l'ait pas lu de son vivant, il aurait pu lui proposer la correction de quelques inexactitudes;
Il est indiscutable qu'ils furent bons amis et qu'une confiance indéfectible nourrissait la relation entre les deux hommes, mais ils se connaissaient surtout à distance ; comme il est indiscutable que Rolland a des fulgurances géniales qui sonnent comme des évidences quand sous la plume d'autres elles passent pour de fastidieux commentaires . Je ne sais pas ce qui lui aura manqué à cet homme là, les femmes peut-être !
Alors voici ce que raconte Rolland sur le couple Tolstoï, ce n'est même pas discutable, c'est carrément bidon !
"Il résista 3 ans ..
Mais depuis 3 ans déjà, ce mariage était fait dans la pensée du poète, écrivant Bonheur conjugal ..
Sauf que Bonheur conjugal n'a rien à voir avec son mariage qui a d'ailleurs été écrit 3 ans plus tôt inspiré d'une aventure avec Valéria A. où il se prêtait aux jeux de l'amour
Est-ce bien la peine d'écrire et de remonter de si jolies choses comme : "..depuis 3 ans, il avait déjà vécu par avance les ineffables jours de l'amour qui s'ignore, et les jours enivrés de l'amour qui se murmurent, les larmes "d'un bonheur qui s'envole pour toujours et ne reviendra jamais" ; et la réalité triomphante des premiers temps du mariage, l'égoïsme amoureux, "la joie incessante et sans cause" .. ou encore : " l'analyse de Tolstoï a renoncé, pour cette fois à sa lumière un peu crue ; elle ne s'acharne pas, avec fièvre, à mettre à nu la vérité. Les secrets de la vie intérieure se laissent deviner, plutôt qu'ils ne sont livrés.." Oui est-ce la peine, si c'est pour déformer à ce point la réalité d'un fragment de la vie intime de son célèbre ami.
J'ai pensé, en vain, 100 pages plus loin, quand il aborde la Sonate à Kreutzer, que Sophie surgirait enfin, se dresserait comme une lionne, même pas, elle n'est pas citée ; et pour une fois curieusement je le rejoins sur la génèse de l'oeuvre qui est loin d'être évidente pour tout le monde et qui est rarement abordée. Toute référence à sa vie propre ne fut que matériau pour faire sa Sonate explosive. "Comme il arrive chez les grands créateurs, l'oeuvre a entraîné l'auteur ; l'artiste a devancé le penseur, - L'art n'y a rien perdu. Pour la puissance de l'effet, pour la concentration passionnée, pour le relief brutal des visions, pour la plénitude et la maturité de la forme, nulle oeuvre de Tolstoy n'égale la Sonate à Kreutzer" ..
Quelle joie de l'âme de lire cela !
C'est à se demander parfois si
Romain Rolland n'a pas manqué d'être Tolstoï, un peu sur tous les plans d'ailleurs !